COVID-19 : L’état d’urgence et les violences policières au Mali.
À situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles ! La crise sanitaire que nous traversons a levé le voile sur les régimes juridiques d’exception. Tous les pays touchés par la pandémie du covid-19 ont pris les mesures exigées par la crise qui dérogent naturellement au droit commun.
En revanche, nous devons tous demeurer vigilants afin d’éviter que cette lutte ne soit déviée. À ce propos, les violences policières perpétrées notamment dans les rues de Bamako en cette soirée du mardi 27 mars méritent réflexion. Le régime d’exception est nécessaire en cette période de crise certes, mais il ne peut nullement justifier de tels abus.
Les forces de l’ordre se trouvent en première ligne de front d’autant plus qu’on est désormais en situation d’état d’urgence et c’est le lieu de leur adresser tous nos remerciements. Il convient de leur rappeler en même temps, s’il en était besoin, qu’ils doivent agir dans le respect strict de l’état de droit, quand bien même on est en situation exceptionnelle. Il existe vraisemblablement une sorte de culture de la violence inutile et excessive de l’autorité au Mali.
Parfois, certains agents publics s’octroient même des prérogatives qu’ils ne peuvent pas exercer en vertu de la loi. On sait par exemple que des éléments du Groupement mobile de sécurité (GMS) ont cru pouvoir tabasser des personnes dans le cadre de l’exercice de leur mission. Il s’agit donc d’une situation que nous avons toujours connue et qui est remise à l’ordre du jour à l’occasion de l’exécution des mesures prises en application de l’état d’urgence.
Ce soir, les images partagées dans les réseaux sociaux montrent que la police s’en est violemment prise aux personnes qui n’ont pas respecté le couvre-feu de 20h. C’est une attitude dégradante et inhumaine que tous les maliens devraient dénoncer.
On peut regretter qu’il y ait des personnes qui ne veulent rien comprendre alors que tout le monde s’attèle à contenir la propagation de cette maladie dévastatrice. Cette situation n’est pas propre au Mali et partout ce type de comportement est unanimement condamné car irresponsable.
Cependant, il est possible d’administrer des sanctions efficaces et dissuasives à l’endroit de ces récalcitrants sans les humilier.
Le moins qu’on puisse dire est que la police a délibérément violé l’état de droit ce soir, pourvu qu’il en existe réellement. La période de crise n’autorise pas tout, les atteintes aux droits et libertés ne peuvent pas aller au-delà de ce qu’exige la situation. La répression n’est légale que lorsqu’elle est nécessaire, adaptée et proportionnelle.
Or, on ne peut pas dire que les violences policières de ce soir satisfont ces conditions. Il était tout à fait possible d’infliger des sanctions efficaces et dissuasives aux récalcitrants sans les dégrader. Au lieu de rouer de coups un conducteur de taxi, il aurait été plus conforme à l’état de droit de le frapper au portefeuille en lui collant une grosse amende.
Aussi, plutôt que de tabasser cette jeune fille au sol, il aurait été plus humain de la placer en garde-à-vue toute la soirée et de lui administrer une amende forfaitaire. Dans cette crise, tous les actes doivent être posés en toute lucidité au risque de passer à côté de l’essentiel et de porter atteinte excessivement aux droits et libertés.
L’excès de zèle qu’on a constaté ce soir à travers ces violences policières est aussi le fait des autorités politiques qui auraient donné l’ordre d’agir de la sorte. Les mesures prises sont peut- être pertinentes, mais la méthode utilisée pour leur mise en œuvre reste critiquable. Il n’est pas prudent dans un pays comme le Mali de passer à la répression 24h après avoir décrété l’état d’urgence.
D’une part, tout le monde n’a pas écouté le discours du président de la République pour diverses raisons. Il faut donc quelques jours pour que le message soit bien diffusé.
D’autre part, l’état d’urgence et le couvre-feu sont des régimes presque méconnus au Mali . Avant cette crise, l’état d’urgence n’a été décidé que deux fois et la dernière application remontait à 1988. Dans ces conditions, il aurait été plus approprié de se passer de la brutalité en agissant avec pédagogie sans perte de temps. La frappe doit être focalisée sur le covid-19 et non sur les maliens.
Vieuxba Sidibé