Des velléités sécessionnistes sont dans l’air et elles nous viennent du centre du Mali. Dans la région de Mopti. Youssouf Toloba, chef d’état-major de la milice d’autodéfense Dan Na Ambassagou, menace le pouvoir central de séparatisme. Dans une vidéo datée du 27 septembre dernier, il donnait un ultimatum de 15 jours aux nouvelles autorités afin de vite le rejoindre pour trouver une issue à la crise sécuritaire au centre du pays. À défaut, il pourrait faire sécession. Une nouvelle rébellion armée dans cette région, déjà un véritable brasier, ne ferait qu’anéantir les efforts de stabilisation et raviver les désastreuses conditions humanitaires. Ira-t-il jusqu’au bout ?
C’est dans un bamanankan saupoudré d’accent dogon que Youssouf Toloba a lancé un ultimatum de 15 jours à l’État malien. Dans une vidéo de près de 15 minutes, le chef d’état-major de la milice d’auto-défense apparaît au pied d’une falaise, en compagnie de quatre lieutenants. Portant le drapeau malien, il jure de le remplacer par le sien si les nouvelles autorités ne collaborent pas avec Dan Na Ambassagou afin de trouver une solution au conflit qui secoue le centre du pays depuis cinq ans. Youssouf Toloba se livre à une véritable diatribe contre l’État malien. Il l’accuse d’être complice de ce qui se passe dans la région et d’ethniciser le conflit. Le chasseur traditionnel fait une mise au point : « Dan Na Ambassagou ne combat pas les Peuls, mais les terroristes ». Il s’indigne de la passivité des forces de défense et de sécurité maliennes en cas de menaces d’attaques. Toloba fait enfin montre de la force militaire de son mouvement, capable, à ses dires, de « prendre Bamako en un jour ».
Brasier
Milices armées, terrorisme, règlements de comptes, conflits intercommunautaires et vols de bétail nourrissent le caractère de no man’s land de la région de Mopti depuis cinq ans. Ajouter à ce cocktail un brin d’insurrection aujourd’hui ne fera qu’aviver le brasier qui enflamme la zone et a déjà fait de nombreux sinistrés. La région est toujours en proie à des violences. Selon la dernière note trimestrielle de l’ONU sur les tendances des violations et abus de droits de l’homme au Mali de juillet à septembre 2020, « les actes de violence ont augmenté sur les populations. Sur 266 civils tués sur la période, 248 l’ont été dans le centre ». La note dénombre également 100 blessés et 49 personnes enlevées. Cet écosystème est le terreau du déplacement de beaucoup de Maliens. Dans le rapport trimestriel de la même période du Secrétaire général des Nations Unies sur la situation au Mali, le nombre de personnes déplacées est passé de 250 998 à 266 831.
Simple feu de paille?
Youssouf Toloba jure de laisser tomber les couleurs du Mali, voire de rejoindre les anciens indépendantistes du nord de la CMA, si son appel n’est pas entendu dans un délai de 15 jours. Si jamais cette menace est mise en exécution, elle n’ira pas sans réaction de l’État, au risque d’anéantir tous les efforts de stabilisation jusque-là initiés. « Une rébellion armée dans le centre ferait le jeu des djihadistes et contribuerait au chaos », déclare Nicolas Normand, ancien ambassadeur français au Mali. Cependant le porte-parole de la milice Dan Na Ambassagou, Benjamin Sangala, relativise. Pour lui, cette sortie de Youssouf Toloba est l’expression d’un « accès de colère ». « Depuis cinq ans, le mouvement Dan Na Ambassagou est dans l’auto-défense pour sécuriser les populations contre les terroristes, parce que nous avons un État affaibli. Donc, face à l’absence de l’État, la légitime défense s’impose, d’où la légitimité du mouvement. Il faut comprendre que la vidéo du chef d’état-major de Dan Na Ambassagou, Youssouf Toloba, est plutôt un message de colère, un appel à l’État. Sinon, il n’y a pas plus républicain qu’un Dogon ». Cependant, répondant à la question de savoir ce qui se passera à la fin de l’ultimatum, Benjamin Sangala prévient : « c’est peut-être trop tôt pour le dire ». Selon plusieurs sources concordantes, Dan Na Ambassagou est un mouvement estimé à environ 5 000 hommes, occupant « 80 camps d’où est organisée la défense ». La troupe est constituée de chasseurs traditionnels, dozos, équipés d’armes de fabrication artisanales en public, mais disposant également d’armes de guerre. Le mouvement tient de nombreux check-points sur les axes principaux ainsi qu’en milieu rural. Malgré cette présence dans la région, peut-il mener une insurrection au centre du pays ? « Non », répond un analyste sécuritaire requérant l’anonymat. « Toloba n’est pas en mesure de se rebeller contre l’armée malienne, sauf s’il bénéficiait du soutien tous azimuts d’une puissance étrangère. Ce qui est difficile à imaginer dans la situation actuelle », explique-t-il. Le chercheur en sécurité voit en cette sortie de Youssouf Toloba « une tentative de repositionnement » au lendemain de la chute du Président Ibrahim Boubacar Kéïta. « Depuis le départ de Soumeylou Boubeye Maïga de la Primature, Dan Na Ambassagou avait presque perdu totalement l’accompagnement de l’État. Avec la chute d’IBK, il cherche à se faire une place auprès des nouvelles autorités. Aujourd’hui, le Colonel Modibo Koné est dans le CNSP (actuellement ministre de la Sécurité) et il ne peut que menacer la milice. Il avait bombardé les motos des miliciens de Toloba en 2018, face au refus de ce dernier d’obtempérer aux injonctions des FAMA », poursuit-il. « On n’a pas à se taper sur les poitrines pour nous faire entendre. Nous sommes un acteur clé de la crise », répond Benjamin Sangala. Le président d’une association communautaire du centre du Mali n’est également pas convaincu de la capacité insurrectionnelle de Youssouf Toloba, qui, à ses dires, perd du poids dans la zone. « Cette déclaration n’est qu’une énième provocation. Toloba n’a plus de poids dans la région. Hormis à Mopti et Djenné, beaucoup de ses hommes ont déposé les armes et s’impliquent dans le processus de paix. Ce qu’il déclare aujourd’hui n’est que l’émanation d’un vieux projet. Il n’a plus Koro et Bankass dans son giron. Il ne peut pas prendre la région de Mopti ». « Actuellement, on fait la paix. Chez nous, tout est OK. Dans le cercle de Koro, il n’y a plus d’attaques. Il n’est même plus question de Dan Na Ambassagou ici. Même les Peuls ont commencé à revenir sur les marchés », soutient un ressortissant de Koro, président d’une association de la société civile, joint au téléphone.
Selon l’analyste sécuritaire, Youssouf Toloba fait face à « une fronde des Dogons de la commune de Kassa (cercle de Koro) et de beaucoup d’autres communes, comme Madougou. Il y a une scission dans le groupe, avec la naissance de Dana Antèm (les chasseurs originels). Ce groupe est présent dans le cercle de Koro et ne s’attaque à aucun civil ». Ce mouvement a d’ailleurs vivement critiqué la sortie de Toloba.
Quelles réponses ?
Les scénarios qui pourraient intervenir à la fin de l’ultimatum lancé par Youssouf Toloba suscitent bon nombre d’interrogations. Car le problème du centre est épineux, dure et se mue en d’autres formes de risques pour la zone, d’où la nécessité de solutions rapides. « Les menaces de Dan Na Ambassagou doivent susciter une réaction de fermeté et faire l’objet d’une réaction armée, par les FAMA ou la force anti-terroriste, avec l’appui de la MINUSMA », répond Nicolas Normand. À l’aide d’une action combinée FAMA – MINUSMA, il propose également « des mesures préventives, incluant le désarmement forcé mais négocié de Dan Na Ambassagou ». Notre analyste sécuritaire adopte également cette position ferme. « L’État doit rester serein et jouer son rôle régalien. Il a créé un monstre qui a semé le chaos. Aujourd’hui, il faut lui couper la tête. L’éradication de toutes les milices serait la meilleure solution ».
En octobre 2019, un programme spécial de Démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR) a été lancé dans la région de Mopti au profit des groupes d’auto-défense, dans le cadre du Programme de réduction de la violence communautaire. 8 500 personnes, éléments des groupes d’auto-défense ou repentis (anciennement membres de groupes terroristes) ont été enregistrées. Cependant, seuls 320 volontaires se sont présentés, dont 6 étaient pour l’insertion et les autres pour l’intégration. De quoi susciter méfiance et vigilance. « Le mouvement d’auto-défense Dan Na Ambassagou est vivement engagé dans le processus de paix. Il veut un retour progressif de celle-ci mais il est aussi vigilant sur la façon dont la paix est en train de s’opérer partout. Nous constatons qu’il y a une paix du dominant, mais pas une paix consentie. Quand on vient vous imposer la paix par les armes, cela n’est pas forcément signe d’une paix durable, elle n’est que précaire. On a signé un accord de paix unilatéral en septembre 2018. Si nous déposons les armes et que l’ennemi (le terroriste) ne le fait pas, qu’il continue à nous tuer, à raser nos villages, quelle doit être notre réponse ? Nous défendre », explique Benjamin Sangala.
Dan Na Ambassagou garde donc les armes et le « pays dogon rebelle » menace de voir le jour. Coup de bluff ou menace réelle ? On saura ce que Toloba a dans sa manche ce 11 octobre, date de la fin de son ultimatum.
Boubacar Diallo
Journal du Mali