Dans une déclaration en date du 29 mars 2022, l’Association malienne des procureurs et poursuivants (Ampp) et de la Référence syndicale des magistrats (Refsyma), qualifient la mort de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga de tragédie judiciaire imputable aux seuls premiers dirigeants de la plus haute institution judiciaire du pays. Pour ces acteurs de la justice, cette mort porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux ainsi qu’aux valeurs de justice et de l’Etat de droit, heurtent le sens moral et affligent les consciences.
ans une réaction publique sous la signature de leur président, le magistrat Cheick Mohamed Chérif Koné, suite au décès de l’ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, survenu le lundi 21 mars 2022, l’Association malienne des procureurs et poursuivants et la Référence syndicale des magistrats (Refsyma), déclarent que cette mort est intervenue dans des circonstances émouvantes qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux, ainsi qu’aux valeurs de justice et de l’Etat de droit, heurtent le sens moral et affligent les consciences. “Suite à sa dure et longue détention arbitraire et illégale, pour des infractions imaginaires n’ayant jamais été commises, l’Ampp et la Refsyma, à l’instar du reste du monde saluent la mémoire de l’illustre disparu, homme d’Etat flegmatique hors pair, suffisamment imprégné des réalités nationales et des exigences internationales, leader politique charismatique, un cadre accompli au parcours enviable comme riche et exceptionnel. Affectueusement appelé, entre autres “SBM” ou “le Tigre”, patriote sincère et engagé, démocrate convaincu, homme politique par vocation et conviction, doublé de fin stratège politique, président d’une des formations politiques organisées et bien structurées, suffisamment préparé pour briguer la magistrature suprême du pays, bon père de famille au sens noble de ce terme, Soumeylou Boubèye Maïga, journaliste de profession, a été un des dignes fils de la nation ayant joué un rôle crucial dans l’éveil des consciences, tant sur les bienfaits de la démocratie que sur les dangers du monopartisme constitutionnel, avant d’être au cœur de l’évolution politique du pays et des grandes réformes pour le renforcement de l’état de droit et des acquis démocratiques. Victime de son rayonnement multidimensionnel, de son charisme et de son leadership, de son attachement aux principes démocratiques et aux valeurs républicaines à nul autre pareil, sa mort est une perte énorme pour sa famille, sa famille politique, la classe politique, les acteurs de la presse et des médias, les défenseurs des droits de l’Homme, les démocrates, le Mali, l’Afrique et le reste du monde”, affirme-t-on dans cette déclaration rendue publique le 29 mars dernier.
A l’entendement des deux organisations regroupant des acteurs de la justice, Soumeylou Boubèye Maïga a été persécuté sur fond d’adversité et d’intolérance politique, avant d’être arbitrairement privé de sa liberté au temps fort de sa formation politique, par la justice de son pays devenue méconnaissable, dont les premiers dirigeants lui ont dénué, entre autres, le droit à la justice, le droit à la présomption d’innocence reconnu à toute personne mise en cause tant que sa culpabilité n’aura pas été établie ; le droit à des conditions de détention commodes adaptées à son état et dignes de son statut, le droit à la santé et au bénéfice de soins appropriés, contre l’avis des spécialistes, au mépris de toutes les expertises et contre expertises médicales commandées par l’Etat lui-même. “Cyniquement arraché à la vie, SBM dont le seul tort aurait été d’exprimer son attachement au respect du délai de la période transitoire souverainement fixé par le Peuple, dans la Charte de la Transition, reste incontestablement le martyr parfait de la démocratie, mais encore de la justice à laquelle il a tant donné , comme en attestent les augmentations des traitements des magistrats en 2017 et la loi d’orientation et de programmation du secteur de la Justice 2020-2024 de 190 milliards de Fcfa qui sont ses ouvres…”
Sans langue de bois et sans détour, les deux organisations syndicales d’acteurs de la justice pointent un doigt accusateur, dans un style digne d’un réquisitoire de parquet : “L’Ampp et la Refsyma qualifient cette mort de véritable tragédie judiciaire imputable aux seuls premiers dirigeants de la plus haute institution judiciaire du pays, dénoncent à l’instar de tous autres défenseurs des droits humains, démocrates et porteurs des valeurs de justice, les circonstances choquantes ainsi que les conditions draconiennes humiliantes et abaissantes de détention, voire, les traitements cruels, dégradants et inhumains dont l’illustre disparu a été contraint de subir par la Cour suprême, en violation de son droit à la présomption d’innocence. Elles fustigent sans réserve, comme offrant, d’une part, le décor triste et désolant de la négation achevée du droit, des valeurs morales, et des acquis démocratiques, en cette période de Transition, d’autre part, comme le comble de la méchanceté, de la cruauté et de la barbarie judiciaire, le summum même de l’arbitraire judiciaire au service des dérives du pouvoir n’ayant autre but que d’anéantir toute voix audible contraire à sa position”, lit-on dans le communiqué de l’Ampp et de la Refsyma.
Se disant conscients du devoir de vérité inhérent au droit à la justice auquel l’illustre disparu attachait du prix, comme y allant de son honneur et de sa considération, ainsi que des siens, de ses partisans, de sa famille politique et de tous ceux qui lui ont fait le privilège de leur confiance, “notamment sur ces affaires qui ont servi de prétexte à son incarcération tapageuse et son traitement discriminatoire à dessein, en l’occurrence les affaires dites de l’achat de l’avion présidentiel et des équipements et effets militaires et se fondant sur des déclarations concordantes de personnalités dignes de considération ayant été proches de ces affaires d’une part, et d’autre part, sur des rapports rigoureux de contrôle et de vérification”, les acteurs de la justice qui composent l’Ampp et la Refsyma déclarent être convaincus que l’illustre disparu (haut cadre honnête et intègre dont l’ambition était de servir dignement et loyalement son pays, mort avec le regret d’avoir été empêché de dire sa part de vérité) était en dehors de toute forme de malversation.
“Par rapport aux déclarations concordantes, auxquelles elles font allusion, l’Ampp et la Refsyma informent l’opinion publique, que dès les premiers articles de presse faisant état de scandale financier autour de ces affaires, le ministre de la Justice de l’époque, répondant à l’Ampp, faisait comprendre que “tout ce bruit qui alimente l’achat de cet avion dont le besoin était réel et pressant, n’était que la conséquence d’un déficit gouvernemental en matière de communication”, sans qu’aucun fait de détournement ne soit imputable à un membre quelconque du gouvernement, notamment ceux nommément visés dans lesdits articles de presse et les réseaux sociaux. L’Ampp et la Refsyma se réjouissent que le même ancien ministre, dans une de ses interviews récentes, en s’appesantissant sur le sort de Mme Boiré Fily Sissoko, n’a pas manqué de dénoncer son maintien en détention dans des conditions également insalubres et malsaines, comme relevant du pur arbitraire judiciaire. Elles informent par ailleurs que le président de la République déchu, en réaction avant son décès à l’annonce de cette incarcération spectaculaire de SBM, s’exprimait avec surprise en ces termes : “Si SBM est blanc comme neige, c’est aussi certainement dans ces affaires pour lesquelles la justice vient de le priver de sa liberté”.
Dans cette allure de réquisitoire post mortem, l’Ampp et le Refsyma déclarent : “S’agissant des pièces à conviction dont elles font allusion, lesquelles corroborent ces réactions sans support disponible et attestent que l’illustre disparu était exempt de tout reproche relativement à ces affaires ayant servi de prétexte pour le priver de sa liberté et le contraindre à des mesures discriminatoires, figurent entre autres, la décision de la Justice française le blanchissant en le mettant hors de cause, suite à son interpellation en France ; la décision de classement sans suite de ces affaires du Procureur de la République du Pôle Economique et Financier de Bamako de l’époque, sur la base d’une motivation irréprochable, suffisamment fournie et juridiquement cohérente”.
Forts de cela, l’Ampp et le Refsyma “regrettent que cette décision bien murie de classement ait été remise en cause à la légère par le procureur qui l’a succédé, ministre actuel de la justice, par la volonté duquel d’ailleurs SBM, Mme Boiré Fily Sissoko, entre autres, ont été privés de façon cavalière de leur liberté, par la Cour suprême sur la base d’une auto saine que les premiers responsables de ladite cour, savaient manifestement irrégulière; les conclusions de tous les rapports de contrôle et de vérification de la juridiction supérieure des comptes du pays établis et publiés, attestant à suffisance l’absence de toute trace de manœuvre frauduleuse à l’encontre de SBM, relativement à l’achat de l’avion sus précisé, ce, bien avant l’auto saisine hautaine, inconvenante et désinvolte, honteusement soutenue sans le moindre argument de droit ; la décision de la plus haute juridiction administrative du pays, laquelle, après avoir reconnu la régularité de toutes les opérations liées à l’achat des équipements et effets militaires sus spécifiés, comme étant conformes à la législation, aux règles et pratiques en cours, remettait le fournisseur dans tous ses droits ; tirant les enseignements du traitement infligé à SBM, sans perdre de vue la situation de toutes ces nombreuses victimes d’arbitraire politico judiciaire dont Mme Boiré Fily Sissoko, en cette période transitoire où la méconnaissance des règles de procédure et les atteintes graves aux droits et libertés fondamentaux, tendent à devenir la règle et le mode de gouvernance d’un gouvernement de plus en plus envahissant, à des fins purement populistes ou de propagande”, souligne le communiqué de l’Ampp et de la Refsyma.
Ces acteurs de la justice déplorent, entre autres, les arrestations judiciaires hâtives et arbitraires, la persécution des leaders politiques, d’opinion et autres, en violation des règles de procédure, des droits de la défense et de leur droit à la présomption d’innocence ; les brimades, vexations et harcèlements administratifs abusifs des cadres attachés à la légalité républicaine ; la réduction au silence et la contrainte à l’exil de candidats potentiels ; les atteintes graves inédites à la liberté d’opinion et d’expression, désormais garanties aux seuls tenants du pouvoir et à leurs partisans ; le musellement de la presse et l’étouffement de l’information sur des scandales de corruption et de népotisme impliquant des membres des organes de transition ; la censure et l’auto censure excessives des débats publics portant sur le délai de transition, le fonctionnement de la justice et les questions de l’indépendance judiciaire.
L’Ampp et la Refsyma dénoncent “toutes manœuvres en cours du gouvernement tendant à divertir, à entretenir l’amalgame ou à semer la confusion au sein de la population, fort de la caution d’une frange, encore très peu imprégnée des questions de droit et des exigences internationales, dans le seul dessein de faire perdurer démesurément, contre tout principe, la période transitoire sous le couvert faux et trompeur” de rectification de la transition”.
A ces égards, l’Ampp et de la Refsyma tiennent à rappeler, entre autres, qu’une transition, “sans être une période constitutionnelle normale, ne saurait être assimilée à une situation de non droit ; qu’étant une parenthèse devant être rapidement fermée en tant que situation accidentelle de courte durée par nature, elle n’a autre but que de permettre aux citoyens, d’élire démocratiquement leurs dirigeants, à l’issue d’élections libres et transparentes, au terme du délai de transition, convenu par le peuple souverain”.
L’Ampp et la Refsyma se désolent, à ce jour, du flou créé autour de la fin de la transition en cours, lequel devrait pourtant prendre fin en février 2022, conformément au délai de 18 mois fixé dans la Charte de transition, réaffirme son adhésion pleine et entière aux valeurs républicaines et à l’engagement démocratique pris en toute responsabilité par le peuple souverain. Il se dit profondément préoccupées par les menaces graves exercées de plus en lus, sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, en cette période transitoire devenue incontrôlable dont nul ne connait la fin pourtant rapidement souhaitée, par une frange de la classe politique, les démocrates convaincus, ainsi que les amis du Mali et l’ensemble de la communauté internationale dont le pays ne saurait se défaire de l’accompagnement à l’instar de tout autre Etat moderne.
Se rappelant sans cesse le devoir pour chaque magistrat de veiller à l’indépendance du pouvoir judiciaire dont le respect s’impose à tous avec comme le corolaire, la responsabilité du magistrat, et rappelant d’autre part que “la magistrature est une école de subtilité où les actes doivent être commandés par l’intérêt de la justice et assis sur le droit, et non sur le bon vouloir de quiconque, l’Ampp et la Refsyma dénoncent l’auto saisine irrégulière de la Cour suprême sur instruction et directives du gouvernement de la transition, en l’absence de toute résolution de mise en accusation de l’assemblée nationale, pour se livrer à des excès et cruautés sur la personne de SBM et autres, justiciables de la seule Haute cour de justice pour les faits à eux reprochés ; retiennent pour seuls responsables de la tragédie judiciaire décrite plus haut, les deux premiers responsables de ladite cour”.
L’occasion de cette sortie publique a été aussi mise à profit pour condamner tout état de fait et soutenir avec la même insistance que “c’est au plus fort des dérives d’un exécutif envahissant, que les magistrats doivent plus qu’à tout autre moment, trouver la force morale requise et le courage nécessaire pour défendre en toute responsabilité, cette indépendance, laquelle, garantie par la constitution, ne saurait être tributaire de l’humeur du Premier ministre ou de celle du ministre de la Justice actuellement en place, sur la conscience desquels d’ailleurs, la tragédie de SBM et la situation dramatique de l’ancienne ministre Mme Boiré Fily Sissoko, devraient lourdement peser”.
Par ailleurs, l’Ampp et de la Refsyma regrettent, en tout état de cause, “la prise en otage de la démocratie par la remise en cause des acquis démocratiques par le pouvoir, ayant comme bras séculier de dissuasion et de répression des voix dissidentes, les premiers dirigeants de l’appareil judiciaire d’Etat, désormais dédiés au pouvoir exécutif, au mépris de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance du pouvoir judiciaire, axe central de la démocratie et de l’Etat de droit des temps modernes”.
Se fondant enfin d’une part sur les dispositions pertinentes de la Constitution et du code de procédure pénale engageant l’Etat à réparer les désagréments causés aux citoyens du fait du mauvais fonctionnement de la justice, nonobstant le droit de poursuite et des actions récursoires dont il dispose contre ses agents indélicats et d’autre part, sur les instruments juridiques sous régionaux, régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme qui engagent le Mali, l’Ampp et la Refsyma exigent, “sous réserve de recourir aux instances habilitées tant au plan national qu’international, la réparation de l’arbitraire politico judiciaire dont a été l’objet, l’illustre disparu, ce haut cadre vertueux, honnête, loyal et irréprochable, cet être exceptionnel serviable, discret, humble, affable et vertueux, qu’une famille, des amis et compagnons politiques, la nation et le monde pleurent encore”. Affaire à suivre !
Siaka DOUMBIA
Source: Aujourd’hui-Mali