« Derrière la crise des visas entre Paris et Alger, qui a débuté en septembre, de nombreux dossiers de discorde se sont accumulés. Selon des informations recoupées par » Le Monde « , l’un des éléments clés ayant exacerbé les tensions est le dossier malien.
La crise entre Paris et Alger dure désormais depuis trois semaines, et chaque jour qui passe est l’occasion de voir surgir de nouvelles sources de contentieux entre les deux pays.
Si l’affrontement entre la France et l’Algérie s’est officiellement ouvert sur des questions d’immigration – particulièrement sur le point sensible de l’octroi des visas après que Paris a annoncé, le 28 septembre, vouloir les réduire de 50 % en raison du faible taux de réadmissions des ressortissants Algériens en situation irrégulière -, les motifs de la crise apparaissent bien plus larges et profonds.
Selon nos informations, le dossier le plus sensible aujourd’hui pour la France concerne le rôle de l’Algérie au Mali. Le 3 octobre déjà, alors que la crise était aggravée par les propos d’Emmanuel Macron rapportés par Le Monde qualifiant le régime algérien de » système politico-militaire (…) construit sur la rente mémorielle « , Alger avait interdit le survol de son territoire aux avions militaires français en route vers le Sahel.
Or quinze jours plus tard, non seulement cette situation n’est pas réglée, mais le dossier malien apparaît comme un élément clé ayant exacerbé la crise en raison d’une tentation tangible, côté algérien, de soutenir un scénario noir pour Paris : un renforcement du rôle de la Russie au Mali.
Dégradation de la situation sécuritaire au Mali
Les sources algériennes interrogées ne parlent jamais directement d’un éventuel soutien au contrat auquel disent réfléchir, de leur côté, les autorités maliennes avec la controversée entreprise russe de mercenaires Wagner. Le rôle de cette même société dans la Libye voisine ne coïncide pas, en effet, entièrement avec leurs intérêts : Wagner y travaille pour le camp du maréchal Haftar, que ne soutient pas Alger.
Mais face à la dégradation de la situation sécuritaire au Mali, ces interlocuteurs affirment qu’un renforcement de la présence de la Russie dans ce pays ne serait pas un repoussoir. Un scénario confirmé par une source française de haut niveau.
L’Algérie a toujours considéré le Mali, notamment le nord du pays – qui fut la première région à passer sous la coupe djihadiste en 2013 – comme son arrière-cour. Alger a été le principal médiateur des accords signés en 2015 entre Bamako et des groupes armés.
Or le Mali est aujourd’hui gangrené par les cellules djihadistes jusque dans les faubourgs de sa capitale et l’opération » Barkhane « est repliée depuis longtemps dans une toute petite partie du territoire, au centre-est du pays, autour de Gao. L’abandon des bases du nord du Mali est avant tout administratif et logistique, la force » Barkhane » se concentrant depuis un certain temps sur la sauvegarde de pays situés plus au Sud, comme le Niger, le Burkina Faso, et d’autres Etats riverains du golfe de Guinée ; là où se trouve en réalité l’essentiel des intérêts économiques français.
Russophiles contre francophiles
Le soutien d’une option russe au Mali provoquerait toutefois d’importants tiraillements au sein même de l’exécutif algérien, selon plusieurs interlocuteurs. Les partisans de Moscou se trouveraient principalement du côté de l’état-major des armées, traditionnellement russophile. Face à eux, des réseaux considérés comme plus francophiles, proches d’anciens cadres des services de renseignements encore influents, exprimeraient leurs réticences.
Faisant le constat qu’il » n’y a pas de solution militaire au Mali « , l’Algérie manie aussi une autre carte sensible pour Paris : le soutien implicite au renforcement du dialogue entre Bamako et les islamistes armés, afin d’éviter, de son point de vue, toute partition du territoire, sa principale hantise.
Les choses aboutiront-elles ? Paris a déclaré plusieurs fois qu’une négociation avec le sommet de la hiérarchie djihadiste et le contrat de Bamako avec Wagner constitueraient des lignes rouges. Et l’Allemagne, l’Union européenne ou encore la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont aussi mis en garde le Mali. Mais si l’Algérie s’en mêle, ces pressions pourraient sensiblement perdre de leur poids, d’autant que Bamako et Alger ont toujours été très proches historiquement de la Russie. Moscou leur vend notamment régulièrement du matériel militaire.
(23 ocotobre 2021)
Source : L’INDEPENDANT Avec Le Monde