Professeur de Droit international et de Relations internationales à la Faculté de droit public de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako et à l’UCAO, Dr Mahamadou Konaté est le Président de la Plateforme «Reconstruire Baara ni Yiriwa», un mouvement qui a participé aux événements de 2020 au sein du M5-RFP. Auteur de plusieurs poèmes en langue bamanankan sur des sujets de société et d’un ouvrage sur les droits humains, il est le Directeur général du Bureau d’Études et de Conseils Donko (BEC-DK). Dr Konaté se distingue par ses analyses objectives et non partisanes sur les questions d’intérêt national. Dans le cadre du deuxième anniversaire des événements d’août 2020, Dr Mahamadou Konaté nous a accordé un entretien.
Bonjour Dr Konaté ! Quel est le sentiment qui vous anime deux ans après le coup d’Etat militaire qui a parachevé la lutte du M5-RFP à laquelle vous avez activement participé au nom de la Plateforme «Reconstruire Baara ni Yiriwa» ?
Nous avons connu deux phases après les évènements du 18 août 2020 intervenus suite à une insurrection populaire. Laquelle insurrection a légitimé l’action du groupe militaire qui a convaincu le Président IBK à l’époque de démissionner avec son gouvernement et à dissoudre l’Assemblée nationale.
La première phase a été dirigée par Bah N’Daou et Moctar Ouane, mais dans une atmosphère d’exclusion. Vous vous rappelez que le mouvement principal à la tête de cette insurrection populaire, à savoir le M5-RFP, avait été complètement mis de côté. Cela explique quelque part l’échec de cette phase. On assistait aussi à des envolées verbales entre l’UNTM et le Président Bah N’Dao. La volonté de ce dernier de remanier le gouvernement pour se faire entourer de plus de compétences, selon son entourage, a été la goutte d’eau qui a débordé le vase. Certains des protagonistes de la junte ne l’ont pas accepté et finalement ont fait un coup d’Etat en mai 2021. Et depuis, nous avons subi progressivement des sanctions de la société internationale et un peu plus tard, des sanctions coriaces de la CEDEAO et de l’UEMOA.
Cette deuxième phase plus inclusive que la première peinait aussi à donner de la visibilité à son calendrier. Sur quoi se focaliser ? Pour quelle durée ? A quand le retour à l’ordre constitutionnel ? Ces insuffisances expliquent pourquoi on n’avait presque rien fait les 18 premiers mois. Les 90% des objectifs n’ont pas été atteints. Aucune élection n’a été organisée, aucune grande réforme n’a été menée. Pour cette deuxième phase, un calendrier était prévu. Les sanctions ont été levées. La loi électorale a été votée et promulguée. Actuellement, il y a un processus d’élaboration de la nouvelle constitution en cours. Nous sommes dans la continuité avec une nouvelle stratégie qui met l’accent sur la visibilité des activités du gouvernement. On est pour l’instant au niveau des préparatifs des grandes réformes exigées par le peuple malien mais aussi par la société internationale pour pouvoir stabiliser le pays et mettre fin à la période de transition.
La trajectoire prise par les autorités de la Transition rime-t-elle avec les raisons qui ont poussé de milliers de Maliens dans la rue pour demander le changement ?
Je pense qu’il y a beaucoup d’efforts à faire à ce niveau. Je suis l’un des acteurs de ce changement. Notre objectif majeur, c’était qu’IBK démissionne. Mais ce que nous voulions en réalité, c’était le changement dans la gouvernance du pays. Nous souhaitions une gouvernance vertueuse, plus rationnelle, responsable des affaires publiques. Nous voulions mettre fin à la gestion clanique, familiale et partisane du pouvoir ; combattre efficacement la corruption et reformer nos institutions pour que la démocratie puisse être mieux valorisée.
Pour l’instant, nous n’en sommes pas là. Nous sommes loin de là. Est-ce que la direction va dans ce sens ? J’ai envie d’espérer. Il y a des projets de réformes en cours. La loi électorale a déjà été votée, vous le savez. Le projet de constitution est en élaboration. Il y a aussi un projet de loi portant charte des partis politiques en cours d’élaboration. La volonté est là aujourd’hui d’aller dans ce sens. Mais vouloir et pouvoir, parfois ce sont deux choses qui ne vont pas ensemble, les propos et les actes ne s’accordent pas toujours.
Nous souhaitons que cette transition tire les leçons du passé et évite de décevoir les Maliens, de violer encore une fois les promesses qu’elle a faites aux Maliens. Je pense qu’elle a une dernière chance de nous convaincre. Elle doit la saisir et amener le Mali dans une nouvelle ère de son histoire.
Quel est votre regard sur la situation sécuritaire du pays, deux ans après la chute du régime d’Ibrahim Boubacar Kéita ?
La situation sécuritaire, à mon avis, ne s’est pas véritablement améliorée. Il y a des localités où ça va mieux qu’avant, des localités où ça allait mieux avant qu’aujourd’hui. De manière globale, elle ne s’est pas véritablement améliorée. A mon avis, elle s’est même plus cristallisée. Ce sont les mêmes attaques qu’on connaît contre les Forces de défense et de sécurité, la population, etc. Leur ampleur a peut-être un peu diminué vis-à-vis des populations mais cela n’est pas dû aux actions de nos FDS. Je pense que les terroristes eux-mêmes sont dans une nouvelle dynamique de conquête des cœurs des populations. Ils ont compris eux aussi que l’enjeu majeur, c’est d’être avec les populations. Pour cela, ils ont beaucoup de stratégies qu’ils sont en train de mettre en œuvre. Je suis revenu du nord depuis quelques jours seulement. Ces stratégies sont en train de réussir. Des personnes nous disent avoir plus confiance aux terroristes car ils sont plus justes envers elles. Nous sommes donc en train de perdre une bonne partie de cette population. Ce n’est pas possible de combattre efficacement le terrorisme si nous n’avons pas le cœur de cette population parce qu’au lieu de nous renseigner, elle mettra plutôt les renseignements à la disposition de nos ennemis. Au lieu de nous aider, ce sont plutôt nos ennemis qu’elle va aider. Au lieu qu’elle nous encourage, elle va encourager nos ennemis. Et on ne peut pas combattre nos populations. On ne peut pas tuer tout le monde. Il faut que les gens sachent cela.
L’arme a ses limites.
Il faut aligner plusieurs choses pour sortir de ce marasme de l’insécurité qui n’a que trop duré. Il y a de l’espoir. Déjà sur le plan des équipements militaires, des efforts sont faits et il faut le saluer. Sur le plan de la formation, il faut faire plus. Pendant cinq ans, j’étais l’un des formateurs des officiers de notre armée dans le domaine du DIH (Droit international humanitaire), de l’Organisation humanitaire à l’école d’État-major de Koulikoro. Il y a encore des efforts à faire : améliorer la qualité et mettre aussi l’accent sur l’aspect psychologique. Il y a beaucoup à faire. Je pense qu’on doit prioriser la formation sur cet élan de rééquipement des militaires. Il faut aussi revoir le renseignement. On ne peut pas le revoir sans prendre en compte la dimension de la diversité des populations. Comment faire pour gagner la confiance de la population ? Pas avec quelques coopérants car c’est parfois l’erreur que nous commettons.
Votre Plateforme «Reconstruire Baara ni Yiriwa» a été l’une des premières composantes à quitter le M5-RFP. Peut-on dire que l’histoire vous donne raison avec ce qui se passe actuellement au sein du mouvement ?
Je le pense. Nous avons quitté le 16 mars 2021. Certains n’ont pas compris parce que nous étions trop réactionnaires. Les raisons que nous évoquions ont motivé des camarades à quitter récemment le M5-RFP pour s’organiser dans un nouveau cadre, le M5-RFP Malikura, non sans dénoncer le comité stratégique qui a complètement abandonné nos idéaux.
Il y a encore des risques que ce nouveau cadre ne subisse pas les mêmes sorts que l’ancien. Il y a des garanties, des garde-fous qu’il faut avoir. J’ai parlé avec la plupart des camarades qui ont déjà adopté le principe d’élaborer un règlement intérieur. Ce document va organiser le processus de décision et d’animation du comité stratégique. Ce qui n’existait pas dans l’ancien M5 où c’était vraiment l’informel. C’était vraiment du désordre. Moi, j’ai toujours dit qu’on ne peut pas vouloir améliorer l’ordre au sein de l’Etat alors que, en notre sein, règne le désordre.
En annonçant votre départ du M5-RFP, vous avez rassuré que la Plateforme «Reconstruire Baara ni Yiriwa», «n’ira pas pour autant rejoindre ni la junte, ni le mouvement du Guide Mahmoud Dicko, avec lesquels la Plateforme ne fait pas mystère des divergences d’approche». Quel est donc votre positionnement à la date d’aujourd’hui ?
Notre mouvement «Reconstruire Baara ni Yiriwa» est resté un mouvement de veille. On parle moins. Nous avons des fois félicité certaines actions de la Transition mais aussi dénoncé d’autres. Nous jouons un rôle de veille citoyenne mais pas celui du soldat aux ordres de la Transition. Nous n’avons pas non plus rejoint le mouvement de Mahmoud Dicko à cause de nos divergences. De nos jours, nous sommes avec le nouveau cadre du M5-RFP Malikura. Nous avons déjà travaillé ensemble et nous continuons à discuter. Il n’est pas exclu que nous figurions dans le nouveau comité stratégique.
Propos recueillis par
Chiaka Doumbia et Alima Doumbia, stagiaire
Source: Le Challenger