Après quatre ans de présidence Trump, beaucoup de Maliens n’ont retenu du personnage que les invectives, les insultes, les tweets intempestifs, les scandales. Autant dire que l’image du président Trump est pour le moins écornée, « même si certains lui reconnaissent un bilan plutôt solide », comme le précise Dou Niangado, communicant et blogueur malien : « Trump, malgré tout ce que l’on peut dire, a un bilan plutôt bon sur l’économie. Et dans une campagne électorale, il est toujours plus facile de défendre un bilan que de défendre un programme. La réélection de Trump ne m’étonnerait pas, ce serait même mon pronostic », indique le blogueur. Voilà qui confirme qu’en Afrique, et plus particulièrement au Mali, pays sahélien, même si l’élection présidentielle américaine est suivie de loin, les avis sont tranchés concernant les deux candidats.
La donnée du profil clivant de Trump
« Donald Trump a une manière de faire de la politique qui n’est pas digne d’un responsable, parce qu’il gère le pays comme s’il gérait des affaires personnelles. Il a plus l’idéologie d’un chef de casino et n’a aucun respect pour ses concitoyens. Il fait comme s’il se fichait de tout », lance Adama, employé de banque à Bamako, qui ajoute, « C’est un raciste. Je ne suis pas du tout fan du personnage, ni de sa façon de gérer un pays. Donc, pour moi, c’est Joe Biden sans hésiter !”. Pour Djibril, 45 ans, travailleur humanitaire, l’approche est différente. “Je souhairerais quand même continuer avec Trump. Parce qu’avec lui, pas mal de choses ont changé. Avec Joe Biden, le problème, comme ça été dit très souvent, c’est qu’il n’a pas de programme précis. Donc mieux vaut continuer avec celui que l’on commence à maîtriser plutôt que d’avoir un nouveau dans le système”, explique-t-il.
L’Obamacare, un marqueur
Pour Amadou, assistant social, la grande erreur du président Trump et d’avoir signé la mise à mort de l’Obamacare, loi promulguée par Barack Obama, qui avait pour objectif de garantir une couverture santé à 32 millions d’Américains qui en sont dépourvus. Une loi critiquée et détricotée par le camp républicain pour son coût et sa lourdeur administrative. « Il faut que Joe Biden soit élu pour que l’Obamacare puisse revoir le jour. Cette grande reforme avait suscité de l’espoir pour des millions d’américains et cet espoir s’est envolé avec l’élection de Trump ».
Le fort impact de la question raciale
Autre point déterminant dans le choix du soutien à l’un ou l’autre des candidats à l’élection américaine, chez les Maliens, le racisme et l’émergence du mouvement de protestation “Black Lives Matter” contre les violences policières. C’est le point qui a forgé la conviction de plus de 80 % d’Afro-Américains que le président Trump était raciste, marqués qu’ils sont par l’indifférence du président qui se borne à plutôt soutenir les forces de l’ordre quelque soit la situation. « Je soutiens Joe Biden parce qu’il comprend bien la cause des noirs américains », réagit Youssouf, 21 ans, étudiant en communication, qui regrette aussi que l’Amérique se soit détournée sous l’ère Trump de l’Afrique.
L’intérêt porté à l’Afrique, un critère important
« Comment se passionner pour les élections américaines alors que l’Amérique ne se passionne pas pour l’Afrique ? », rétorque Aicha, étudiante, qui ne porte pas un grand intérêt à l’élection de celui qui deviendra le « Commander in chief » de la première puissance mondiale. « Durant le mandat de Trump, il n’y a pas eu de place pour l’Afrique, ni dans son développement ni dans ses appuis multilatéraux et à plus forte raison bilatéraux », déplore, Mohamed, journaliste. « C’est pourquoi, je pense qu’un second mandat de Trump ne serait pas bon pour l’Afrique. J’estime que Biden est vraiment le bon candidat parce que même si certains pensent qu’Obama n’a pas fait grand chose pour l’Afrique, on ne peut nier qu’il a essayé une politique apaisée qui tienne compte de l’Afrique, même s’il aurait pu encore faire mieux. Joe Biden pourrait être un facteur de relance des relations entre l’Afrique et les Etats-Unis. Parce que, au niveau des Nations-Unies et de certains cadres de concertation, l’OMS par exemple, les Américains, sous Trump, ont complètement désagrégé l’appui à l’Afrique. Pour moi, la politique américaine démocrate est plus favorable pour l’Afrique », affirme-t-il.
Il faut dire que durant son mandat de quatre ans autour du slogan « America first », « l’Amérique d’abord », Donald Trump ne s’est pas déplacé en Afrique et n’a montré aucun intérêt particulier pour le continent qu’il a même qualifié de « miséreux ». Deux secrétaires d’État, Rex Tillerson et Mike Pompéo, se sont rendus une seule fois en Afrique, ainsi que la Première dame des États-unis, Mélania Trump. En dehors de ces visites, son administration ne s’est pas réellement engagée sur le terrain. « Cela ne me fait ni chaud, ni froid », coupe cet homme politique originaire du nord du pays. « Pour moi, un Américain est un Américain. Vis-à-vis de nous, je n’ai jamais senti de variation dans la politique américaine quelque soit le président élu. Je crois donc que rien ne changera », assène-t-il.
Les questions de sécurité aussi prises en compte
Malgré tout, les Etats-Unis ont une présence militaire en Afrique dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et notamment dans le Sahel où les force américaines coopèrent avec l’armée française, acteur en pointe dans la lutte contre les terroristes. La 1ère puissance soutient aussi financièrement le G5 Sahel. Mais, ces quatre dernières années, sous l’impulsion d’un Donald Trump désireux de retirer les forces américaines des théâtres de conflits lointains et meurtriers, l’administration a souhaité réduire les effectifs de l’AFRICOM, le Commandement militaire des Etats-Unis pour l’Afrique, ainsi que son soutien aux opérations des Nations unies. « Il est important que Biden remporte cette élection pour que le leadership de première puissance mondiale soit préservé sur le plan mondial. Que l’aide au développement et celle en matière de renseignement et de logistique aux forces françaises se pousuivent et s’intensifient contre la menace terroriste plutôt que de vouloir axer son engagement en Afrique juste pour contrer l’influence chinoise et russe dans nos pays. Il y a plus urgent ! », s’exclame cet ex-conseiller à la Primature.
Malgré la prise en compte de tous ces critères, nombre de Maliens interrogés pensent que, quelque soit le candidat, républicain ou démocrate, qui l’emportera ce 3 novembre, l’Afrique et le Sahel ne constitueront pas un champ prioritaire dans la politique étrangère américaine. « Il est temps que le Mali commence à compter sur lui-même », lance Mariam, informaticienne de 40 ans, qui répond quand on l’interroge sur son choix de candidat : « Ni l’un, ni l’autre ».