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Dialogue intermalien, Le ministre Abdoulaye Diop : « Ce genre de processus n’est jamais un fleuve tranquille »

M. Diop, ministre malien des Affaires étrangères, qui conduit la délégation gouvernementale, revient, dans cet entretien, sur une évaluation du processus de dialogue inclusif devant aboutir à la signature d’un accord de paix durable et définitif.

Abdoulaye Diop interview ministre affaires etrangeres mae

Le 4e round du dialogue intermalien a été entamé le 20 novembre. Les rencontres se sont poursuivies à huis clos durant une semaine. Pouvez-vous nous faire un point de situation ?

Ces rencontres font suite aux précédentes, surtout la dernière qui s’est tenue en octobre à Alger et au cours de laquelle, la médiation a élaboré un document appelé «Éléments pour un accord pour la paix et la réconciliation au Mali».
À cette étape que nous venons d’entamer, l’objectif essentiellement est de discuter de ce document et de partager nos points de vue et nos observations. Vous savez, nous sommes aussi dans un processus de négociation où il est illusoire que chaque partie se retrouve dans le document à 100%.

Les divergences portent sur quels aspects ?
Il y a quelques aspects qui sont des points à approfondir encore pour nous.

Lesquels ?
Sur la question politique et institutionnelle, dans le document présenté  par la médiation, nous avons porté quelques observations. Essentiellement sur la notion des régions intégrées qui tend à intégrer plusieurs régions du pays. Nous avons pensé que cette proposition pouvait être attentatoire à l’unité du pays parce que cela avait tendance à considérer que les trois régions de Tombouctou, de Gao et de Kidal doivent constituer ensemble une entité unique que certains pouvaient appeler Azawad. En créant des régions intégrées, cela pouvait être le début d’une atteinte à l’unité nationale du pays. Mais nous n’étions pas contre que les régions puissent travailler ensemble, même dans le cadre de l’inter-régionalité, sur certains projets d’intérêt commun, que cela soit dans le domaine de la santé ou des questions de développement. Il est aussi question de la mise en place d’une zone de développement avec aussi une structure chargée de chapeauter la zone qui elle aussi ressemble à une entité. Le concept qui devait être derrière la zone de développement du point de vue du gouvernement, c’est que une fois qu’une région ou des régions sont déclarées zones prioritaires de développement, c’est sur une période limitée d’ailleurs, peut-être 10, 15 ou 20 ans, où il y aura vraiment un effort conséquent des pouvoirs publics pour pouvoir injecter des ressources importantes au niveau de ces régions pour pouvoir permettre de réduire les disparités avec d’autres parties du pays.
L’autre point crucial aussi, c’est que lors des échanges que nous venons d’avoir, ces jours-ci, les frères de la Coordination du mouvement MNLA , HCUA et MAA (signataires de la Déclaration d’Alger) ont remis sur la table, leur projet de fédération. Et vous savez que la fédération touche à ce qu’au Mali, le Président de la République considère comme une ligne rouge. Dès le début, le président Ibrahim Boubacar Keita avait sollicité le Président Bouteflika pour que l’Algérie s’investisse afin de ramener la paix au Mali.
Et, dès ce moment, il avait indiqué très clairement que pour lui, il était totalement disposé à la paix et au dialogue comme moyen de résolution de la crise. Mais il avait également rappelé qu’il y avait des lignes rouges qu’il ne pouvait pas franchir. Qu’il était prêt à discuter de tout sauf certains éléments ; la question de la fédération,  de l’autonomie  en faisaient partie.
Mais il y avait aussi des principes clés de notre Constitution, le respect de l’intégrité territoriale, le respect de l’unité nationale, le respect de la souveraineté et le respect du caractère laïc et républicain du Mali, et qu’en dehors de ceci, toutes les autres considérations pouvaient faire l’objet d’échanges.
Mais le fait que les groupes signataires de la Déclaration d’Alger tiennent à la revendication de la fédération, cela ne va-t-il pas bloquer ou gêner l’avancée des négociations ?
C’est un point important qu’il faudra lever. Nous ne comprenons pas pourquoi les frères remettent ce projet sur la table. Premièrement, dans la feuille de route, ils ont accepté tous ces principes, et c’est la feuille de route qui gouverne ces discussions. D’ailleurs, nous les saluons pour cet effort qu’ils avaient fait. Et quand on était là en octobre, ils avaient mis sur la table, ce projet de fédération que  l’équipe de médiation dans son ensemble avait formellement rejeté en indiquant que cela sortait du cadre des négociations et cela n’était pas envisagé dans le cadre de la feuille de route. Vous savez le Mali est un État unitaire. Aller dans  le sens de la fédération, cela veut dire créer un autre État, parce que pour qu’il y ait une  fédération, il faut deux États. Deux États, cela veut dire que  nous sommes dans le processus de remise en cause des frontières du pays. Même sur un autre plan, aller vers la création d’un autre espace menace la paix et la sécurité de la région. Vous savez, qu’en 2012, quand le Mali a perdu une bonne partie de son territoire, les groupes indépendantistes qui avaient pris le contrôle du Nord ont été chassés en quelques jours par les groupes terroristes. Accepter aujourd’hui d’aller dans ce sens, de notre point de vue, va créer une instabilité permanente dans la région. Nous pensons cependant que nos frères, nos sœurs qui ont pris les armes pour les raison qui leur sont propres et qui ont mis sur la table un certain nombre de préoccupations, dont certaines sont fondées, que nous sommes disposés à discuter avec eux.

C’est dans cette optique que le gouvernement, dans le cadre de la vision du Président de la République de la refondation de l’État malien et de la Rénovation de la gouvernance au niveau du Mali, a exprimé sa volonté d’instaurer une libre administration des collectivités, de la renforcer et de donner plus de pouvoirs aux régions à travers un transfert important des prérogatives au niveau des régions, et que à travers cette réorganisation, il était possible aussi que les collectivités et les populations puissent se prendre en charge, et ce même si cette réorganisation peut toucher à l’ensemble du pays. Mais il est possible qu’à travers les zones ingérées, un effort conséquent pour les régions du Nord soit fait, et que cette réorganisation puisse permettre de prendre certaines spécificités. Nous avons également exprimé notre volonté d’améliorer la représentation de toutes les communautés du pays dans les instances de décision.

Selon vous, le gouvernement malien a fait les concessions nécessaires et il ne peut pas aller au-delà ?

Nous n’allons pas dire cela. Parce que quand vous venez à une négociation, il faut donner en espérant recevoir quelque chose. Nous sommes venus dans le cadre de cet état d’esprit. Nous ne venons pas dans le cadre d’un diktat.
Mais nous avons seulement indiqué qu’il y a des choses sur lesquelles nous ne pouvons pas céder. Et cela sont des principes clés que nous avons affirmés avant d’entrer dans le processus et que nous avons constamment rappelé. Nous pensons que dans le cadre des offres faites par le gouvernement, nous pouvons éventuellement réaménager en fonction des demandes de l’équipe de médiation ou des frères. Nous avons assez d’espace si l’on sort des concepts préfabriqués ailleurs et qui ne sont pas adaptés à notre situation.

Les différents membres de l’équipe de la médiation ont demandé, à l’ouverture du 4e round aux groupes politico-militaires, de faire plus de concessions et compromis pour faire avancer le dialogue et aboutir à un accord de paix. Est-ce à dire que du côté de l’équipe de la médiation, on estime que le gouvernement malien a fait ce qu’il fallait pour cela ?
L’équipe de la médiation tient le même langage vis-à-vis du gouvernement en estimant qu’il faut que chacun doive faire les efforts nécessaires et les concessions qu’il faut pour pouvoir aller de l’avant. Justement, nous voulons avoir cette conversation avec les frères qui sont maintenant à un niveau de discussion. Si l’on arrive à sortir de ce schéma de fédération, on pourra vraiment regarder et examiner en détail l’offre de la partie gouvernementale où l’on peut enregistrer des avancées. C’est là aussi où l’on pourra faire des efforts supplémentaires pour prendre en charge ces préoccupations en gardant à l’esprit qu’il y a des choses qui sont vraiment essentielles et cardinales dans la structuration de la république, et que sur ces questions, il est vraiment difficile de céder sans toucher à l’unité du pays.
Cette crise est multiforme. Nous en avons conscience aussi, à commencer par l’arrivée d’éléments consécutifs à la crise libyenne où certains éléments ont quitté avec armes et bagages, et sont venus dans le nord du Mali. Cela a constitué l’élément déclencheur. Mais nous savons qu’il y a certainement beaucoup d’implication, mais ne nous ne voulons pas aller sans avoir d’éléments précis pour accuser qui que ce soit. Mais nous savons qu’il y a cet élément extérieur qu’il faut prendre en considération. Il peut y avoir d’autres éléments. Mais, aujourd’hui, c’est surtout l’élément du terrorisme qui a une dimension importante, une dimension qui nous préoccupe au plus haut point. Il y a toujours des motivations ;  les autres États ou entités ont leurs intérêts et ils vont chercher, par des moyens qui leur sont propres, à avoir ce qu’ils veulent. Mais ce qui est important, c’est que si les Maliens sont unis, nous serons en mesure de contrer beaucoup de ces velléités. C’est pourquoi il nous faut aujourd’hui un accord politique, un accord de paix qui permet entre Maliens de travailler à construire notre pays, mais aussi à travailler à contrer certains agendas qui ne peuvent pas être dans le sens des intérêts des Maliens.

De l’avis de tous, cette étape est cruciale pour le processus et que vous ne pouvez plus prendre davantage de temps pour aboutir à un accord de paix, car il y a urgence…
Dès le début, il y avait cette urgence. Et elle nous interpelle chaque jour davantage. Pourquoi ? Regardez la souffrance de la population sur le terrain. Beaucoup de nos compatriotes qui sont dans les camps de refugiés ou qui sont dans des personnes déplacées ou même ceux qui sont dans le pays  ne vont pas à l’école ; ils n’ont pas accès aux soins, il n’y a pas de routes nécessaires, il y a également l’élément terroriste.
Vous aves vu, ces dernières semaines, la recrudescence des menaces terroristes avec beaucoup de pertes en vies humaines du côté de l’armée malienne, des populations mais aussi du côté des forces internationales ? Tout cela nous interpelle et nous indique que la situation sur le terrain est préoccupante, et que cela exige de nous d’aller vite. Parce qu’il y a aussi des groupes terroristes et des groupes de narcotrafiquants qui sont hostiles à la paix et qui vont jouer contre le processus qui est en cours. Nous devons être conscients et aller vite pour ne pas laisser le champ aux ennemis de la paix de prendre pied et de menacer le processus.

Cette prise de conscience est-elle partagée par tous les belligérants ?
Si je m’en tiens aux déclarations des uns et des autres, oui. Mais nous devons aller au-delà des déclarations.  Il faut, aujourd’hui, des actes. Si certains estiment qu’il y a des parties du pays qui sont sous leur contrôle, cela exige une responsabilité. Vous ne pouvez pas avoir le contrôle d’une partie du pays et que vous soyez en même temps dédouanés des responsabilités qu’impliquent la présence de certains actes.
Ils doivent s’engager et prendre les mesures nécessaires pour pouvoir coopérer avec la communauté internationale pour que les actes criminels ou terroristes qui se passent sur les territoires qui sont sous leur contrôle puissent cesser.

Vous estimez qu’il faudra combien de temps pour parvenir à cet accord de paix ?
Il est difficile de se projeter en termes de temps. Nous sommes tous pressés. Il y a urgence pour tout le monde, mais, en même temps, aucun de nous ne doit sous-estimer la difficulté et la complexité de la tâche dans laquelle nous sommes engagés. Tout est possible si chacun de nous continue à démonter un engagement sans faille. Un engagement sincère. Si nous continuons aussi à bénéficier de l’amitié, du soutien et de l’intérêt de la communauté internationale, avec l’Algérie en tête. J’avoue que nous sommes très reconnaissants envers le Président Bouteflika, le ministre Lamamra et toute son équipe, mais aussi l’ensemble du peuple algérien qui a consenti des efforts extrêmement importants pour se dédier à ce processus. Nous pensons que pour réaliser des choses dans le calendrier que nous souhaitons , cela demande une conjonction d’efforts. Nous saluons l’engagement de la communauté internationale auprès du Mali, car ce n’est pas le seul foyer de tension dans le monde, mais elle a décidé d’être aux côtés de l’Algérie et d’aider le Mali à travers cette médiation. Ceci mérite que la partie malienne fasse le pas nécessaire pour continuer à mériter cette confiance.

On a l’impression que le processus est très fragile. Partagez-vous ce sentiment ?
Ce genre de processus n’est jamais un fleuve tranquille. Chacun de nous souhaite que les acquis soient préservés et que nous puissions les renforcer et aller de l’avant. Il est vrai que souvent, on a le sentiment que les engagements sont remis en cause et que nous faisons un pas en avant et deux en arrière. Mais il y a eu des avancées parce que personne ne tend à remettre en cause le processus lui-même. Il y a des tactiques de négociations. Mais ce qui est important, c’est que les engagements qui sont signés soient tenus.  Nous sommes tous signataires de la feuille de route et nous savons ce qu’il y a à l’intérieur comme engagements, et tous les engagements sont respectés.  C’est ce qui permet de consolider les choses et qu’il faut à chaque fois rappeler aux uns et aux autres. Vous avez raison, ce sentiment peut être inhérent à ce type de processus.

Êtes-vous optimiste ?
Je suis confiant et je suis certain que nous allons aboutir à un accord de paix. Je ne peux pas vous dire exactement quel jour. Nous espérons et nous prions Dieu que cet accord soit le plus proche possible et que les quelques points qui sont encore à approfondir pourraient être aplanis assez rapidement pour nous permettre d’avancer.
Mais ce n’est pas simple. Nous sommes engagés et nous pensons tenir le bon bout ; nous pensons parvenir à cet accord et nous avons cette responsabilité chacun de nous de faire les efforts qui sont nécessaires pour aller vers l’accord qui n’est en fait qu’une étape. Parce que l’accord va ouvrir une étape vers une paix qui va exiger encore d’autres efforts supplémentaires. sa mise en œuvre sera un nouveau chantier, mais l’accord permettra de consolider les choses et de donner cet  espace pour renforcer chaque jour la confiance entre les parties.

Les liens d’amitié qui existent entre nos deux pays favorisent-ils la médiation de l’Algérie ?
Nous partageons plus de 1.200 kilomètres de frontières, l’Algérie qui a toujours été impliquée dans les différents processus de paix au Mali a une bonne connaissance des enjeux politiques et stratégiques, et est impliquée dans ce sens où l’instabilité au Mali, c’est l’instabilité en Algérie. Il y a beaucoup de raisons pour que l’Algérie doit jouer ce rôle.
Ces éléments ont favorisé le fait que notre Président se soit tourné vers l’Algérie — qui est un partenaire naturel pour nous — pour aider à ramener la paix et la stabilité.
L’Algérie est un acteur régional extrêmement important, respecté dans le monde, et je crois qu’avec cette présence importante, la crédibilité qu’elle a au plan africain et au plan international lui donne de atouts supplémentaires pour pouvoir travailler avec chacune des parties et utiliser son influence auprès des uns et des autres pour faire avancer les choses.
Entretien réalisé
par Nadia Kerraz

Source: Elmoudjahid

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