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Coopération : « La Russie est de retour sur le continent africain », Vladimir Baykov, ambassadeur de Russie au Burkina Faso

Coopération : « La Russie est de retour sur le continent africain », Vladimir Baykov, ambassadeur de Russie au Burkina Faso

Au lendemain du 1er sommet Russie-Afrique tenu à Sotchi en octobre 2019, l’ambassadeur plénipotentiaire de Russie au Burkina Faso, avec résidence en Côte d’Ivoire, Vladimir Baykov, au micro de Lefaso.net, dresse le bilan de cette grand- messe et annonce les perspectives de la coopération Russie-Afrique. Interview

Lefaso.net : Quel bilan se dégage du tout premier sommet Russie-Afrique, tenu à Sotchi en octobre dernier ?

Vladimir Baykov : C’était le tout premier forum Russie-Afrique, et toutes les premières fois ne se passent pas comme prévu ; mais, je peux vous dire que cette fois-ci l’événement était d’une importance capitale. Il faut bien le dire, avec les chiffres à l’appui, que tous les Etats Africains ont répondu présents. Au niveau des représentations, parmi les 54 Etats Africains, 45 étaient représentés par des Chefs d’Etats ou de gouvernements. Cela montre l’engouement de nos amis africains envers mon pays et envers notre président. Parfois même, certaines personnalités qui étaient à leur première visite de notre pays étaient agréablement surprises.

Formellement, ce sommet a donné l’occasion à plus de 1500 rencontres de différents niveaux ; on a eu au total plus de 40 manifestations politiques, économiques, culturelles et autres, dans le cadre de ce sommet. Cela été un évènement couplé avec le forum économique ouvert avant le début du sommet. Pour l’essentiel, on a adopté une déclaration, un document consensuel, concerté, qui montre les actes d’importance majeure, fixant les secteurs de coopération entre l’Afrique et la Russie. Il s’agit des volets humanitaire, politique, économique, scientifique. Cela n’a pas été un évènement isolé, en plus des autres forums au sommet des partenaires classiques de l’Afrique.

Nous voulons institutionnaliser ce Sommet, qui aura un forum de partenariat entre l’Afrique et la Russie tous les trois ans. On prévoit également la rencontre des chefs de diplomatie entre la Russie et les pays qui assurent la présidence de l’Union africaine (UA) à présent, dans le passé et dans l’avenir pour discuter des problèmes africains. A l’issue du sommet, on a signé deux documents importants, dont le premier document est un mémorandum qui détermine les principes de coopération entre la Russie et l’Union africaine et le deuxième est un mémorandum sur le nouveau cadre de coopération entre l’Union économique eurasiatique et la commission de l’UA.

Concernant le bilan au sens politique, le sommet a bien prouvé le rôle important et actif de la Russie dans la construction de la paix et la stabilité en Afrique. On a montré le rôle de la Russie dans le maintien de la sécurité ; de la paix sur le continent africain et dans la lutte contre le terrorisme. Cela a permis d’assurer le contact entre les organes de renseignements dans la lutte contre le terrorisme. Le sommet a assuré une certaine percée dans les affaires internationales, donc, c’est un évènement d’une importance planétaire.

Quel est le seuil de coopération au développement que se fixe la Russie avant le prochain sommet dans trois ans ? Quels sont les chantiers déterminants, pour le Burkina Faso en particulier ?

Cela doit être basé sur le principe gagnant-gagnant, sur la base d’un principe pragmatique et non sur le principe idéologique. Il ne faut pas que nos amis africains raisonnent comme à l’époque soviétique, à l’époque de la guerre froide. La Russie est un pays qui aspire à l’économie de marché, c’est un pays démocratique qui a ses intérêts économiques et géostratégiques. Avec l’Afrique, la Russie veut une coopération gagnant-gagnant, dans plusieurs domaines.

La Russie joue un rôle important dans la formation des jeunes cadres africains ; actuellement, il y a plus de 15.000 étudiants sub-sahariens qui sont formés en Russie, dont un tiers ont des bourses du gouvernement russe. Dans chaque cas particulier, nous ne voulons pas imposer, en disant on va faire ceci, cela ; on va coopérer. Par exemple en Egypte, nous sommes en train de construire une grande centrale nucléaire avec quatre réacteurs, dont chaque réacteur à 1000 mégawatt, donc 4000 mégawatt. Cela est concret dans les relations de coopération. C’est vrai qu’on n’a pas les mêmes capacités financières que nos partenaires de la Chine et du Golfe. Mais on a d’autres choses plus concrètes. Par exemple, le phénomène d’Ebola, c’est la Russie qui a développé le vaccin qui est en train d’être testé en Guinée. La Russie va fournir ce vaccin pour combattre l’Ebola.

Concernant le Burkina Faso, c’est très difficile d’en parler, du fait de la situation sécuritaire. Il faut dire qu’on a d’importants capitaux russes, notamment avec NordGold, avec plusieurs centaines de milliers de dollars investis. Pour les autres domaines, il faut assurer le climat sécuritaire, le climat d’affaires. Malheureusement, actuellement, il faut dire que la situation sécuritaire n’est pas propice.

Il y a des spéculations et des mensonges concernant le sommet, on prétend qu’il a été organisé pour la vente d’armes, D’abord, actuellement, même si la Russie joue un rôle important en matière de vente d’armes en Afrique, c’est un tiers du volume d’armes livrées sur le continent, qui sont livrées par des entreprises russes.

Nous devenons également un important exportateur de céréales. L’an dernier, le volume total d’exportation de céréales était estimé à plus 25 milliards de dollars alors que la vente d’armes était de 15 milliards de dollars. Avec l’Afrique, on peut trouver de bonnes conditions d’exportation de céréales et d’engrais.

Quel sera le volume des investissements russes dans l’économie du Burkina Faso que vous espérez atteindre, disons, dans les cinq ans à venir ? Est-ce que la Russie va octroyer des crédits au Burkina Faso ? A quel taux ?

Par l’entremise d’une société privée russe, l’Agence internationale du développement souverain, on pourrait trouver des financements plus avantageux sur les marchés extérieurs pour les pays africains, à travers les conditions très favorables. Nous avons un projet avec le Burkina Faso très important, mais je préfère maintenir le suspens. Les potentiels des pays africains pour le financement extérieur à des conditions avantageuses sont estimés à plus de 100 milliards de dollars.

Comment la Russie entend se frayer une place compétitive au milieu de la concurrence chinoise et occidentale sans conséquence négative pour le Burkina Faso ?

Il ne faut pas raisonner dans le sens que quand la Russie fait quelque chose c’est toujours contre quelqu’un ; nous avons notre place à nous, l’Afrique est tellement grande. Dans certains domaines, c’est notre savoir-faire et nos compétences qui peuvent nous permettre de coopérer. Il faut noter que plus les partenaires viennent sur le continent, plus vos pays se développent, et cela n’est pas une compétition. C’est une sorte de coopération gagnant-gagnant.

Sur le franc CFA, quelle est la position du Kremlin ; est-ce que la Russie soutient le front anti- CFA ?

Nous avons un principe de politique claire : aux problèmes africains, les solutions africaines ; si vous avez les problèmes sur le continent africain et vous pensez que vous pouvez les résoudre, nous sommes toujours prêts, selon vos approches ; si vous pensez que le moment est venu pour substituer le franc CFA, c’est à vous de voir. Notre rôle, c’est d’être des observateurs bienveillants. Quand il s’agit des problèmes d’ordre politique, tels les conflits et que ces sujets sont débattus au Conseil de sécurité de l’ONU, nous leur appliquons une approche sur la base des propositions des pays africains. Si vous pensez que l’heure est venue, c’est à vous d’en juger, par exemple, comme un pays africain qui a décidé de changer son hymne. Peut-être que ce sera la même chose, ce n’est pas à nous d’en juger.

Il faut noter que la Russie est un grand pays, c’est un pays démocratique, même si on nous accuse à tort de beaucoup de choses, on parle souvent d’ingérence du Kremlin, du bras de Moscou. En fait, il s’agit souvent des associations, des conseils en politiques, des communications qui sont en jeu, parfois des sociétés commerciales qui font leurs affaires, leurs business. Mais, sur la base de telles idées ou des associations pour dire la Russie a fait ceci, ou cela, ce n’est pas juste. Il faut dissocier la position de la Russie qui est un pays démocratique et des associations Think Tank qui font ceci, cela, et peuvent encourager les associations anti-franc CFA.

Ce n’est pas la position officielle de la Russie. Je répète que nous sommes un pays démocratique et les gens ont le droit d’exprimer leur position différente de celle de l’Etat. N’amenons pas une complication politico-diplomatique, je rappelle que c’est quand même le président, c’est le Chef de l’Etat qui détermine la politique extérieure, et c’est le ministre des Affaires étrangères, notre ministre de tutelle, qui conduit la politique étrangère. En ce qui me concerne, je peux affirmer officiellement que dans l’agenda de notre politique étrangère, il n’y a pas la question du franc CFA.

Au Mali et à travers les réseaux sociaux, de plus en plus de voix appellent à une intervention de la Russie de Poutine, afin de débloquer la situation. Comment la Russie compte-t-elle répondre à cet appel ?

J’ai déjà mentionné qu’aux problèmes africains, les solutions doivent venir des pays africains. Concernant les situations tragiques du Mali, quelle était l’origine de cette stratégie. C’est à cause de ce qui est arrivé en Libye, avec les tentatives de certains pays occidentaux de détruire le régime de Kadaffi, éliminer physiquement Kadaffi et détruire l’Etat. Et si l’Etat n’est plus là, s’il y a des bases militaires opérationnelles des djihadistes en Libye qui assurent leur propagation au Mali et sur votre pays, ce n’est pas la faute à la Russie, ce n’est pas à nous d’apporter la solution. C’est ceux qui ont créé cette situation tragique, ce n’est pas à nous ; voyez-vous, nous sommes quand même assez loin, par la situation géographique de la région du Sahel. Je peux vous dire qu’en ce qui concerne la Syrie, c’était une menace directe à nos intérêts, le président Vladimir Poutine a décidé de répondre à l’appel du gouvernement légitime de Bachar Al Assad. Il y a quatre ans, nous sommes venus sauver l’Etat et on a éliminé les menaces djihadistes. On a élimé DAECH , sauf dans certains foyers. Sauf que parfois, certains de nos partenaires occidentaux souhaitent avoir ces foyers de tension, en pensant savoir qu’il y a des bons et des mauvais terroristes, ce qui est faux, les terroristes sont des terroristes, il faut les éliminer.

 

La Russie a de très bonnes relations avec les pays de cette région, beaucoup de ces pays dans la région du Sahel, nous les aidons dans le cadre bilatéral dans la formation militaire, soit les ventes d’armes, soit les échanges des renseignements, etc. On ne fait pas beaucoup de publicité à ce sujet. C’est quelque chose qui existe bel et bien. Concernant notre engagement, ce n’est pas dans l’intérêt majeur stratégique de notre pays, parce que l’implication étrangère ce n’est pas quelque chose de bien en soit, sauf quand il s’agit de la survie de l’Etat. Dans le cas actuel, quand vous parlez de vos voisins des autres pays de la région, les Etats existent, sauf qu’il y a des foyers de tension dans certaines régions du pays. Et il revient aux forces armées nationales de les combattre. Ce n’est pas à nous de les remplacer. C’est la vision générale de la Russie.

Nous avons donné des réponses ; en 2015, aux Nations unies, le Président Vladimir Poutine a lancé un appel pour la création d’une coalition internationale contre les terroristes ; mais rien n’a été fait. Mais maintenant que la situation S’est aggravée, on dit que la Russie ne fait rien. Ce n’est pas la Russie qui a aggravé la situation, alors pourquoi voulez-vous que nous nous engagions dans cette opération. Il n’y a pas de présence visible de militaires russes dans le Sahel et ce n’est pas notre rôle. On a les militaires russes en Syrie où on a éliminé les terroristes, on a montré l’efficacité des militaires russes dans la lutte contre le terrorisme.

Malgré la forte présence française, aidée par les Américains, les forces de l’ONU, le G5 Sahel, la force mixte et les armées des pays sahéliens, les terroristes font toujours la loi. Comment comprenez-vous cela ?

Je ne suis pas un grand spécialiste des conflits, dans le domaine militaire et du renseignement, mais je crois que c’est une lutte idéologique. Il faut assurer le développement social et économique. La pauvreté joue un rôle dans le recrutement des fous de Dieu. L’option militaire n’est pas sûre ; même si on arrive à écraser les menaces terroristes sans prendre en compte le développement social, la menace va toujours persister. Ce n’est pas le grand nombre de militaires qui permet d’écraser le terrorisme. Donc, il faut d’abord assurer le développement social et économique du pays.

Au sortir du Sommet, des chefs d’Etat et de gouvernement ont formulé des recommandations, parmi lesquelles la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, la construction d’un système de relations internationales plus juste et plus équitable, etc. Quel est le mécanisme de mise en œuvre de ces recommandations, et à quelle période ?

Pour la réforme du Conseil de Sécurité des Nations Unies, bien sûr la réalité actuelle n’est plus la même qu’à la création de l’ONU. On est tout à fait d’accord avec nos amis africains et de l’Amérique latine qu’il faut modifier la composition du Conseil de sécurité actuel pour augmenter le nombre des membres permanents. Mais, c’est un processus de longue haleine. Si je parle de principe, nous sommes tout à fait d’accord qu’il faut parler concrètement, qu’il faut accroitre le nombre des pays africains, pas seulement, membres du Conseil de Sécurité, à titre d’alternance.

Il faut tenir compte de l’autre pôle de croissance tel que l’Amérique latine et l’Asie. Si les propositions des pays développés qui souhaitent avoir leur place au Conseil de sécurité, ce serait toujours le rôle de l’Occident historique qui est déjà important, au regard de la composition actuelle. Notre vision est très simple, on ne peut pas forcer, mais l’idée est claire, il faut changer la situation, il faut revoir, mais cela prendra beaucoup de temps. Il faut que l’Afrique soit mieux représentée. Cela demande une vraie concertation de la communauté internationale. Mais malheureusement, il y a certaines puissances qui pensent que le droit international n’est plus applicable, qu’il faut inventer les règles qui sont acceptables pour les pays qui les proposent, et qui reflètent leurs intérêts et de jeter à la poubelle les propositions des pays qui ne vont pas dans le sens de leurs intérêts. L’Afrique est un contient d’avenir, l’Afrique a le droit de renforcer sa place au Conseil de sécurité.

Où se tiendra le prochain sommet Russie-Afrique ? Quelles en seront les perspectives ?

Les deux parties ont retenu que l’organisation de ce sommet sera faite sur la base d’alternance, une fois en Russie, la deuxième fois, dans un pays africain. Peut-être y aura-t-il beaucoup de propositions.

Votre dernier mot ?

Les Burkinabè sont des gens laborieux et accueillants. Je leur demande de rester optimistes, de défendre l’intégrité de leur territoire et de combattre le terrorisme. La Russie est de retour sur le continent africain et nous sommes très contents de pouvoir aider nos partenaires africains.

Interview réalisée par Edouard Samboé

Lefaso.net

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