Le malaise entre Koulouba et Nioro a dépassé la dimension d’un malentendu ordinaire pour atteindre les proportions d’une véritable affaire d’Etat voire une affaire inter-Etats. Cristallisé dans le sillage de l’élection présidentielle, le bras-de-fer sur fond de désamour qu’entretiennent les deux parties est en passe de tourner en faveur du chef spirituel.
Et pour cause, l’impressionnante fermeté ayant naguère caractérisé la posture du président de la République devant la situation n’aura pas résisté plus qu’un feu de paille, à en juger par ses appels du pied à ravaler l’Etat au ras des pâquerettes. En effet, en dépit du fond-bond et de la déconvenue essuyée lors d’une récente tentative échouée de se réconcilier avec le chef des Hammalistes, IBK n’a ni démordu ni désespéré de sa détermination à normaliser ses rapports avec l’ancien ami. Il s’est ainsi rabattu sur l’ancien dictateur Moussa Traoré, un autre ami du Cherif et porteur d’ultime chance d’éteindre le torchon qui brûle entre Koulouba et Nioro. Après avoir vainement tenté, quelques jours auparavant, une médiation à distance pour reconnecter son protégé à la contrée mythique, le vieil octogénaire et pensionnaire de Djikoroni-Para a activement repris du service. Sous le faix de l’âge mais aussi d’un harnais flétri de 23 années de passifs couronnées de disgrâce populaire, il a quand même tenu à une présence physique à Nioro au moyen d’un impressionnant dispositif logistique pour négocier avec le leader spirituel le sort de son puissant adversaire haut perché à Koulouba.
Mais, depuis la survenue de cet épisode spectaculaire, jeudi dernier, l’opinion se morfond de voir se dégager la «fumée blanche» tant escomptée par le pouvoir. Et faute de résultat clairement affiché, la mission-commando de l’ancien dictateur s’est tout naturellement réduite à alimenter des supputations où les présomptions d’échec le disputent aux pressentiments de réussite.
Il parait en revanche sans équivoque que la République et l’autorité de l’Etat en ont pris un sérieux coup de discrédit voire une déculottée mesurable aux péripéties ayant jusque-là jalonné l’affrontement entre Koulouba-Nioro : du refus du Cherif de soutenir la réélection d’IBK à son penchant pour les adversaires du régime en passant par la déclaration ouverte d’hostilités avec comme paroxysme la réaction du pouvoir par un retrait des privilèges commerciaux (jusque-là intouchables) que les pouvoirs successifs ont toujours accordés au leader spirituel. De quoi incarner l’Etat dans toute la splendeur de sa suprématie sur toutes les autres formes d’autorités. Sauf que l’apparence de fermeté aura si vite laissé place à la résignation devant l’irrésistible courroux du spirituel qu’on en a désormais le cœur net : ce n’est pas demain la fin de la complaisance servile où le pouvoir politique s’est embourbé dans ses rapports avec le religieux.
Mais la déculottée réside tant dans la gênante prosternation devant le chef spirituel de Nioro que dans le choix de l’émissaire utilisé à cette fin. Après le pied-de-nez ayant consisté à faire passer pour «républicain» un tyran hors-pair de l’histoire du Mali, la République se voit à nouveau contrainte d’avaler l’amer pilule de hisser au piédestal un citoyen régulièrement privé de ses droits civiques. Au détour d’une médiation entre IBK et le Cherif de Nioro, le général Moussa Traoré – c’est de lui qu’il s’agit – s’en est donné à cœur-joies avec une mise en scène protocolaire digne de l’époque de sa toute puissance. Il pourrait aussi en avoir donné le gage de son éligibilité à la réhabilitation définitive, sans doute une autre paire de manche car les stigmates de sa terreur sont encore vivaces.
A Keïta
Source: Le Témoin