L’interventionnisme des religieux dans la vie politique et sociale depuis plusieurs années dans notre pays suscite de nombreux débats et fait craindre une menace contre la laïcité pourtant inscrite dans la Constitution malienne. Pour édifier l’opinion publique, Rfi a engagé le débat autour de la question avec des regards croisés d’éminents chercheurs, hommes politiques ou de droit et des religieux.
Dr Madi Kébé, enseignant chercheur en science politique, Maître Mountaga Tall, président du CNID-Faso Yiriwaton, Jean-François Mari Camara, membre des jeunes chrétiens du quartier de Garantiguibougou, l’imam Oumarou Diarra du M5-RFP et Dr Amadou Koné, imam et professeur à la faculté des Sciences Techniques se sont penchés sur un certain nombre de questions ayant trait à la laïcité. Le Mali peut-il être encore considéré comme un pays laïc ? Quelle définition donner à la laïcité malienne ? Face à la fièvre terroriste, faut-il craindre pour la laïcité au Mali ? Ce sont, entre autres, les questions posées par notre confrère Alain Foka de RFI en marge de l’« Autre forum de Bamako « .
Mais c’est quoi la laïcité au Mali ? Amadou Koné a estimé que le Mali a toujours été laïc depuis le temps des grands empires. Ajoutant que » toutes les confessions religieuses s’exprimaient librement et le Mali indépendant n’a pas fait exception à ce bon cadre de vie « . Et de préciser que » l’expression populaire prend en compte la dimension religieuse sans que cela ne soit un diktat « .
Contrairement à Koné, Jean-François Mari Camara a affirmé que la laïcité de la République a pris » un coup sous le régime de Moussa Traoré qui a accordé plus de places aux chefs religieux et que cette situation n’a pas changé avec l’avènement de la démocratie en 1991 « . Il a déclaré que » l’irruption des leaders religieux sur la scène politique est due à la faiblesse des partis politiques « . Une réalité qui s’explique par le fait que ce sont les partis politiques en quête de légitimité qui » courtisent les chefs religieux « , a fait savoir docteur Koné.
Pour Mountaga Tall, »la course » des partis politiques aux leaders religieux relève d’un cliché. » Chaque fois que les religieux ont fait irruption sur la scène politique, c’est parce qu’il y avait des lois qui portaient atteintes à des valeurs religieuses et que les Maliens, dans leur grande majorité, refusaient « , a-t-il expliqué et d’ajouter que » la défiance des religieux n’est pas vis-à-vis de la classe politique mais de la gouvernance et des gouvernants « .
Le président du CNID Faso Yiriwaton a indiqué que » la laïcité est le domaine par excellence où le Mali a rompu avec l’ancienne puissance coloniale « .
Pour lui, la laïcité au Mali est »l’intégration de la religion dans tous les domaines ». A l’en croire » vouloir gommer la religion ou attenter à la religion est synonyme d’avoir tous les Maliens sur le dos « . Il précise, toutefois, qu’il est essentiel que » la religion se conforme à la loi, mais que la loi également ne viole pas les principes sacrés de la religion « , a-t-il déclaré.
Pour Dr Amadou Koné » la laïcité malienne n’est pas menacée, car l’état est à équidistance de toutes les religions et chacun est libre d’adhérer à la religion de son choix « . Un point de vue partagé par Jean-François Camara qui a souligné que » les chrétiens ne sont pas une cible d’attaque particulière au Mali « tout en rappelant que le gros problème du Mali est » la mauvaise gouvernance « .
Par ailleurs il a précisé qu’un leader religieux ne doit pas prendre position pour un parti ou un homme politique, » il doit être un partisan pour la paix et la réconciliation « .
L’imam Oumarou Diarra a déclaré que face au problème de gouvernance, » aucun leader religieux n’a fait appel au nom de la religion et il n’y a pas de problème de cohabitation entre chrétiens et musulmans au Mali « . Cependant, il faut » bâtir notre démocratie sur nos valeurs endogènes au lieu d’une démocratie importée « , a-t-il indiqué.
Pour Mountaga Tall, « la laïcité au Mali va au-delà de son caractère institutionnel « . « C’est également sociologique. Chrétiens et musulmans se marient au Mali et les fêtes sont célébrées ensemble « , a-t-il laissé entendre. Et de poursuivre que « ce qui a ralenti l’avancée des terroristes est le fait que les Maliens tous ensemble ont refusé ce mouvement sans considération confessionnelle « .
Abondant dans le même sens, Jean-François Camara a ajouté que les groupes terroristes bénéficient d’une sympathie dans des zones où » l’Etat est défaillant « . Par ailleurs » la divergence de perception de l’islam fait que chaque fois que ces terroristes s’installent dans une zone, l’on assiste à un déplacement interne des résidents », estime Mountaga Tall. Comme pour indiquer que les Maliens, dans leur écrasante majorité, n’adhèrent pas à l’extrémisme violent prôné par les mouvements djihadistes.
Moussa SIDIBE, stagiaire
Source : l’Indépendant