Cette question identitaire se pose avec force alors que les réfugiés subsahariens sont confrontés dans les pays d’Afrique du Nord à un violent racisme, souvent institutionnel. Pourquoi ces pays ont du mal à se considérer comme africains, s’interroge l’universitaire marocaine Maha Marouan, professeure agrégée d’études féminines et d’études africaines à l’université d’État de Pennsylvanie.
La multiplication des comportements violents, racistes et xénophobes envers les migrants “subsahariens” sans papiers en Libye et en Tunisie est particulièrement inquiétante.
Il devient urgent d’examiner le discours complexe, et souvent dangereux, qui imprègne la société nord-africaine sur les questions d’identité culturelle, de colonialisme et de racisme.
Ce discours, et la violence qui en découle, ne date pas d’hier. Mais, il y a peu, le président tunisien, Kaïs Saïed, a accusé ces populations (c’est-à-dire les migrants clandestins venus d’Afrique centrale et occidentale) de vouloir “faire de la Tunisie seulement un pays d’Afrique et non pas un membre du monde arabe et islamique” – comme si l’identité africaine était incompatible avec l’identité arabe ou musulmane.
En affirmant cela, il omet volontairement le fait que de nombreuses personnes, sur ce continent, se sentent à la fois arabes et africaines, africaines et musulmanes, voire les trois à la fois.
Mythe de l’homogénéité raciale et ethnique de l’Afrique du Nord
Ceux qui présentent les Noirs comme des étrangers en Afrique du Nord (comme si cette couleur de peau avait été apportée par l’esclavage et constituait un déshonneur) ne font que renforcer l’idée – fausse – que l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne seraient deux entités distinctes sur les plans ethnique et culturel.
Ce discours, qui stigmatise les populations d’Afrique centrale et occidentale (et invisibilise les peuples du Sahel), doit être remis en question de toute urgence. D’autant plus qu’il a désormais des répercussions directes sur le quotidien des migrants en Tunisie et en Libye.
La mise au ban de ces individus s’inscrit dans un discours plus général qui vient consolider le mythe de l’homogénéité raciale et ethnique de l’Afrique du Nord (qui serait peuplée d’Arabes, non noirs) et encourage la stigmatisation des populations locales à la peau sombre.
Ces théories font aussi écho à l’image que de nombreux Africains du Nord ont d’eux-mêmes : ils se considèrent comme Moyen-Orientaux avant tout, oubliant ainsi certaines facettes historiques, culturelles et territoriales de leur identité, qui les lient à l’Afrique.
Nous sommes nous aussi originaires de ce continent, et entretenons des liens ancestraux avec nos voisins des autres régions africaines. Ce sentiment d’appartenance au Levant, bien que sans fondement historique, ne fait qu’encourager la violence
Source : courrierinternational