Ce matin, je ne parlerai ni du séisme dramatique au Maroc, ni des inondations tragiques en Libye, ni de la crise migratoire. Pourtant ô combien importants ! Mais, en cette date anniversaire de l’indépendance du Mali, je traiterai du conflit armé entre le régime transitoire malien et le CSP-PSD.
L’Amenokal de Kidal, le loyaliste et le pacifiste
Au Mali, il n’y a pas de régime politique sans conflit armé entre le pouvoir central de Bamako et Kidal. Depuis notre indépendance, à l’origine des différents conflits armés, il y a la rébellion d’une partie des Touaregs kidalois. Rappelons que tous les Touaregs ne sont pas rebelles. Ne stigmatisons pas ! Ceci dit, elle s’illustre par une lutte armée séquençant la vie de la nation. Peu importe le contexte, elle est l’un des vieux démons de notre société qui bazarde le Mali, opposant les enfants d’un même pays.
En général, dans les régimes civils où l’opposition politique existe, les relations entre Kidal et Bamako sont tempérées. Dans les régimes militaires où la liberté d’expression est rétrécie, les rivalités entre Bamako et Kidal s’exacerbent. Dans le régime transitoire actuel où l’on promeut un pouvoir d’exception, les crispations entre Bamako et Kidal sont à leur summum.
L’exécutif et les chefs kidalois ont beau avoir les liens les plus forts, comme le furent entre le président Alpha Oumar Konaré et l’Amenokal (chef) de Kidal, Intalla Ag Attaher, le pays n’échappe pas à la malédiction.
Les poussées rebelles (1963, 1990, 1996 et 2012) l’illustrent. Mais, avant sa mort en 2014, loyaliste et pacifiste, l’Amenokal de Kidal incarnait le Mali. Interlocuteur principal de Bamako, l’influence symbolique et morale de l’Amenokal permettait d’apaiser les tensions entre Bamako et Kidal. Il était un fervent défenseur du compromis, clef de voûte de tout dialogue.
Méconnaissance réciproque
Les crises rebelles provoquent des fractures au sein de l’opinion malienne. Le pouvoir central à Bamako est perçu par une partie de la jeunesse kidaloise comme corrompu et inefficace pour répondre à ses attentes : inclusion, développement… En face, une partie de l’opinion bamakoise se représente Kidal comme une région belliciste et indépendantiste.
En fait, les relations entre Bamako et Kidal ont toujours été bancales. Elles sont comparables à une histoire de jalousie entretenue et aggravée par la méconnaissance des modes de vie et de pensée des uns et des autres. La suite est simple : on se rejette par méconnaissance réciproque.
Aujourd’hui, Kidal est de nouveau l’objet de tensions géopolitisées. Suivez mon regard. Ce qui est sûr, le centaure des luttes armées entretient les pulsions conflictuelles entre les frères et sœurs maliens. A la place d’un roman national, ce sont des personnes, des territoires et des identités sociales qui s’éteignent.
La perte de confiance est mutuelle. Le sens de la paix, de la famille, de l’amitié, de la solidarité ou de l’humanité se perd au profit du crépitement des armes. Quel tumulte ! Or, les brassages culturels, les alliances culinaires et les conventions sociales nous exigent à faire la paix pour mieux vivre ensemble. Face à l’histoire, notre responsabilité est engagée.
Ber l’étincelle
Bien entendu, chaque acteur possède son narratif des faits, répétés pour les besoins de la cause. De longs récits sont psalmodiés çà et là. Les débats se polarisent. Mais, pour revenir au conflit armé actuel, c’est la restitution des sites de la Minusma à l’Etat malien, notamment celui de la ville de Ber qui a mis le feu aux poudres.
Ber est devenu le symbole des affrontements armés entre le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD) et le régime transitoire. Ber, c’est aussi l’étincelle qui a enflammé le Mali. Comme toujours, les harpies des luttes armées se gorgent des failles d’une gouvernance en mal de relations qualitatives entre les parties prenantes dans un conflit.
Aqmi et EIS exultent, car cette maladie du conflit profite en premier à eux. A l’évidence, le conflit armé est aussi la conséquence de l’échec de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation de 2015. Alors que nous n’avons même pas encore fini de panser les plaies de 2012. Comme dit un collègue, penser la guerre, c’est déjà la faire. On ne compte plus les morts, le Mali vacille. Face aux démons de la guerre, pensons et construisons la paix, un sentier loin d’être tranquille.
Le héros de l’indépendance et 1er président civil du Mali, Modibo Kéita, s’est heurté à la question de la paix à travers Kidal. Sa gestion de la rébellion de 1963 a divisé les Maliens. Une partie de la population de Kidal reproche au régime de Kéita de contribuer à leur stigmatisation.
Un sentiment de rejet de Kidal par Bamako est né. Moussa Traoré, 1er président militaire du Mali et auteur du putsch contre Modibo Kéita en novembre 1968, a aussi trébuché sur la question de la rébellion, une des causes de la décrépitude de son pouvoir. Les manifestations du Mouvement démocratique et la rébellion emportent son régime dont le coup de grâce a été donné par le putsch d’Amadou Toumani Touré (ATT) en mars 1991.
Une tache prométhéenne
2e régime civil et démocratique, Alpha Oumar Konaré a su réguler la crise rebelle grâce à sa volonté politique. Son régime a su éviter un conflit armé d’ampleur. Sous son règne (1992-2002), des sentiers de paix ont été édifiés. En 1996 à Tombouctou, Konaré célèbre la cérémonie de la Flamme de la paix. Construire la paix, c’est donc s’inscrire dans une œuvre prométhéenne. Le pouvoir de son successeur, ATT (3e président élu) a été fragilisé par les différentes rébellions et particulièrement celle de 2012 porté par Bilal Ag Cherif du MNLA, l’actuelle CMA.
Ag Cherif a profité du chaos libyen suite à l’intervention militaire de l’Otan (2011) contre le régime de Kadhafi pour créer une nouvelle rébellion. Finalement, ATT a été renversé par le putsch militaire d’Amadou Haya Sanogo en mars 2012.
Pris par le temps, le régime transitoire de Dioncounda Traoré a légué au régime du président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, IBK, (4e président civil) la patate chaude de la crise rebelle. Mais, IBK a été impuissant pour imposer la paix en dépit de l’Accord pour la paix et la Réconciliation de 2015. Une colère ambiante gagne les Maliens.
La dégradation sécuritaire et les manifestations du M5-RFP emportent son régime, parachevé par le putsch militaire d’Assimi Goïta d’août 2020. Ainsi va s’écrit l’histoire du Mali.
Le showroom des conflits armés
Pour finir, les relations entre le régime transitoire et le CSP-PSD se sont durcies avec la reprise du conflit armé. Bamako et Kidal ne se parlent plus. Officiellement. Bamako et Kidal sont devenues le showroom des conflits. On s’accuse. On s’exaspère. Opportunisme d’un côté, aveuglement de l’autre. Wa Ir no Baani, laissons-nous en paix !
Rappelons-nous, la vraie guerre, c’est celle contre les narcoterroristes qui nous privent de nos terres. Espérons que la Charte du Liptako-Gourma du 16 septembre 2023 entre Burkinabés, Maliens et Nigériens créant l’Alliance des Etats du Sahel (AES) architecture plus la lutte contre le narcoterrorisme et la criminalité organisée. Au-delà de la frustration sécuritaire et du symbole, l’AES doit préserver les droits essentiels des populations du Sahel.
La promesse de souveraineté et de refondation doit résister aux secousses tectoniques narcoterroristes. Elle ne doit pas aussi céder à la tentation d’empailler la jeunesse. Ouvrons-nous à la démocratie, cette capacité d’argumenter pour reconstruire un horizon commun.
Sonnons le rassemblement face aux velléités indépendantistes et aux postures revanchardes. Dans l’esprit pondéré d’Intalla Ag Attaher, d’Alpha Oumar Konaré et tant d’autres, nous avons un devoir de paix pour le Mali, car les haruspices peuvent se tromper. D’autant qu’“… une armée victorieuse l’est avant de chercher le combat” (Tzu : 1972).
Comment assurer l’avenir du Mali ?
Mohamed Amara
Sociologue
Mali Tribune