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Daouda Kinda, spécialiste en sécurité et armes nucléaires : «Le gouvernement malien manque de stratégie diplomatique»

Dans un entretien qu’il nous a accordé, Daouda Kinda, spécialiste en sécurité et armes nucléaires, explique les limites de la diplomatie malienne menée par nos plus hautes autorités maliennes, notamment lors du Sommet Japon-Afrique qui vient de se tenir dans la capitale kenyane.

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Le Reporter : le dimanche 28 août 2016, s’est clôturée la 6ème édition de la conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique, autrement appelée Sommet Japon-Afrique. Quelle lecture faites-vous de ce Sommet ?

Daouda Kinda : Ce Sommet dont vous parlez a été tenu en Afrique pour la première  fois. Le Japon a voulu marquer une grande différence d’avec sa rivale historique qu’est la Chine en matière de politique étrangère et de coopération. Jusqu’à nos jours, les Sommets Chine-Afrique ont été tous organisés dans la capitale chinoise. Il faut rappeler que depuis un certain temps, l’Afrique suscite un véritable regain d’intérêt de la part des pays émergents comme la Chine, le Japon et l’Inde…pour ne citer que ceux-ci. En 2015, la Chine tablait sur la bagatelle de 60 milliards de dollars d’investissements en Afrique. Le Japon avait annoncé la somme de 36 milliards de dollars en août, au titre de l’année 2016. L’Inde ferme la liste des grands investisseurs asiatiques en Afrique avec environ 10 milliards de dollars pour cette année.

Y a-t-il lieu pour les Africains de s’enthousiasmer du flot d’argent de ces nouveaux pays amis lointains ?

En tous cas, à entendre les propos du président de la République, au retour de son voyage sur la capitale kenyane, suite à la participation du Mali et beaucoup d’autres pays africains à la Conférence internationale de Tokyo, notre pays fait encore preuve d’un manque total de stratégie diplomatique. «Celui qui arrivera à conquérir l’Afrique d’aujourd’hui dominera le monde entier des 50 années à venir». Cette formule, plus ou moins vraie, est bien connue des géostratèges les plus avisés de nos jours. Depuis la crise économique de 2008, qui n’était qu’un des symptômes de l’essoufflement du modèle libéral capitaliste, les économies des pays estimés développés ne cessent de baisser en production. L’avenir du monde ne se trouve plus aux USA, en France ou au Japon. Les nouveaux pays émergents de l’Asie du sud-est (Chine, Inde, Hong Kong, Singapour, Indonésie…) vont constituer, à eux seuls, plus de 50% du marché mondial à l’horizon 2050.

Ne faudrait-il pas mettre nos leaders en garde contre les éventuels pièges de ces démarches autrement stratégiques?

Le gros problème avec ces pays développés ou émergents, c’est qu’en plus de l’augmentation du coût de la productivité (les ouvriers réclament de plus en plus l’augmentation de leurs salaires), leurs populations vieillissent (manque de force de travail, baisse de la consommation, augmentation de la charge sociale…). En plus de leurs ressources naturelles inexploitées, les populations de l’Afrique sub-saharienne, qui ont atteint le seuil symbolique de 1 milliard d’habitants depuis 5 ans, ont la particularité d’être les plus jeunes du monde. Selon certaines statistiques, elles compteraient plus de 70% de moins de 20 ans. Par ailleurs, les économies africaines enregistrent chaque année des taux de croissance énorme, même si les populations de ces pays concernés en profitent peu. La part de l’Afrique va grandir dans le futur en termes de force de travail et de consommation. À l’horizon 2050, «l’Asie restera l’usine du monde», pendant que l’Afrique -pas la totalité des pays africains- deviendrait «la niche à ouvriers» et le plus dynamique des marchés de consommation. Depuis quelques années, il y a une montée de classes intermédiaires dans beaucoup de pays africains qui consomment de plus en plus de produits de luxe. C’est ce que les stratèges des pays avancés ont compris. Pour eux, il faut être présent en Afrique dès maintenant. Et le monopole de notre continent se fera par deux grandes stratégies connexes que sont la coopération économique, d’une part, avec son flot d’investissements stratégiques, et le partenariat dans le domaine sécuritaire, d’autre part.

L’élite malienne est-elle consciente de ce énième projet de domination de nos pays africains ?

À entendre les propos du président de la République, au retour de son voyage sur la capitale kenyane, suite à la participation du Mali et de beaucoup d’autres pays africains à la 6ème Conférence internationale de Tokyo, notre pays fait encore preuve d’un manque total de stratégie diplomatique. Dans son interview, le président de la République s’est dit intéressé par les technologies agricoles, notamment en termes de machines agricoles, et par la coopération sécuritaire. Il est vrai qu’un Mali développé passera forcément par la modernisation de son agriculture. Par contre, la politique qui consisterait à ouvrir aveuglement le marché agricole de notre pays à des partenaires économiques, est une véritable myopie stratégique. Le but ultime de toute stratégie politique étrangère réaliste est de parvenir à doter l’Etat d’un niveau d’indépendance suffisant et la Nation d’un cadre de développement effectif à valeur ajoutée.

Que faut-il envisager pour éviter de tomber dans le même piège tendu depuis plus de 60 ans?

Permettre à des entreprises japonaises fortement subventionnées, en manque de marchés, de venir compétir avec nos industries naissantes de réassemblage de tracteurs agricoles, comme celles de Samanko ou de Toguna Industries Sa, serait un véritable coup de grâce porté aux start-up maliennes de l’industrie. Le Mali bénéficiera plus de contrats de transfert de technologies et autres financements pour la formation d’une meilleure qualité de ressources humaines. Avec la crise sécuritaire, notre pays a plus que jamais besoin d’un véritable paradigme de guide de sa politique de défense et de sécurité. Le modèle actuel de coopération en matière de sécurité, que le Mali tisse avec les pays étrangers, ne répond nullement à une solution durable et effective de la crise. Les opérations de formations, conjointes avec des partenaires, de nos militaires et forces de police ne sont que des demi-mesures perpétuant le statut d’éternel assisté de notre pays. Nous avons besoin de notre propre “école” de stratégies de défense et de sécurité prônant notre propre “doctrine”. Le problème de nos forces militaires et de sécurité n’est pas que tactique, il est foncièrement d’ordre stratégique.

Concrètement, qu’est-ce que le Japon peut nous apporter en termes de stratégie de défense et de sécurité?

Même si l’empire nippon a participé à la deuxième guerre mondiale, il faut avouer qu’il n’a pas assez d’expériences par rapport aux défis auxquels le Mali est confronté. Le phénomène de terrorisme et celui des groupes rebelles armés sont peu connus des Japonais. Chaque année, des officiers militaires et de la police se précipitent en Chine ou au Japon pour aller suivre des programmes de formations. À savoir que 60% de ces programmes de formations se résument à des visites touristiques d’infrastructures de ces pays. Qu’est-ce qu’un Chinois ou un Japonais, qui n’a jamais mis pied en Afrique, va apprendre à un Officier malien ou tchadien sur la stratégie militaire à adopter dans son propre pays ? L’équation est simple : nous avons besoin de technologies de défense de ces pays, et peut-être l’utilisation tactique qui en découle. Ils ont besoin de l’opportunité pour nos marchés économiques. Aucune Nation n’enseigne à une autre sa stratégie de défense ou de sécurité. Cela relève d’une logique indiscutable. Pour pouvoir mieux prendre la mesure de l’objectif du Japon en Afrique, il faut analyser l’actuelle situation géopolitique de l’Asie du sud-est et les implications qui en sortent.

Propos recueillis par Gabriel TIENOU

Source : Le Reporter

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