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Contribution du Dr Lamine Keita : L’A.B.C DU FRANC CFA ou le franc CFA en 10 points

Sujet d’actualité, le franc CFA, qu’est-ce qu’il est, le franc CFA, quelle est son origine, de quelle expérience provient-il et quelles leçons ont pu être tirées de cette expérience ? Tels sont les questionnements au sujet desquels Dr Lamine KEITA nous livre un éclairage en 10 points.

  1. Pour analyser l’attribution d’un nom, il est important de savoir l’histoire dont ce nom est porteur. C’est ainsi que le nom franc CFA est, à l’analyse, l’appellation première qui a été attribuée depuis le 26 décembre 1945 à la monnaie que la France a mise en circulation dans ses colonies et que 14 pays africains utilisent actuellement en 2017.

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  1. En ce qui concerne le choix du nom lui-même, il faut constater le mot franc qui apparaît dans l’expression franc CFA. Mais qu’est-ce que le franc ? En France, la première monnaie désignée franc est le franc à cheval, frappé en 1360. Il s’agit d’une pièce d’or émise pour payer la rançon du roi de France Jean II le Bon, fait prisonnier par les Anglais à la bataille de Poitiers. Sans jouer aucun rôle de monnaie, le terme perdure en tant que synonyme de la Livre Tournois de sa fabrication en 1360 jusqu’au 7 avril 1795. A cette date, le franc est choisi en remplacement de la Livre Tournois par le décret du 18 germinal an III (7 avril 1795) qui a aboli l’ancien système fondé sur la livre et l’écu. Mais qu’est-ce que la Livre Tournois et qu’est-ce que l’écu ?
  2. Au moyen-âge français, la Livre Tournois était l’unité de compte, une monnaie imaginaire servant à établir les équivalences. Le roi, conseillé par la Cour des monnaies, fixait par édit le cours de la Livre Tournois en métaux précieux. Cependant, les échanges s’effectuaient au moyen d’une seconde monnaie, une monnaie matérielle circulante appelée Ecu qui était définie comme une quantité de la première monnaie, une monnaie fictive, immatérielle, la Livre Tournois.
  3. Par moment, pour satisfaire ses besoins de financement, le Roi modifiait la définition de l’écu et son contenu en métaux précieux à la baisse. Ainsi, il retirait les pièces d’écu de la circulation et les refrappait en conformité avec la nouvelle définition de l’écu. Cette pratique lui permettait d’engranger des ressources consistantes au moyen d’une troisième voie en plus des deux voies traditionnelles connues qui sont la voie des impôts et celle de l’emprunt. Cette troisième voie facile à mettre en œuvre ne nécessitait aucune autorisation comme les impôts. De plus elle n’affecte pas l’endettement dont l’alourdissement  ruine la crédibilité des autorités royales.
  4. Cependant, après la mesure de dépréciation de l’écu, s’ensuivaient un bouleversement des prix des mouvements sociaux qui étaient violemment réprimés.
  5. A l’analyse, il était ressorti des conclusions de l’étude sur les causes des décadences des Royaumes réalisée par N. Copernic, que la dépréciation de la monnaie présente des conséquences sociales lourdes qui font d’elle l’une des causes de la décadence des Royaumes, aux côtés de la discorde, la mortalité et la stérilité des terres. Donc si le financement du Roi au moyen de la dépréciation de l’écu, la monnaie circulante, était une opération facile à mettre en œuvre, elle restait une opération dangereuse selon les conclusions de l’étude réalisée par N. Copernic.
  6. Après la Révolution française, par le décret du 18 germinal an III (7 avril 1795) le franc, doté du décime et du centime, est choisi en remplacement de la Livre Tournois, en tant qu’unité de compte, et mis en circulation en remplacement de l’écu. De plus, l’écu a été aboli et toute sous-unité du franc autre que le décime et le centime est interdite, rendant ainsi impossible la manipulation frauduleuse à laquelle était soumis l’écu.
  7. Par conséquent, en se référant à l’histoire, le franc CFA apparaît comme la deuxième monnaie qui est définie comme une quantité fixe de la première monnaie, le franc, tout comme l’écu l’était, comme quantité fixe de la livre Tournois que le franc a remplacée depuis le 7 avril 1795. Il apparait donc que ce franc CFA est la création de l’écu dans les colonies sous un nouveau nom, le franc CFA. Par conséquent, ce franc CFA ne peut que jouer le même rôle que l’écu jouait dans le Royaume de France au moyen-âge jusqu’à son abolition en 1795.
  8. Donc, si la manipulation frauduleuse à laquelle l’écu était soumis a été supprimée le 7 avril 1795 en France métropolitaine, elle est redevenue possible dans les colonies françaises 150 ans plus tard en 1945. Quinze ans, après, cette pratique a été également étendue aux pays africains de la zone franc qui sont devenus indépendants à partir de 1960.
  9. Donc, vous comprenez que si on connait le bilan du fonctionnement de l’écu au moyen-âge français, rien n’est plus facile que de comprendre ce que sera l’expérience du fonctionnement du franc CFA qui fait aujourd’hui polémique.

Conclusion

Ce bilan de l’écu, clairement perceptible à travers l’expérience du Royaume de France, indique que l’écu, et plus tard, sa réplique, le franc CFA, représente simplement un mécanisme de financement facile du Trésor Royal utilisé par le Roi pour s’affranchir, par ce moyen de financement, de toutes les difficultés rencontrées habituellement pour lever des fonds à son bénéfice en dessaisissant directement sa population de ses ressources monétaires.

Malheureusement, cette méthode de financement facile du Trésor Royal, puis du Trésor français, fondée sur la dépréciation de l’écu, puis du franc CFA, présente des conséquences sociales au moins aussi désastreuses que la discorde, la mortalité et la stérilité des terres, selon les conclusions de l’étude réalisée par N. Copernic. On comprend donc pourquoi la France a supprimé, avec raison, l’écu sur son territoire métropolitain le 7 avril 1795.

Cependant, le plus incompréhensible reste la création, à nouveau, dans ses colonies, de ce même mécanisme de financement aux conséquences dangereuses, sous l’appellation de franc CFA 150 ans plus tard, et sa reconduction 15 ans après dans les pays indépendants issus de ces colonies.

Il n’est donc pas exagéré de constater que la France a volontairement maintenu ce mécanisme de régression dans les pays africains de la zone franc, en le programmant et en l’exécutant pour dessaisir les populations africaines utilisatrices du franc CFA de leurs ressources monétaires sans qu’elles aient, au préalable, commis la moindre infraction ou la moindre erreur et sans jamais pouvoir trouver un moyen d’y échapper.

De même, vous constaterez que les Etats africains concernés n’ont aucun droit ni aucune responsabilité dans ce jeu de dupes, si ce n’est qu’ils ont été eux-mêmes entrainés dans une tromperie dont la profondeur les engloutissait tous et qui restait insoupçonnée des populations qui en sont victimes alors que celles-ci sont assez souvent fières et confiantes d’avoir déjà versé suffisamment de sang pour mériter l’amitié de cette France. Belle erreur !!! En effet, ces Etats ont eu le malheur d’avoir été invités à un jeu franco-français et d’y avoir pris part en tant que victimes alors qu’ils se croyaient acteurs.

Aujourd’hui, ces populations ont fini par comprendre que l’heure des comptes aura pris certainement du temps, mais surement, qu’elle arrivera. Ainsi, peu importe quel moment faudra-t-il choisir pour faire entrer ces populations africaines dans leurs droits ou quelles dispositions envisager pour assurer la réparation des dommages incommensurables qu’elles ont subis.

Enfin, peut-on s’interroger, par quelle logique, ces 14 Etats africains de la zone franc ont-ils pu accepter d’assurer cette paternité de la création d’un franc CFA plus âgé que le plus vieux d’entre eux ? Cela me fait sourire en pensant à cette histoire d’un ancien collègue qui est parti au tribunal pour témoigner de la naissance de quelqu’un qui était plus âgé que lui, sans s’interroger sur son acte, ne voyant que l’idée de rendre service à quelqu’un qui avait besoin d’un acte de naissance. Le juge le regarde et, un moment, il ferme les yeux et dit, ” jeune homme si j’ouvre les yeux pendant que tu es encore devant moi, je vais te coffrer “.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le jeune a disparu du regard du juge qui annonce au reste de l’assistance : ” vous vous rendez-compte de cette inconscience du jeune homme ? Il vient témoigner de la naissance de quelqu’un qui est plus âgé que lui. ” Alors, je ne puis que me demander, quel est le juge qui doit examiner la situation des Etats qui se seraient rendus coupables du même délit, en acceptant cette paternité du franc CFA qui amène les populations qui en sont utilisatrices dans cette impasse que nous venons de passer en revue ?

Bamako, le 18 novembre 2017

Par Zénith Balé

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