Hier, c’était une décision d’interdiction des motos et « pick-up » qui a entrainé une catastrophe socioéconomique sans précèdent dans la région de Mopti. Hier, c’était aussi un engagement sécuritaire tous azimuts, accompagné d’un discours martial et guerrier se traduisant par le déploiement de forces lourdes, statiques, occupées à se protéger, réagissant quelques fois mais rarement à l’initiative et peu préoccupées par le respect des droits de l’homme. Chaque jour ce sont ainsi des rumeurs de bavures et d’exactions de nos forces, traumatisées d’accuser des coups et ayant l’impression de se battre contre un ennemi insaisissable. Hier comme aujourd’hui, le Centre du Mali s’illustre par des conflits intercommunautaires, l’instrumentalisation des chasseurs traditionnels, une pression accentuée sur l’ethnie peulh et, par conséquent, un tissu social fissuré, au détriment de l’Etat !
Dans le Centre, les populations maliennes perdent confiance en l’Etat avec comme conséquence un dispositif de renseignement inopérant, accroissant ainsi la myopie de nos forces de sécurité. Face à cela, les groupes armés terroristes (GAT) sont mobiles, imbriqués dans la population, agiles et mettent en œuvre une stratégie limpide : ciblage de l’Etat et de ses attributs, ciblage des forces internationales, discours structuré se fondant sur les iniquités causées par l’Etat, justice expéditive mais simple et reconnue par les populations…La bataille devient inégale, en leur faveur.
Sur le terrain, ils s’installent et s’autorisent des incursions toujours plus loin dans le pays profond. Tantôt c’est vers le Sud (Banamba début novembre), tantôt c’est le Sahel occidental (Nara, Kolokani, Diema, Nioro). Ils métastasent et surfent sur toutes les frustrations des communautés maliennes. Ils n’occupent pas de ville ou de village, ne se regroupent pas mais donnent l’impression d’être partout en même temps. Il nous faut nous rendre ainsi à l’évidence que nos discours martiaux, nos actes pour affirmer la présence de l’Etat sonnent et sonneront creux face à la réalité.
Le Centre devient emblématique des faiblesses structurelles de l’Etat au Mali : incapacité à comprendre et à dialoguer avec la société, inaptitude à percevoir les besoins de ceux qu’il est censé servir, échouant ainsi dans ses missions. Partant de ce contact, il convient de changer de fusil d’épaule. Sinon nous échouerons et contribuerons à creuser encore plus le fossé entre les populations et ceux qui sont sensés les servir. Au détriment de la collectivité et du pays.
Le changement d’approche doit se traduire par une modification profonde de la démarche. Deux objectifs sont à fixer pour la gestion de la crise au Centre du Mali : d’abord faire cesser tous les conflits intercommunautaires et ramener la quiétude entre les Maliens dans cette zone ; ensuite faire des populations les premiers alliés de l’Etat et gagner ainsi leur confiance !
L’objectif ne doit pas être la pacification ou la destruction obsessionnelle des GAT mais restaurer la confiance entre l’Etat et les populations et recoudre le tissu social. Cela inclut de lutter contre les malfaiteurs mais par un chemin diffèrent et sans doute plus efficace.
Il faut au préalable changer de discours et faire en sorte que les forces de sécurité, les représentants de l’Etat comme tous les acteurs des services publics tiennent le même langage : l’Etat avec et pour les populations ! Cela doit se traduire par des actes concrets comme l’annulation immédiate de la mesure d’interdiction de circuler à moto ou à bord de « pick – up ».
Nous devons arrêter les amalgames, éviter les exactions contre les populations, renoncer définitivement à toute forme de brutalité contre ceux que nous devons protéger, toutes communautés confondues, respecter scrupuleusement les droits de l’Homme et observer une sévérité accrue contre tous les contrevenants.
Il serait bien indiqué d’organiser dans chacun des cercles du Centre du pays, des forums de la paix et de la réconciliation et y convier toutes les communautés. Ils permettront de faire la cartographie des sources de tensions intercommunautaires et d’identifier des moyens de les résorber. Il faut placer ces rencontres sous l’égide des légitimités traditionnelles et religieuses et faire assurer la mise en œuvre de leurs recommandations par le préfet et les élus du cercle avec l’appui de l’Etat dans toutes ses dimensions (forces de sécurité, administration, projets de développement…). Parallèlement à l’engagement des communautés vers la pacification et l’entente, il est indispensable que l’action des chasseurs traditionnels (dozos) soit inscrite exclusivement dans un registre défensif. Ils ne doivent pas s’adonner à des attaques ou à des représailles, force est à restituer à la loi et à ses défenseurs (justice). L’Etat ne doit permettre aucune enfreinte à ces règles et de manière durable.
Le déploiement complet de l’Etat (administration, collectivités, élus, justice, services de base…) et la fourniture de tous les services nécessaires aux populations est à faire rapidement. Nos concitoyens sont à rassurer. Pour ce faire, il faut envisager des mesures ponctuelles visant à enrôler des ressortissants de la zone dans la fonction publique et les déployer au Centre ou y ramener les ressortissants de la zone qui étaient affectés ailleurs. Ils seront plus motivés, mieux acceptés, mieux informés et plus protégés que d’autres. Le déploiement doit être une action continue accompagnée par un important effort de sécurisation.
Pour la sécurisation, le système de renseignement humain est à améliorer et incorporer un aspect de protection des sources d’information. Il faut renforcer les moyens d’observation aérienne (drone et autres moyens) et accroitre les forces terrestres pour les déployer rapidement. Le désarmement progressif des civils et des milices doit figurer parmi leurs missions. Il faudra sans doute davantage de moyens financiers, matériels et humains à affecter au Centre. Il faudra également plus de communication sur les progrès et les réactions face aux menaces.
La dynamique d’emploi des forces doit être celle du contre-terrorisme sous forme d’actions préventives. Nous devons être à l’initiative, privilégier les opérations coups de poings : aller au contact des GAT, retourner leurs stratégies contre eux, désorganiser leurs voies d’approvisionnement, créer des dissensions entre les groupes, les infiltrer, agir de manière fine et ciblée, anticiper. La légèreté, la réactivité et l’agilité des forces faciliteront cela. Mais surtout la collaboration des populations rendra plus efficaces les actions à mener sur le terrain. C’est pourquoi, gagner la confiance de nos concitoyens de la zone doit être notre objectif prioritaire.
Il faut enfin noter que ces nouvelles orientations nécessitent du temps pour être mises en place et donner leurs effets. C’est dire que nous devons les inscrire dans le long terme, sur plusieurs années, mais avec une désescalade continue et une amélioration progressive des conditions de vie des populations dans cette partie majeure de notre territoire.
Moussa MARA www.moussamara.com
Source: Le Pays