A quand la fin des délestages qui sont en train de plomber l’activité socioprofessionnelle dans notre au point d’accentuer la précarité dans la majorité des ménages ? Les autorités de la Transition réussiront-elles à résoudre cette épineuse équation ? Rien n’est moins sûr si l’on se réfère au «Mémorandum» que vient de publier la Société Malienne des sciences appliquées (MSAS).
«La crise énergétique est plus profonde que les Maliens ne l’imaginent» ! C’est le point de vue de plusieurs experts consultés par «Le Matin» sur la crise énergétique que nous vivons dans le pays depuis de longs et pénibles mois. Ce diagnostic est validé par la Société Malienne des sciences appliquées (MSAS) qui vient de publier un très intéressant «Mémorandum» sur cette crise. Il s’agit en fait de la synthèse de la réflexion d’éminents scientifiques Maliens qui ont fait un diagnostic sans complaisance sur la situation de la société Energie du Mali (EDM-SA.
«La question de l’énergie électrique au Mali : défis et recommandations de solutions pour la Société Energie du Mali et les pouvoirs publics», est le titre de cette contribution de taille au débat actuel sur les voies et moyens de sortir le pays de cette impasse énergétique. Selon ce document, la situation actuelle est due «aux nombreuses difficultés auxquelles EDM-SA fait face depuis plusieurs années. Ces difficultés sont d’ordre stratégique, structurel, réglementaire, gestionnaire et ne pourront être surmontées seulement par des changements de direction de la société ou de ministre de tutelle».
Pour MSAS, son mémorandum vise à «contribuer à la réflexion et à la recherche de solutions afin d’arriver à une résolution définitive du problème d’accès à l’électricité au Mali». Le document fait un état des lieux de l’approvisionnement et de la production d’énergie électrique au Mali ; l’impact de l’utilisation des centrales thermiques sur le coût de l’énergie électrique ; les potentiels des énergies renouvelables, hydroélectriques et photovoltaïques ; la gouvernance et les défis de la société EDM-SA… Il formule à la fin des recommandations à très court, court, moyen et long termes.
La crise actuelle tire en partie sa source de l’approvisionnement en hydrocarbures. «Le Mali n’étant pas encore un pays producteur de pétrole, toute sa consommation d’hydrocarbures est importée à travers les ports maritimes de pays voisins. Cette situation entraîne des difficultés liées au coût d’approvisionnement élevé et au manque de contrôle suffisant du Mali sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des produits pétroliers», ont analysé le panel d’experts de la MSAS.
855 millions de litres de combustibles achetés entre 2015-2021 par EDM-SA
C’est donc fort naturellement que le système énergétique du pays est sensible aux fluctuations des prix du marché des hydrocarbures qui sont indépendants de sa volonté. Ainsi, n’importe quelle forte augmentation du prix du baril de pétrole, peut avoir un impact important sur le système énergétique. Il faut aussi souligner que le marché malien des hydrocarbures est soumis à des taxes parfois élevées dans les pays de transit.
Cette situation, selon MSAS est «aggravée par la faible capacité nationale de stockage». Ainsi, en 2020, le Mali disposait de seulement 6 dépôts de stockage d’hydrocarbures, dont 5 fonctionnels situés à Bamako, Kayes et Tombouctou pour un volume total de 53 853 m³. «Ce volume de stockage correspond à environ 17 jours de réserve par rapport à la consommation annuelle. Cette capacité de stockage est restée presque constante depuis 2009», rappelle la société. Entre 2000 et 2018, la quantité d’hydrocarbures importée par notre pays a triplé, passant de 0,5 million de tonnes équivalent pétrole (Mtep) à 1,6 Mtep… A ce jour, l’ensemble des acheminements d’hydrocarbures se fait par transport routier.
«Le coût des hydrocarbures nécessaires pour faire fonctionner les centrales thermiques représente une part très importante du fardeau total des importations nationales et est l’un des facteurs responsables du coût élevé de l’électricité au Mali», précise le mémorandum. Enfin, sur la période 2015-2021, EDM-SA a acheté 855 millions de litres de combustibles, soit près de 570 milliards F CFA. Une situation qui résulte du faible niveau et du retard d’investissements dans des centrales de production à moindre coût.
Et naturellement que, souligne la MSAS, «les choix stratégiques d’EDM-SA ont un impact important sur son système d’approvisionnement énergétique. La grande préférence accordée aux centrales thermiques engendre une grande dépendance aux importations pétrolières avec une augmentation considérable de la production de source thermique dans le mix-énergétique». Aussi, ajoute-t-elle, «les groupes électrogènes malgré leur coût de maintenance proportionnellement très élevé, contribuent significativement à diminuer la fiabilité globale de l’ensemble du réseau électrique». Tout comme, indique le document, «la dépendance à l’importation d’électricité provenant de pays voisins ou de la quote-part dans des sociétés sous-régionales pour combler une part essentielle des besoins nationaux, constitue une source de vulnérabilité et de manque de fiabilité sur laquelle l’EDM-SA n’a aucun contrôle».
En dehors de ces questions, EDM-SA fait face à des défis importants comme, entre autres, une gouvernance déficiente ; sa forte dépendance aux importations pétrolières avec une augmentation considérable de la production de source thermique dans le mix-énergétique ; la faible capacité de production et l’augmentation importante de la demande qui, historiquement, augmente en moyenne de 10 % par an ; les pertes techniques et non techniques élevées ; la difficulté de trésorerie liée en partie à la vente de l’électricité en dessous du coût de production très élevé… Sans compter les difficultés de mobilisation de financements nécessaires pour la réalisation d’investissements importants dans le secteur ; la difficulté de développer de grands projets d’énergies renouvelables, en particulier le solaire photovoltaïque, à cause de procédures administratives longues et complexes pour la construction de centrales de production d’électricité.
Un plan d’urgence pour anticiper sur la période de grande consommation
Dans le mémorandum, les éminents scientifiques maliens ont formulé des recommandations sur le très à court terme (0 à 6 mois) et à court, moyen et long termes (6 mois et plus). Ainsi, pour réduire autant que possible les coupures d’électricité avant la période de grande consommation, il faudra rapidement mettre en place un Plan d’urgence qui visera à diminuer la consommation et à augmenter la production. Les actions prioritaires à mener sont, entre autres, l’intensification des campagnes d’économie d’énergie, l’incitation des clients industriels à se décrocher du réseau électrique entre 18h00 et 6h00 du matin.
Tout comme il faut procéder au besoin aux délestages des clients domestiques dans la journée, si nécessaire entre 8h00 et 18h00 (les clients industriels situés dans les zones non industrielles seront traités comme des clients domestiques) ; augmenter les tarifs de l’électricité chez tous les clients sauf ceux à très faible revenu disposant d’une souscription de 5 ampères en monophasé ; négocier des accords d’approvisionnement avec la Côte d’Ivoire et/ou les pays de l’OMVS (Sénégal, Mauritanie) ; assurer l’exploitation à pleine capacité des unités de production existantes et assurer l’approvisionnement en carburant.
A court, moyen et long termes, les experts de la MSAS recommandent l’adoption d’une loi de programmation énergétique qui tiendra compte de la croissance de la demande et qui, dans le futur, va obliger les pouvoirs publics à faire des investissements importants dans des technologies de production d’énergie électrique, fiables, durables et à moindre coût ; la cessation des nominations à caractère politique tout en donnant les pouvoirs nécessaires de décision au Conseil d’administration de la société EDM-SA avec l’exigence de l’atteinte totale des résultats escomptés ; la réduction progressive et l’annulation (à long terme) des subventions accordées à la production d’énergie électrique provenant de centrales thermiques.
Encourager l’autoproduction et accorder pour une période déterminée des subventions pour les technologies basées sur les énergies renouvelables, surtout le solaire photovoltaïque. ; mettre en place un système d’identification précise des abonnés et de facturation fiable et sécurisé ; assurer une vérification (traçabilité en temps réel via un système de gestion informatique centralisé) totale du processus d’acquisition, de transport, des frais de douane, de facturation, de livraison réelle et consommation complète des quantités de carburants facturées ; mettre en place une politique énergétique flexible et simplifiée qui facilite le développement de centrales à base d’énergies renouvelables (y compris par des producteurs et investisseurs privés), en particulier le solaire photovoltaïque, ainsi que leur intégration au Réseau Interconnecté… ont également recommandé les experts de la MSAS sur les court, moyen et long termes…
Ils ont également préconisé le développement à hauteur de souhait les projets de centrales hydroélectriques de petites et moyennes puissances ; le renforcement des lignes de transport d’énergie électrique du Réseau interconnecté ; la poursuite du développement de projets dans le cadre de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) de sorte qu’ils soient supplémentaires à la production nationale et non un remplacement de cette dernière ; le développement de partenariats stratégiques avec des pays voisins, particulièrement la Guinée et la Côte d’Ivoire, pour une fourniture mutuelle de quantité d’énergie électrique en cas de besoin ; la modernisation de la structure organisationnelle et l’optimisation de la gestion d’EDM-SA pour la rendre plus efficace dans toutes ses composante, notamment la production, le transport, la distribution et la commercialisation.
Il faut rappeler que la MSAS est une association internationale de droit malien dont les secteurs d’intervention sont principalement l’éducation, la recherche scientifique, les sciences et techniques, la formation professionnelle, les études et recherches. La rédaction du présent mémorandum a été initiée suite à des échanges sur sa plateforme de discussions en novembre 2023. «Le mémorandum est rédigé par un groupe de citoyens (spécialistes du domaine ou non) qui ont à cœur la question de l’accès à une énergie électrique de qualité, en quantité et à moindre coût, pour les secteurs domestique, commercial et industriel au Mali», rappelle-t-elle.
Les experts qui ont contribué à l’élaboration de ce document stratégique sont Mamadou Lamine Doumbia (Canada, Harouna Niang (Mali), Youssouf Sanogo (Mali), Fad Seydou (Mali), Amadou Sangaré (Canada), Amadou Sangaré (Canada), Chouaïbou Maïga (Mali), Abdoul Karim Sylla (USA), Aliou Ousmane Haïdara (Sénégal), Abdoulaye Diarra (Canada), Bakary Sakho (Mali) et Diola Bagayoko (USA). La nation leur doit fière chandelle. Comme à MSAS !
Moussa Bolly
Une demande qui croît annuellement à hauteur de 10 %
Selon les chiffres de 2023, le taux moyen d’accès à l’électricité au Mali est estimé à 53 % au niveau national (18 % en milieu rural et 97 % en milieu urbain). La demande d’énergie électrique est en constante progression avec une moyenne de +10 % par an. Le nombre d’abonnés (basse et Moyenne Tension) de l’EDM SA est passé de 313 621 en 2013 à 829 034 en 2022. En 2019, la grille tarifaire autorisée par la Commission de Régulation de l’Electricité et de l’Eau (CREE) variait entre 60 F CFA/kWh (Tranche 1 : consommation 0-50 kWh par mois) et 133 F CFA/kWh (Tranche 4 : consommation >= 201 kWh par mois) pour la basse tension (BT) prépaiement avec compteur monophasé de 5 ampères.
Pour la Moyenne tension (MT), le tarif était de 113 FCFA/kWh) (Puissance souscrite < 25 kW). Les tarifs Basse Tension (catégorie sociale et normale) n’avaient pas changé depuis 2014. Cependant, le coût de production de l’énergie de l’EDM-SA est tiré à la hausse par le coût de la production de sources thermiques, estimé à plus de 130 F CFA/kWh. Les arriérés de paiement d’EDM-SA envers ses fournisseurs sont passés de 45 milliards en 2013 à 674 milliards en 2022.
M.B