Le Mali, à l’image de l’Afrique, est à la croisée des chemins pour son essor économique. Cela, d’autant plus que notre pays est plus que jamais au cœur des préoccupations de sécurité et de développement pour définitivement tourner la tragique page de la crise que le pays traverse depuis janvier 2012. Si les potentiels ne manquent pas, ils ne profitent pas au pays et aux populations à cause du manque de vision et de volonté politiques de soustraire notre économie de la rente capitaliste. «Les fiertés au Mali, c’est le bazin d’Allemagne, le thé de Chine, le riz du Vietnam, l’or de Dubaï, le sucre du Brésil, le ciment du Sénégal» !
C’est le coup de gueule d’un compatriote sur les réseaux sociaux pour démontrer que notre pays a tous les atouts pour tracer sa propre voie de développement, mais n’y parvient pas. Et cela, parce que nos dirigeants préfèrent s’en remettre à d’autres pour non seulement approvisionner le pays, avec le surcoût de sa continentalité, mais aussi lui indiquer la voie de son essor socio-économique.
Le ciment, nous en produisons aujourd’hui grâce à des industriels indiens. Le sucre aussi grâce aux Chinois. Mais ces productions ne sont pas encore suffisantes pour libérer l’économie nationale du joug des importations. Le scandale, c’est surtout le métal jaune dont la production au Mali s’est presque stabilisée à 50 tonnes en 2015. Un chiffre conforme aux résultats enregistrés les années précédentes avec notamment 49,8 tonnes en 2014, 47 tonnes en 2013, 50 tonnes en 2012. Sans compter les nouvelles ouvertures de mines qui pourraient porter cette production nationale à 60 tonnes en 2017.
Notre pays prévoit de produire 800 000 tonnes de coton non égrené par an, d’ici à 2018. La production a déjà bondi de plus d’un quart au cours de la campagne 2014-2015, grâce à l’amélioration des intrants agricoles. Ainsi, les chiffres de production définitifs de la campagne 2014-2015 s’élèvent à 552 000 tonnes, contre 440 000 tonnes au cours de la saison précédente.
Avant d’être éjecté, à la surprise générale et malgré ses performances presque miraculeuses, Kalfa Sanogo avait affirmé que le Mali prévoyait d’investir entre 60 et 70 milliards de Fcfa (122 millions de dollars) par an pour réaliser ses objectifs et surtout, prendre le leadership dans la production de l’or blanc (coton) en Afrique. «Pour atteindre cette cible, il faut que les mesures qui ont contribué à atteindre un bond de la production de 25% cette année soient maintenues», a-t-il ajouté. Son successeur, en essayant de caresser les producteurs dans le sens du poil, y parviendra-t-il ?
Au Mali, nous avons des indices de gaz naturel et de pétrole qui ne sont pas encore exploités à cause, probablement, des intérêts géostratégiques. Mais le sous-sol malien est très riche avec l’uranium, le fer, la bauxite, le cuivre, le marbre, le manganèse… et surtout, avec l’or qui est le premier produit d’exportation du Mali, devant le coton.
L’énergie, le goulot d’étranglement des industries
L’économie du Mali reste dominée par le secteur primaire, notamment agricole. N’empêche que sur le plan de la sécurité alimentaire, le pays dépend encore des importations alors qu’il a le potentiel d’être le grenier de l’Afrique de l’Ouest avec deux fleuves importants (Niger et Sénégal) et leurs affluents, des terres cultivables à perte de vue.
Les moyens de production demeurent archaïques et les intrants chers à cause de la corruption liée à l’attribution des marchés. La modernisation de l’agriculture est une ambition qui ne se manifeste que dans les discours démagogiques. Sans compter que les politiques nationales ont montré leurs limites à affranchir ce secteur de ces difficultés récurrentes, comme les sécheresses répétitives depuis les années 1970, la baisse du prix des matières premières produites (coton), la hausse des coûts de production (intrants et carburants).
Les secteurs secondaires (industrie) et tertiaire sont peu développés. Le secteur industriel étant peu développé, le Mali importe une grande partie des biens de consommation. L’industrialisation de notre pays est gênée par l’insuffisance de ses infrastructures. Il est certain que l’économie malienne a toujours été orientée vers la spécialisation agricole. Cela est peut-être déjà un premier atout, d’autant plus que les produits agricoles peuvent donner lieu au développement d’entreprises solides transformant sur place la production agricole et, du coup, apporter à l’économie nationale des valeurs ajoutées indispensables à sa croissance.
Les autorités maliennes ont-elles réellement l’ambition d’aller dans le sens de l’industrialisation du pays ? En tout cas, les entraves sont connues, sans que des solutions concrètes soient apportées depuis des décennies. La concurrence déloyale (créée par l’Etat qui ne contraint pas toutes celles qui exercent les mêmes activités à appliquer la TVA sur leurs produits), le difficile accès au crédit bancaire et le coût élevé de l’électricité sont, entre autres difficultés évoquées par Mme Mariko Fadima Siby, la promotrice de l’UCODAL, qui était l’invitée du 5ème numéro de «Dialogue des générations». C’était le 12 mars 2016 à la Maison de la Presse. «C’est l’électricité, avec surtout son coût élevé qui est à la base de la destruction de nos entreprises», avait-elle précisé.
Ironie du sort, la Banque mondiale et le FMI ne cessent de mettre la pression sur le gouvernement pour l’arrêt des subventions à «Energie du Mal», pardon, Energie du Mali (EDM), entraînant irrémédiablement une hausse conséquente du coût de l’électricité. Cette dynamique et compétente entrepreneure et industrielle (Mme Siby) a dénoncé le fait que les plus hautes autorités du pays ne se déplacent que pour l’inauguration des sociétés financées à plusieurs milliards de nos francs (profitant des facilités fiscales pour s’enrichir et priver le Trésor public de centaines de milliards de Fcfa) et qui ferment portes quelques mois après et non pour des unités qui transforment nos produits locaux et employant la main-d’œuvre locale.
«Les contraintes au développement industriel du Mali sont, entre autres, l’insuffisance d’infrastructures, le coût élevé de l’énergie, le manque de qualification des ressources humaines, la fiscalité très élevée et inéquitable», avait aussi diagnostiqué Cyril Achcar, président de l’Organisation patronale des industriels (Opi), lors d’une récente célébration de la Journée de l’industrialisation de l’Afrique.
La base industrielle s’est effondrée sous le poids de la mauvaise gestion
Parlant des contraintes liées à l’industrialisation, ce capitaine d’industrie a cité «la fraude intellectuelle et la concurrence déloyale, la contrebande et la contrefaçon, l’insécurité des entreprises industrielles et la lourdeur administrative à mettre en œuvre les avantages du Code des investissements». Il aurait pu aussi ajouter le manque de vision stratégique et de réelle volonté politique des régimes qui se sont succédé au Mali depuis novembre 1968.
Comme beaucoup de pays en développement, notamment les ex-colonies françaises, le Mali- tire peu de choses de ses richesses qui sont exploitées et exportées à l’état brut. Arrosé par deux grands fleuves et beaucoup d’autres petits et moyens cours d’eau, le Mali est le premier producteur de coton et de céréales avec un sol très riche…
Qu’en tire l’économie nationale ? Quels profits les Maliens tirent-ils de ces richesses pour s’assurer un bien-être social et économique ? Faute d’industrialisation, ces précieuses ressources n’apportent presqu’aucune valeur ajoutée indispensable à la croissance économique et à la lutte contre le chômage, donc contre la pauvreté.
L’industrialisation de ce pays reste toujours dans sa phase embryonnaire avec des infrastructures classées parmi les moins développées au monde. Et pourtant, la première République (22 septembre 1960-19 novembre 1968) avait posé les jalons de la souveraineté économique et financière du Mali avec des industries dans tous les domaines, une monnaie propre au pays et des politiques ambitieuses dans tous les secteurs économiques. L’une des conséquences du putsch du 19 novembre 1968 a été de ramener l’économie malienne sur la voie toujours tracée par le colon : la production de matières premières pour ravitailler les industries occidentales ! Autrement, développer les puissances coloniales aux dépens des colonies.
Cela a un double impact socio-économique : la réduction des potentiels d’emplois ; donc l’accroissement du chômage et surtout la suppression de valeur ajoutée sans lesquelles la croissance économique ne peut être que précaire.
Le mérite du regretté Modibo Kéita était qu’il avait une vision claire de sa mission et il était déterminé à consentir tous les sacrifices pour y parvenir. Y compris à se séparer de certains compagnons plutôt séduits par le modèle capitaliste, donc le profit et les bénéfices personnels.
Cet homme d’Etat était convaincu qu’au-delà de l’indépendance, la souveraineté était une aspiration du peuple qui ne pouvait être concrétisée sans des mesures socio-politiques et économiques appropriées. Et l’industrialisation était la meilleure stratégie pour se soustraire du joug imposé par le colon sur le secteur économique.
Une dynamique brutalement interrompue le 19 novembre 1968.
Quel peut être le poids politique et diplomatique réel d’un pays entièrement enclavé et dépendant totalement de l’importation de ses besoins les plus élémentaires ? La réponse est évidemment négative. La dépendance changerait juste de forme, surtout que des voisins comme la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët Boigny et le Sénégal du Léopold Sédar Senghor étaient restés fidèles au modèle capitaliste. La Guinée de Sékou Touré ne pouvait être d’une grande utilité à cause du relief accidenté qui rend le port de Conakry difficilement accessible. O
n comprend alors aisément que Modibo Kéita et son équipe se soient attelés à la création de plusieurs petites industries. Ainsi, sucrerie, rizerie, cimenterie, usine de céramique, manufacture de tabacs et d’allumettes, tannerie, usine de textile, abattoir frigorifique, huilerie conserverie…ont été initiés pour donner plus de poids économique au pays et réduire sa dépendance des produits importés. Une quarantaine de sociétés et d’entreprises d’Etat verront le jour entre 1960 et 1967, afin de consolider l’indépendance économique du jeune Etat souverain.
Et pour mieux affirmer la souveraineté nationale, le franc malien fut créé le 1er juillet 1962. Le 16 décembre 1966, l’inauguration du barrage de Sotuba sur le Niger fera figure de réalisation de prestige, témoignant de la mise en œuvre du projet socialiste malien. Avec l’africanisation des cadres et la création des sociétés et entreprises d’Etat, l’équipe de Modibo Keïta entendait rendre aux Maliens la maîtrise de leur destin. Le Mali devenait un danger pour l’impérialisme et le néo-colonialisme, comme l’est aujourd’hui le Rwanda de Paul Kagamé.
Et comme l’a été le Burkina Faso de Thomas Sankara (paix à son âme) dans les années 80.
Depuis la rupture brutale et insensée du 19 novembre 1968, aucun régime n’a réellement réussi à impulser à l’économie nationale le rythme d’une croissance soutenue. Ils semblent ne pas comprendre que le traitement et la transformation de nos richesses minières, agricoles et sylvo-pastorales offriront indéniablement des opportunités de création de petites, moyennes, voire, grandes entreprises.
Comme plusieurs chercheurs l’ont démontré récemment, à l’image du continent, au Mali, il est temps de créer les conditions de l’émergence d’une «nouvelle génération de leaders, capables de relever plusieurs défis, comme ceux de la fragmentation de l’espace, de l’histoire et du savoir, de la refondation de l’Etat post-colonial, de la promotion de la démocratie et des droits humains, et de la mise en place de nouvelles conditions de paix et de liberté, gage d’un développement durable».
À notre humble avis, le retard du Mali s’explique par un manque de vision politique et économique des dirigeants du pays depuis 1968. Cette situation est aussi liée à la mauvaise gouvernance qui fait que les ressources sont exploitées au profit des multinationales, du régime en place et de ses barons. Cela implique aussi une mauvaise gestion des compétences nationales. Dans les stratégies de gestion, peu importe les compétences ; l’essentiel, c’est d’être du parti au pouvoir ou d’être pistonné par l’un de ses barons.
Pour alors développer le Mali, il faut des dirigeants courageux qui ne nourrissent aucun complexe vis-à-vis de l’Occident et qui sont soucieux de doter le pays de sa propre voie de développement conforme à nos valeurs. Des dirigeants comme Paul Kagamé du Rwanda ou le regretté Thomas Sankara du Burkina Faso. Qui incarne cet oiseau rare dans la classe politique malienne actuelle ?
Moussa BOLLY
Source: Le Reporter