Kabako ! Depuis un certain temps, le Mali est devenu un pays, où des gens riches sortis du néant ont ravi la vedette aux honnêtes citoyens dont le tort serait de travailler à la sueur de leur front.
Ils sont célébrés par des profiteurs, médiatisés par des auto-proclamés journalistes, cajolés par des fainéants, encensés par des admirateurs, sollicités par des paresseux, courtisés par des gens qui ne croient plus à leur avenir et portés au sommet de la hiérarchie sociale par une meute de troubadours sans carrière dans le métier qu’ils ont embrassé. Il ne reste plus qu’à ces gens d’ériger un monument en l’honneur de leurs bienfaiteurs d’un printemps. Quelle honte pour une société malienne réputée pour ses valeurs de probité, d’honnêteté, de mérite et de travail bien fait ?
Et l’État malien dans tout ça ?Jadis connu pour ses valeurs historiques et sociétales qui ont forgé une nation et résisté aux péripéties de l’évolution du monde, le Mali d’aujourd’hui est aux antipodes de la morale. Certains de ses enfants ont décidé de porter la honte en marchant tout ce qui pouvait maintenir la cohésion sociale et le vivre-ensemble. Ils sont riches alors qu’ils ne sont pas adossés à un empire économico-financier et industriel.
Dans leurs largesses, ils distribuent des millions, des voitures, des kits alimentaires et scolaires, construisent des maisons, creusent des forages, paient des ordonnances, organisent des tournois de football, parrainent des activités culturelles. Est-ce la contrepartie de leur pacte signé avec le diable, le Satan ou les sociétés secrètes ?Le phénomène des gens riches sortis du néant ne date pas d’aujourd’hui. Des femmes et des hommes ont toujours emprunté cette voie pour se donner un nom ou de prendre leur revanche sur la société. Mais ils ont toujours été combattus par les gardiens de notre société qui ont toujours dit que le chemin de la réussite passe nécessairement et obligatoirement par le travail et le travail bien fait. C’est pour cette raison qu’ils n’ont jamais été considérés dans nos sociétés comme des exemples de courage, de probité, mais comme des filous à ne même pas côtoyer.
Et cela, malgré les scènes d’exhibition de leurs fortunes et le confort dans lequel ils baignent. Malheureusement, les femmes et les hommes qui s’adonnent à cette pratique sont protégés au plus haut sommet de l’État qui a failli à une de ses missions de mener des enquêtes sur des gens aux fortunes douteuses. Un héritage de la démocratieCe qui se passe sous nos yeux, n’est autre que l’héritage de la démocratie importée par des gens assoiffés des délices du pouvoir. Les putschistes de mars 1991, au nom d’une soi-disant liberté ont laissé le pays à la merci des bandes criminelles dont ils ont organisé en sociétés écrans pour se partager les dividendes à la fin de chaque opération de destruction ou de liquidation d’un des fleurons de notre économie (HUICOMA-COMATEX…).
Ils ont aussi encouragé cette nouvelle race de fortunés sortis du néant pour le financement de leurs formations politiques, afin d’acheter le maximum d’électeurs lors des élections jouées d’avance. Les démocrates-putschistes n’ont rien entrepris pour mettre fin à cette hémorragie sociale. Voilà que la pratique est en train de prendre une ampleur inquiétante. Elle risque d’entraîner la jeunesse malienne en proie au chômage et confrontée à toutes sortes de difficultés dans les eaux boueuses du fleuve Niger.Aujourd’hui, la société malienne est sérieusement menacée par des femmes et des hommes aux fortunes douteuses qui ravivent la vedette aux honnêtes citoyens dont le tort est de travailler dignement pour honorer leur place parmi les siens et d’être des modèles de courage, d’honnêteté, de bravoure, de persévérance, de sérieux, de vigueur pour les générations futures.
Ils sont parvenus grâce à leur argent aux origines floues à se faire célébrer, médiatiser, cajoler, encenser, solliciter, courtiser par une cohorte de personnes qui se recrutent dans tous les pans de notre société. Celles-ci ne tarissent pas d’éloges à leur égard. Elles les classent au rang des bénis de la République et tous ceux qui ne parlent de cette façon sont qualifiés d’aigris, de méchants et souvent même de mécréants. Que Dieu nous en garde !Face à cette situation inquiétante, la parole commence à être libérée sur le sujet.
Les uns et les autres s’inquiètent de l’enrichissement fulgurant des nouveaux riches qui inondent la capitale malienne. M. Drissa Fané, employé de banque, s’étonne que des gens qui ne possèdent ni société, ni unité industrielle distribuent l’argent de cette façon. Il pense que derrière cette richesse, il y a un crime. Il est convaincu que la vérité va éclater un jour sur l’origine des fortunes de ces gens.
M. Namori Keïta, manœuvre dans un service public, condamne le silence de l’État face aux agissements des gens dont on ne connaît pas le travail ils exercent. Pour Fatoumata Touré, enseignante dans un établissement secondaire, le phénomène est en train de dépraver nos sœurs en inculquant dans l’esprit des jeunes que le travail ne paie pas. «Si rien n’est fait pour interroger ces personnes sur l’origine de leur argent, c’en est fini pour nous. Aucun pays ne peut se développer avec la magie», dira Ousmane Thiam, traditionnaliste et homme de culture.S’il y a une inquiétude, c’est que cette catégorie des gens sortis du néant s’organise à prendre le contrôle de notre pays. Ils constituent aujourd’hui une menace pour la République et les fondements de notre société.
Certains sont déjà organisés en mouvement politique pour prendre et exercer le pouvoir. D’autres ont infiltré des partis politiques. La corruption aidant, le tour sera vite joué et les Maliens n’auront que leurs yeux pour pleurer à chaudes larmes.Pourtant, cette crainte avait été exprimée par des Maliens conscients face à la montée en puissance des narco- trafiquants qui voulaient passer par l’achat des consciences lors des élections pour arriver à Koulouba.
Cela veut dire qu’on n’est pas sorti de l’auberge.Si l’État a mis en place des structures de contrôle pour ses agents qu’en est-il des gens riches sortis du néant pour distiller la mauvaise graine dans notre société ?
Yoro SOW
L’Inter de Bamako