« Le roi est mort, vive le roi » formule de 1498 pour signifier la continuité de la royauté malgré la mort du roi Charles VIII ; le CFA est mort, vive l’Eco (cfa ou ecocfa) ! Voilà le genre d’équation qui sied à la pratique de la Françafrique depuis Mathusalem et que viennent de manifester Emmanuel Macron et Alassane Dramane Ouattara !
Le Président du pays le plus puissant de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine) qui regroupe 7 pays francophones d’Afrique de l’ouest, Alassane Dramane Ouattara de la République de Côte d’Ivoire, vient de signer un accord avec Emmanuel Macron, Président de la République Française, le 21 décembre 2019 à Abidjan, un accord actant le remplacement du franc CFA par l’Eco. Curieusement et bien opportunément, cet accord est signé entre ces deux Présidents alors même que la CEDEAO a le projet de création d’une monnaie unique pour toute l’Afrique de l’Ouest anglophone, francophone et lusophone. Ce qui aurait mis un terme définitif à cette usurpation de souveraineté qu’est le franc CFA dans son esprit et dans sa substance. Survivance du système colonial : pile je gagne, face tu perds, comme d’habitude.
Somme toute, je vous l’accorde, il est vrai que les dirigeants africains n’ont pas inventé l’eau chaude, la démonstration vient d’en être faite une fois de plus par la signature de cet accord sur l’Eco. On utilise le chef d’Etat du pays économiquement le plus puissant de la zone et qui doit son accession au pouvoir à la Françafrique, pour imposer un diktat monétaire à toute la sous-région.
Ce chef d’Etat africain, Alassane Dramane Ouattara, avait été imposé par un coup d’Etat militaire orchestré par Nicolas Sarkozy et Ban Ki-Moon (Secrétaire Général des Nations Unies de 2007 à 2016) via l’armée française et l’ONUCI après une campagne planétaire de diabolisation contre le Président légitime et légal du pays, Laurent Gbagbo. Ce dernier avait faussement été accusé de s’accrocher au pouvoir. Le livre de François Mattei « Laurent Gbagbo Pour la Vérité et la Justice » apporte un nouvel éclairage sur ce sujet. Je m’égare….
Torpiller le projet de créer une monnaie unique….
Pourquoi cette précipitation alors qu’il y a des urgences à gérer en France, notamment les grèves consécutives au projet de réforme des retraites ?
Pour torpiller le projet de création d’une monnaie unique, non pas pour les seuls pays de l’UEMOA, mais pour l’ensemble des pays de la CEDEAO. De facto, une monnaie CEDEAO mettrait un terme définitif à la prédation dont le CFA est l’instrument. Imaginez un peu, le franc CFA, monnaie de 14 pays africains, est fabriqué à Chamalières et à Pessac en France. Aucune banque française n’en veut parce qu’en fait, ce n’est pas une monnaie reconnue sur le plan international.
Si le Mali vend un produit à l’étranger, l’argent de la transaction est récupéré, non pas par le Mali, mais par la Caisse des Dépôts et Consignation de France qui garde la devise en dollar, euro, yen ou autre. A la place de ladite devise récupérée par l’Etat français, le Mali récupère une partie en franc CFA et l’autre partie est gardée par l’État français et est comptabilisée dans les comptes d’opération de la France. Schématiquement, tel est le mode de fonctionnement du système franc CFA qui profite plus à l’Etat français, économiquement et politiquement. Une assurance certaine pour la perpétuation de la domination sur les 14 pays de la zone CFA. Sylvanius Olympio a payé de sa vie son refus du franc CFA en 1963 sur commande de l’État français. Jacques Foccart, l’âme damnée de Charles De Gaulle, était à la manœuvre. Le français moyen ignore tout de ces manigances instaurées et imposées par Charles De Gaulle au moment des « indépendances » dans les années 1960.
Pourquoi encore l’arrimage de cet « Eco » à l’Euro ?
Il s’agit d’un moyen subtil pour tenir en laisse les économies de ces pays de l’UEMOA par l’Union Européenne qui est complice de la chose comme l’Allemagne l’était pour le CFA et l’Euro. Ainsi, ces pays ne pourront rien décider sans l’aval de l’Union Européenne et rien acheter sans son contreseing. Une mise sous tutelle permanente.
Une question s’impose : tous les autres pays africains, ayant leur propre monnaie, ont-ils tort ? La réponse est ‘’non’’ pour la simple raison que l’indice de développement de ces pays, hors zone CFA et, toutes proportions gardées, dépasse celui des pays de l’UEMOA. Encore mieux, la Côte d’Ivoire, dont le PIB constitue environ le 1/4 de l’ensemble des pays de l’UEMOA, est lestée par le CFA depuis son indépendance. Bien sûr, on trouve toujours quelques banquiers africains, complètement abrutis de complexes divers et variés, formatés à la sauce françafricaine, pour expliquer doctement que sans le CFA ou l’ECO point de salut pour les pays de l’UEMOA. Les supplétifs africains de la Françafrique, cette cohorte de laquais perpétuels.
Briller davantage dans notre rôle d’idiots planétaires
Sans aucune difficulté, une étude comparative entre le niveau de développement des pays de la zone CFA avec les autres pays africains démontrerait que la zone CFA est à la traîne à cause de ce boulet CFA et son ersatz, l’Eco de Macron-Ouattara, va amplifier l’écart. Et nous serons encore gros-jean comme devant. Et on va nous applaudir à tout rompre tellement nous brillons dans notre rôle d’idiots planétaires. Alors là, sur ce registre, le doigt dans le nez, nous battons tout le monde à plate-couture : les ‘’naloma’’ du cosmos.
Dans les jours et semaines à venir, il y aura une telle pression sur les autres chefs d’Etat de la zone que seuls les téméraires, qui aiment réellement leur pays, résisteront avec l’aide de la communauté africaine et tous les amis de l’Afrique. Passer du CFA à l’Eco Macron-Ouattara, c’est vraiment sortir d’une mauvaise situation pour se précipiter dans une autre encore pire. Tels des moutons de panurge, les pays de l’UEMOA, avec l’Eco Macron-Ouattara, passeront de charybde à Scylla. Et dans la mythologie grecque, l’amie de Scylla s’appelait Echo. Revisitez l’odyssée d’Homère, vous comprendrez les subtilités de la chose rapportée au contexte de ce changement de monnaie.
M. Macron, l’Afrique « en marche », n’est pas celle de Albert Bernard Bongo et de Houphouët Dia Boigny et encore moins celle de Jean Bedel Bokassa ou Idi Amin, Blaise Compaoré ou Alassane Ouattara, mais celle de Patrice Emery Lumumba, de Kwamé N’Krumah, de Thomas Sankara, de Nelson Mandela, de cette nouvelle société civile qui n’est plus muselée par une classe politique si pathétiquement servile. La vigilance s’impose, celle de la société civile africaine. Ce n’est pas un combat contre la France, mais un combat contre des pratiques de cette France que les citoyens français ne connaissent pas.
Dominique Strauss-Kahn : ‘’Il était temps d’en finir avec le franc CFA’’
Dans une interview accordée à Paris Match, l’ancien Directeur général du Fonds Monétaire International (FMI), non moins Consultant en Afrique notamment, Dominique Strauss-Kahn, estime qu’il était temps d’en finir avec le franc CFA. Paris Match: Vous êtes familier du continent africain, où vous conseillez des chefs d’Etat. La fin du franc CFA est-elle une bonne nouvelle ?
Dominique Strauss-Kahn. Oui, le système ne pouvait plus durer, en raison des symboles dont il était lesté : les références au passé colonial [NDLR : avant 1958, l’acronyme CFA signifiait Colonies Françaises d’Afrique], les obligations de placer les réserves à la Banque de France, la présence de Français dans les instances monétaires africaines.
Pourquoi la décision n’a-t-elle pas été prise lors du passage à l’euro, quand vous étiez ministre des Finances ?
Lionel Jospin a été nommé en 1997, six mois avant le passage à l’euro. Lorsque je me suis retrouvé à Bruxelles, la question du franc CFA n’avait jamais été abordée. Nos partenaires européens sont tombés de l’armoire et il a fallu batailler pour qu’ils acceptent quelque chose de bizarre, à savoir qu’une monnaie extérieure soit rattachée à l’euro, avec un lien avec le Trésor français. Mettre fin au CFA à ce moment-là aurait créé un deuxième problème. Il aurait fallu prendre cette décision bien plus tôt ou bien plus tard.
Pourquoi attendre plus de vingt ans ?
D’un côté, la France avait une position d’attente, sur le thème “nous sommes ouverts”. De l’autre, les Africains, qui sont bénéficiaires d’une garantie monétaire de la France, pouvaient difficilement agir seuls. Une démarche unilatérale de leur part pouvait être perçue par les marchés comme un facteur d’instabilité sur la valeur de la monnaie. Le risque d’ouvrir une brèche à la spéculation était réel. Il ne l’est plus, car les Français et les Africains ont bougé en même temps et Paris continue d’assurer la garantie monétaire de la zone.
N’est-ce pas une autre forme de tutelle ?
Cela n’a rien à voir. Le compte d’opération libellé en franc CFA a été fermé. Le dernier cordon ombilical a été coupé. C’est un vestige du passé qui ne se justifiait plus. La souveraineté monétaire des Africains est totale. A eux de déterminer l’ancrage de nouvelles modalités. A eux de développer les échanges autour de cette monnaie unique et de créer un espace d’intégration que le CFA n’a pas été capable de faire. A eux d’intégrer, s’ils le souhaitent, d’autres pays, comme le Ghana, la deuxième puissance économique de l’Afrique de l’Ouest enclavée dans la zone Eco [NDLR : nom de la nouvelle monnaie].
Vous voyagez dans le monde entier. Avec la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, les tensions avec l’Iran, la croissance en berne en Europe, qu’en disent vos interlocuteurs ?
En Afrique, la croissance reste relativement significative. Pour de nombreux pays, l’un des problèmes importants est le prix du pétrole et, aujourd’hui, l’impact que les relations entre les Etats-Unis et l’Iran pourraient avoir sur celui-ci. La situation en Asie est assez différente. Autant ils sont préoccupés par les tensions avec la Chine, autant les difficultés économiques des Européens leur paraissent assez secondaires. L’Europe est pour eux un client important, mais ce n’est pas le centre du monde. Ils sont plus préoccupés par la situation au Moyen-Orient ou par l’accès aux matières premières. Je voyage aussi en Asie centrale, dans des pays dont on parle peu aujourd’hui, mais qui sont passionnants et porteurs de beaucoup de potentiels dans les années à venir.La politique unilatérale de Donald Trump fragilise les institutions internationales de l’après-guerre.
Comment le FMI, que vous avez dirigé entre 2007 et 2011, peut-il survivre dans cette crise ?
Le multilatéralisme est évidemment en crise, notamment parce que les Etats-Unis y sont plus hostiles que jamais. Pourtant le rôle des institutions internationales est d’autant plus nécessaire que le monde va mal. C’est à elles, et notamment au FMI, d’imposer leur présence par la pertinence de leurs analyses et l’efficacité de leur action sur le terrain.
Propos recueillis
par François de Labarre,
Paris Match