La honte s’abattait sur celle qui avait jugé fidélité à son mari jusqu’à la fin de ses jours.Un appel téléphonique au milieu de la nuit brisait le couple.
Dans un mouvement de régénération soudaine et complète, Samba se relevait, bondissait de son lit moelleux et se précipitait dans la cour. La nuit, mort de fatigue, il dormait à poings fermés d’un sommeil entrecoupé par des réveils causés par les gémissements et les pleurs de son épouse. A l’angoisse de la jeune épouse Kadia se mêlait une cuillerée d’incrédulité. Comment ce con de Sidi avait osé téléphoner en pleine nuit alors qu’elle s’était allongée aux côtés de son mari rentré de voyage du nord du pays ?Il fallait le malheur pour creuser certaines mines cachées dans le genre humain. Le monde secrétait des vices, des appétits monstrueux.
Un léger frissonnement avait passé par tout le corps de la jeune fille au moment où son portable sonnait.D’ailleurs, l’épouse n’avait rien raté de la conversation téléphonique. Elle s’était torturée en vain la cervelle pour y trouver l’habillage qu’il fallait. Inventer, mentir pour persévérer le lien de mariage, pour garder la confiance, n’était nullement à ses yeux un mal en soi.
Angoissante nuit
Kadia était démunie face à l’inattendue. A quoi bon perdre son temps et son énergie à chercher des mots conciliants. Chose inhabituelle chez elle, les prières longues au milieu de la nuit qu’elle jugeait finalement insuffisante à redonner espoir que le miracle se produisît. Plus les heures s’écoulaient plus l’angoisse s’enflait. Et sa propension au s’extirper de son foyer devenait très forte. C’était plutôt un mal nécessaire que d’avoir à affronter son homme sur un terrain perdu d’office. Elle serait couverte de honte au milieu d’une meute de curieuses qui raffoleraient de son inconduite. Kadia tissait sa toile étrange de réaction dans la solitude totale et dans l’épaisse obscurité de sa chambre.
Durant les longues absences de son mari, il fallait une tendresse discrète. Et, sous les dehors brillants d’une femme comblée par la vie, la déchéance morale était immense. A force de vivre seule avec son garçon dans le petit appartement affecté, elle ne pouvait résister à l’envie d’une présence masculine. Se lever le matin devenait un vrai cauchemar quand elle pensait qu’elle devait passer toute la journée à la maison. Son mari ne venait que deux ou trois fois dans l’année. Kadia était dans un état de colère rentrée qui la vidait.
Le miracle de l’argent
La splendide créature dont le port altier faisait plutôt penser à une jeune fille qu’à une jeune femme songeait aux relations extraconjugales. L’argent tiré des amours frivoles possédait le pouvoir d’opérer des miracles. Ses corsages, jupes, chemisettes et robes somptueux enrichissaient une garde-robe déjà fournie. Très vite, les langues se déliaient. La liste des partenaires occasionnels s’allongeait aussi rapidement que sa garde-robe. Ce qui produisait le plus mauvais effet dans le quartier.
Deux ans s’écoulaient, tout faisait naître les soupçons du mari lointain que ses proches informaient de la métamorphose complète de Kadia.Tout concourait à subodorer un dangereux glissement vers la prostitution. Sombre et pensif, Samba gardait son calme. Régulièrement, il lançait sur lui un regard amusésur le calendrier. On était maintenant à deux doigts de la fête d’Aïd El Fitr.Tous les détails rapportés sur l’accoutrement de sa femme dansait dans son esprit quasi- fiévreux depuis de longs mois lui frappaient au point de pointer le nez sans se faire annoncer, contrairement à ses habitudes.
Un service comme coup de fil inattendu valait bien un paquet de remerciements intérieurs. Mieux valait qu’il n’en discutât la nuit. La honte s’abattait sur celle qui lui avait jugé fidélité jusqu’à la fin de ses jours. Elle n’avait connu que lui et n’en connaîtrait point un autre. Au contraire, les portes du bonheur s’ouvraient grandes pour lui qui ne voulait pas l’avoir comme sa seconde moitié, mais cajolait l’enfant issu de leur amour. A force de pressions de ses amis et surtout de son aîné qui avait déménagé dans ce quartier de la banlieue bamakoise où résidaient les parents de sa future épouse, il s’était résigné à accepter l’idée de mariage avec elle, assortie de la condition de s’en défaire si elle dérogeait aux règles de bonne conduite.Kadia n’avait le droit d’élever ses ambitions : son mari moins riche ne pouvait la couvrir d’un luxe insolent.
Désirs charnels intenses
Toutefois, dès les lendemains du mariage religieux, Samba bon joueur se saignait les quatre veines pour fournir de jolis tailleurs, de dessous de femme, de flacons de parfum, de vernis, de chaines, boucles d’oreilles, brosses et dentifrices… Tout ce foisonnement d’objets, Matou les avait reçus sans avoir le temps d’exprimer la demande. Cette pléthore était censéesatisfaire ses besoins d’objets, sans combler ceux charnels.
Tout homme fin connaisseur de la grâce, de l’élégance, de l’intelligence, ne serait pas difficile à conquérir. Kadian’était pas longue à épouser ce point de vue. Pendant des mois, l’étalagesa beauté lui permettait d’écraser n’importe quelle rivale de 26 ans d’âge. Sibiri faisait partie d’une cohorte d’hommes qui déliaient le cordon de la bourse pour ses yeux et son corps. La solitude la nuit fraîche consécutive au faux bond de sa petite amie l’avait décidé à s’attacher régulièrement les services de Kadia. Sibiri, qui éprouvait une sainte horreur pour des disputes, s’était entourée de la certitude qu’elle n’était ni marié ni fiancée. Du moins, elle avait donné des assurances dans ce sens.
Au bout du fil, un homme à la voix grave lui posait une questionétonnamment faite de remontrance. « Pourquoi appelez-vous ma femme à une heure pareille de la nuit ? » avait –il dit avec tant de chaleur. La réplique était d’une simplicité étonnante. « Kadia m’a confié qu’elle est célibataire sans enfant ».
Samba ne songeait pas passer l’éponge sur cette déconvenue. Seulement, il avait besoin de se reposer après un long et périlleux voyage. Le lendemain matin, ses batteries seraient suffisamment chargées pour ouvrir les hostilités. Kadia avait en vain tenté un spasme amoureux, histoire d’échapper au procès du lendemain, à défaut,bénéficié des circonstances atténuantes. Elle s’était fait violemment rejeter plusieurs fois.
L’orage redouté se précisait. Elle prenait donc les devants en disparaissant à la fine pointe de l’aube de la maison, abandonnant tous ses effets personnels récupérés plus tard après le départ du mari.
Georges François Traoré
Source: L’Informateur