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Décès d’Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni : DISPARITION DE L’UNE DES MEMOIRES VIVANTES DE LA 1ère REPUBLIQUE

Durant sa longue carrière politique, Amadou Djicoroni n’a pas renoncé à son attachement indéfectible aux idéaux avant-gardistes et à l’option socialiste de l’US-RDA sous la houlette du président Modibo Kéïta.

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Instituteur engagé, syndicaliste inlassable, partisan intransigeant de l’indépendance, libraire infatigable, écrivain prolixe et éditeur d’ouvrages politiques, Amadou Seydou Traoré a activement mené plusieurs combats. Il en a gagné beaucoup sur de nombreux fronts sauf celui de la lutte contre la maladie qui l’a vaincu, ce dimanche 4 septembre, à l’hôpital du Point G. Il s’est éteint à l’entame de sa 88ème année.  Né le 13 juillet 1929 à Niafunké, il effectue ses études primaires à l’Ecole rurale de Bamako-Coura (l’actuel Groupe scolaire Mamadou Konaté). C’est là que son directeur et maître, Mamadou Konaté lui attribue le sobriquet ‘’Amadou Djicoroni’’, pour le distinguer d’un autre Amadou Traoré qui résidait à Bamako-Coura. Abba, pour les intimes, logeait chez son père qui était agent administratif de l’Institut Marchoux, la célèbre léproserie de Djicoroni. Il fréquente ensuite l’Ecole primaire supérieure Terrason de Fougères (l’actuel lycée Askia Mohamed) de 1944 à 1947 puis  l’Ecole normale de Katibougou où il obtient le Brevet de l’enseignement (1948).

Sa carrière d’instituteur débute en 1949 à l’Ecole de la Poudrière de Bamako. Il devient ensuite directeur d’école à Garalo dans le Cercle de Bougouni (1950 – 1954).  C’est à la même période qu’il est piqué par le virus de la politique et commence à militer dans la Jeunesse de l’Union soudanaise RDA. Après la victoire historique de l’US-RDA aux élections législatives de 1956, et surtout de la mise en œuvre de la Loi-Cadre qui accordait l’autonomie aux colonies françaises, l’échiquier politique soudanais connait une secousse avec la dissidence de certains de ses fervents militants dont le pharmacien Sané Moussa Diallo et l’instituteur Amadou Seydou Traoré. Ils créent en 1957 la section soudanaise du Parti africain pour l’indépendance (PAI), fondé la même année à Dakar. Opposé à la « continuation de la colonisation », le PAI se caractérisait par son obédience marxiste dont il se réclamait ouvertement et se battait pour «l’indépendance immédiate et totale ».

Premier secrétaire national du PAI – Soudan  pendant 14 mois, Amadou Seydou dirige (1958 – 1959) son organe de propagande Amban Yéréta  (signifiant littéralement en langue bambara, « nous nous prenons en charge’’). Avec une plume trempée au vitriol, il exige l’indépendance ici et maintenant. D’où sa révocation de l’enseignement (début 1960), accusé qu’il fût de délit d’opinion. A sa réintégration (octobre 1960), il est affecté à l’établissement scolaire qui deviendra plus tard le lycée Bouillagui Fadiga. Moins d’un mois avant l’accession du Mali à l’indépendance, conquise le 22 septembre 1960, Amadou Djicoroni et de nombreux militants du PAI réintègrent les rangs de l’US-RDA. Au déclenchement de la ‘’Révolution active’’ en 1966, il est désigné vice-président de la Commission presse et propagande  du Comité national de la défense de la révolution (CNDR) qui a remplacé le Bureau politique national de l’US-RDA quelques mois avant la chute du régime de Modibo Kéïta.

Père de l’édition au Mali. L’activisme politique d’Amadou Djicoroni renforce aussi ses activités professionnelles. Après Bougouni, il retourne à Bamako où il devient responsable du bureau des examens et bourses à l’Inspection académique (mai 1957 – septembre 1958). En janvier – février 1962, il offre gracieusement à l’Etat sa librairie personnelle, ‘’L’Etoile noire’’, (installée dans le domicile paternel). Ce fut la fondation de la Librairie populaire du Mali. Celle-ci racheta, en 1965, pour 27 millions de Francs maliens, la société française FERRE comprenant notamment la salle du Soudan Cinéma et l’Imprimerie MAHL. Cet ensemble devient les Editions populaires puis les Editions  imprimeries du Mali (EDIM).

Durant les premières années  de  la 1ère République du Mali, il est à la fois directeur de trois sociétés d’Etat : la Librairie populaire du Mali (LPM à partir de1962) à laquelle s’ajoutent les EDIM et l’Office cinématographique national du Mali (OCINAM) de 1966 à 1968. De par ces fonctions, de vieux enseignants le considèrent comme le ‘’père de la librairie et de l’édition de livres’’ au Mali indépendant. Quatre jours après le coup d’Etat du 19  novembre 1968, Amadou Djicoroni, à l’instar d’autres dirigeants de l’Etat et du parti dont le président Modibo Kéïta, est détenu puis déporté à Sikasso, Kidal et à Intadenit près de la frontière algérienne. Après sa libération au bout de dix années sans jugement, il réintègre le corps d’enseignant. C’est ainsi qu’il sert à l’Inspection d’enseignement fondamental de Nioro (1979-1981). Par la suite, il est inspecteur à Baguinéda et directeur, à Sikasso, de l’Institut pédagogique de l’enseignement général (IPEG, chargé de la formation des maitres du premier cycle). Affecté au milieu des années 1980 à l’Institut pédagogique national (IPN), il y fait valoir ses droits à la retraite (1987), reclassé dans le corps des professeurs d’enseignement secondaire général de classe exceptionnelle.

Installé dans le privé, il crée la Librairie Traoré grâce au concours du Groupe français Hatier. S’associant à un collectif d’opérateurs du même secteur, la Librairie Traoré rachète les actifs de l’ex-LPM. Ainsi, nait la Librairie Nouvelle S.A. et Amadou Djicoroni en devient le président du conseil d’administration. En 1988, il dirige le Syndicat national de l’imprimerie, de la presse et de l’industrie du livre (SNIPIL). Bien avant cette période, il fut chargé (1960 – 1968) de cours de formation idéologique et de propagande dans les Ecoles du parti US-RDA et des syndicats UNTM et SNEC ainsi que dans les casernes.

Amadou Djicoroni fera partie entre des cadres RDA qui se sont alliés avec leurs camarades des partis clandestins PMT et PMRD en fondant l’association ADEMA en octobre 1990. Avec d’autres forces sociopolitiques, ils animèrent le Mouvement démocratique dont la lutte aboutit le 26 mars 1991 à la chute du régime de Moussa Traoré. L’instauration du pluralisme politique a conduit à la re-naissance de l’US-RDA à laquelle il prit une part très active entre avril et juillet 1991. Amadou Djicoroni en fut élu secrétaire à la presse et à la communication et naturellement directeur de publication du bimensuel Le Réveil, organe du parti (1991-1996). Puis secrétaire politique, de 1996 à 2002, année à laquelle il se retira sans crier gare des batailles partisanes. L’US-RDA venait de connaitre des soubresauts politico-judiciaires culminant avec sa dislocation et la dispersion des héritiers du parti qui a mené le Mali à l’indépendance.

53 ANS DE VIE POLITIQUE « Au total, j’ai cumulé 53 ans d’activités politiques, 28 ans de vie syndicale et autant dans divers mouvements associatifs (…) ». Amadou Djicoroni résume ainsi son parcours sur la scène publique. Sa retraite politique ne l’a pas empêché de garder son esprit vif, doté d’un habile sens de la persuasion. Malgré le poids de l’âge, il est resté très éloquent et toujours en verve. Il savait tenir en haleine l’assistance des conférences qu’il aimait animer. Il martelait ses convictions lors des débats radiophoniques auxquels il était invité à l’occasion des anniversaires du 22-Septembre et du 26-Mars. Il a maintenu cette posture de militant inflexible au cours des 25 dernières années.

Face à la ténacité d’Amadou Djicoroni dans la défense des acquis du régime socialiste à la malienne, beaucoup d’observateurs ont fini par le ranger parmi les mémoires vivantes de l’US-RDA et le défenseur acharné du régime socialiste de la 1ère République du Mali dirigée par le Président Modibo Kéïta. Il se classait lui-même dans la catégorie des ‘’Modibistes’’ en ces termes : «je suis fier d’avoir fait partie du contingent des camarades les plus engagés qui, par la réflexion, la recherche, le travail de formation politique, se reconnaissent le plus en Modibo Kéïta et le manifestaient publiquement ». Il en a pleinement donné la preuve, ces dernières années, à travers sa propre maison d’édition La Ruche à Livres qui a édité ses nombreux  écrits dont : « Défense et illustration de l’action de l’Union Soudanaise RDA. 1946 – 1968 » en 1996, « Modibo Kéïta : Une référence, un symbole, un patrimoine national » en 2005, «Le salaire des libérateurs du Mali » en 2008 et «Modibo Kéïta : Discours et Interventions», sa toute dernière œuvre parue en juin 2015 à l’occasion de la commémoration du centenaire de l’illustre disparu.

Cette profusion éditoriale traduit l’engagement d’Amadou Djicoroni. Il fut membre fondateur puis président de l’Association Repères, créée au début des années 2000. Amadou Djicoroni fut également partie des vice-présidents de l’Association des témoins et grands témoins, créée en mars 2010, à la faveur de la célébration du Cinquantenaire de l’indépendance du Mali. En juin 2011, il gagne le procès que lui a intenté les héritiers d’un célèbre praticien qu’il avait fortement suspecté dans la mort de Modibo Kéïta.

Cette victoire judiciaire a été la dernière qu’il a remportée sur la scène publique. En 88 ans de vie intensément menée, Amadou Seydou Traoré a été un homme multidimensionnel très engagé. Malgré les dures épreuves qui ont jalonné sa carrière professionnelle et politique, il a su se battre avec pugnacité. Avec sa disparition, le ‘’père de l’édition au Mali’’ range sa plume et ferme les pages de ses témoignages sur un pan important de notre histoire nationale. Ses obsèques sont prévues ce mardi 6 septembre. Dors en paix, Tonton Amadou !

Issa DOUMBIA

Source : L’Essor

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