REVUE DE PRESSE. Au moment où des législatives et des locales sont organisées ce dimanche, des voyants rouges s’allument sur plusieurs fronts.
Grève sur les sites d’exploitation de Total E&P à Pointe-Noire, mise en examen de deux proches du président Sassou Nguesso dans l’affaire des bien mal acquis, alerte de l’ONU sur des cas de détentions arbitraires dans les geôles de Brazzaville, annulation du festival panafricain de musique Fespam prévu du 19 au 21 juillet, dégradation de la note du Congo par l’agence Standard & Poors sur fond de conflit entre l’Etat congolais et un de ses créanciers… Quand on cherche à prendre le pouls du Congo Brazzaville à la veille des élections législatives et locales du dimanche 16 juillet, cette déferlante d’actualité négative est loin d’annoncer des lendemains tranquilles pour la population et pour les quelque deux millions d’électeurs congolais appelés aux urnes.
L’opposition divisée
Sur le plan politique, ce scrutin intervient plus d’un an après la présidentielle du 20 mars 2016 qui a consacré la réélection de Denis Sassou-Nguesso. Cette date marque aussi une fracture au sein de la vaste plateforme d’opposition IDC-FROCAD née en août 2015. « L’unité de l’opposition du Congo-Brazzaville a volé en éclats au lendemain de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 20 mars 2016 par la Cour constitutionnelle. C’est un secret de polichinelle. La mort dans l’âme, une frange de l’opposition a vite fait de reconnaître la victoire de Denis Sassou Nguesso. L’autre frange continue de dénoncer le hold-up électoral du calife d’Oyo », écrit Benjamin Bilombot Bitadys sur le site d’informations Congopage, en référence au village natal du président congolais (Oyo), et à sa modification de la Constitution par référendum en octobre 2015, en vue de briguer un 3e mandat.
Aujourd’hui, une partie de l’opposition participe à la compétition électorale, quand une autre partie boycotte les scrutins. Chez les premiers, on retrouve Guy Brice Parfait Kolelas, chef de l’Union des démocrates humanistes (UDH) Yuki ainsi que Pascal Tsaty Mabiala, à la tête de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS). Les seconds se composent de l’Initiative pour la démocratie au Congo (IDC) emmenée par son fondateur Charles Zacharie Bowao, du Front républicain pour le respect de l’ordre constitutionnel et l’alternance démocratique (FROCAD) présidé par Claudine Munari et de la Composante Jean-Marie Michel Mokoko (CJ3M), du nom d’un des candidats à la présidentielle de 2016, emprisonné depuis juin 2016 pour « atteinte à la sureté de l’Etat ». « C’est désormais le « chacun pour soi, chacun sa position », déplore le journaliste de Congopage, qui passe à la loupe les arguments des deux camps.
La politique de la chaise vide ? Un couteau à double tranchant
« Devrait-on participer à des élections dont les dés sont pipés et les résultats connus d’avance ? Devrait-on faire fonctionner un parti politique sans élus et donc sans argent ? (…) Sassou aura-t-il la magnanimité de nommer un nombre suffisant de députés Yuki pour former un groupe parlementaire ? » se demande-t-il enfin, pointant ce dilemme : « la politique de la chaise vide peut aussi se révéler un couteau à double tranchant » pour un parti politique.
L’hypothèque de la situation dans le Pool et des prisonniers politiques
Ce dernier argument semble toutefois glisser sur les trois principaux mouvements d’opposition coalisés, résolus à boycotter le scrutin. Outre le fait de continuer à dénoncer la victoire « frauduleuse » de Denis Sassou Nguesso à la présidentielle de 2016, ce refus de participer aux élections se fonde aussi sur la situation dans le Pool. Ce département, qui fut le théâtre d’affrontements violents entre l’armée et les milices Ninjas du Pasteur Ntumi, un chef rebelle, entre 1998 et 2003, a de nouveau basculé dans la violence l’année dernière après la présidentielle. Depuis, le conflit a fait environ 81 000 déplacés selon l’ONU, ce qui représente un tiers de la population du Pool. Fin mai, la coalition des partis d’opposition conditionnait ainsi la tenue d ‘élections à « l’arrêt de la guerre dans le Pool » et à la « libération de prisonniers politiques ».
Une situation économique de plus en plus difficile
Dans un communiqué diffusé par le site d’infos congolais mwinda.org, les opposants brossaient aussi un « tableau des difficultés financières et sociales du Congo ». « Parallèlement aux salaires, pensions, bourses et prestations de service à l’Etat non payés, les pénuries des produits courants se multiplient, générant une flambée des prix. Les produits alimentaires de base, les carburants (essence, gazoil, kérozène, pétrole lampant) et le gaz de cuisine sont désormais devenus comme l’eau et l’électricité, des denrées rares, voire très rares. Chaque jour, la crise s’aggrave et s’élargit et le Congo s’enfonce davantage dans la détresse générale », mentionne ce communiqué.
Réclamant un « dialogue inclusif sous l’égide de la communauté internationale », la coalition de l’opposition avait appelé la jeunesse à se mobiliser le lundi 10 juillet. Mais l’initiative a tourné court, face à l’imposant dispositif policier déployé à Brazzaville.
Un engouement limité malgré de nombreux primo-candidats
Depuis, la campagne électorale a repris son cours. Une des conséquences du boycott des scrutins par une large partie de l’opposition, est d’amenuiser l’enjeu de ces scrutins. Les candidats des deux partis d’opposition encore dans la course apparaissent largement sous-représentés face aux candidats du PCT (Parti congolais du Travail). Certes, on compte aussi de nouveaux arrivants.
La nouvelle législature sera composée de 151 députés, contre 139 jusque-là. Mais cela ne suffit pas, semble-t-il, à créer un véritable engouement. Pour le moins, ces jeunes primo-candidats à la députation ont piqué la curiosité de la bloggeuse Samantha Tracy. « Une des surprises –pour moi en tout cas – c’est le nombre de jeunes qui représentent une liste à travers les différents arrondissements. (…) En voyant cette affluence non négligeable de jeunes engagés dans la politique, une question se pose : est-ce là un véritable engagement ou est-ce la dernière mode à la congolaise ? Rappelons que la plupart des jeunes qui portent fièrement les couleurs de telle ou telle liste n’ont manifesté auparavant aucun réel engagement politique. Bien qu’ils annoncent un rajeunissement de la classe politique congolaise, la question à se poser est la suivante : sont-ils suffisamment outillés pour prétendre représenter des populations déjà trop abusées par le passé ? Mieux… Ne seraient-ils pas les marionnettes d’une farce qui voudrait donner l’impression d’un changement de mentalité dans la sphère politique ? », écrit-elle dans un post intitulé « législatives au Congo : le show comique ».
Les affiches des candidats raillés sur les réseaux sociaux
La bloggeuse revient aussi sur la façon dont la communication des divers candidats a été moquée sur les réseaux sociaux. « Vous n’avez pas pu rater le show le plus comique du moment (…) : les affiches des candidats aux législatives. Entre slogans improbables, convocation de chefs coutumiers ou de divinités, fautes d’orthographe à la pelle en passant par les relations pères fils mises en avant… » écrit-elle. Le ton du post est ironique, mais la jeune femme prévient : « l’heure est au pleurer-rire ».
Des élections sur fond de récession et conflit social
Si ces élections ne sont pas toujours prises au sérieux, c’est aussi en raison du marasme économique dans lequel est plongée la République du Congo. L’année 2016 a connu une récession inattendue (-2,7 % de croissance du PIB selon le FMI), qui pourrait se poursuivre en 2017. Les caisses de l’Etat se vident, les réserves monétaires fondent, le gouvernement accumule les retards de paiement… En mars, le gouvernement du Congo a sollicité l’appui du FMI, qui serait enclin, selon Le Journal de Brazza, à aider le pays « dans la formulation d’un programme économique et financier » qui « entrainerait l’amélioration significative de la qualité des dépenses publiques ». Pas de quoi calmer encore la grogne sociale, qui couve, ou s’exprime à quelques jours des élections législatives et locales.
Ce jeudi 13 juillet, les employés de Total E&P ont arrêté la production sur tous les sites d’exploitation du géant pétrolier au large de Pointe-Noire. « Tout est parti d’une revendication sociale des agents de Total E&P Congo qui réclamaient le limogeage du directeur général, lequel avait rogné sur les avantages sociaux des travailleurs », narre le site d’infos congolais mwinda.org. Une intervention « musclée et pour le moins disproportionnée » a ensuite conduit l’intersyndicale à engager un bras de fer avec la direction de Total.
En attendant le dénouement de cette crise sociale, Mwinda rappelle que « c’est l’entrée en grève des syndicalistes du secteur pétrolier au début des années 90 qui avait poussé la France à ne plus soutenir son préfet-président, avec pour conséquence l’avalanche d’événements politiques qui conduisirent à la convocation de la conférence nationale souveraine, et à l’adoption du multipartisme. C’est dire que les heures qui vont suivre seront donc cruciales. Alors, Wait and see ! ».
Sassou comparé à Néron
Pour le quotidien burkinabé Le Pays, « les oppositions doivent se montrer plus imaginatives » face au pouvoir de Brazzaville. Un brin sévère, il se demande « si le peuple congolais, que la communauté internationale semble avoir abandonné aux mains du dictateur, ne mérite pas son sort ». « « Les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent », a-t-on coutume de dire. (…) Les Congolais ne semblent pas prêts à aller au sacrifice suprême pour conquérir leur liberté et semblent avoir le regard tourné vers l’extérieur. Or, comme le disait feu Thomas Sankara, « l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte, ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort ». Et Denis Sassou Nguesso, connaissant bien son peuple, en profite à souhait », estime le titre de Ouagadougou dans un article intitulé « Sassou comme Néron ». Denis Sassou Nguesso, proche de l’empereur romain accusé – à tort ou à raison – d’avoir brûlé Rome ? Le Pays se base sur la propension du président congolais à réprimer. « Il est bien dans la posture de Néron quand il disait à propos de ses sujets : « qu’ils me haïssent s’ils veulent, pourvu qu’ils me craignent » », argue Le Pays. « Et s’il devrait brûler le Congo sur l’autel de son pouvoir comme l’avait fait le tristement célèbre dictateur de l’Antiquité romaine, il le ferait sans hésiter. Et pour preuve, l’homme n’avait pas hésité à bombarder avec des hélicoptères de combat, son opposition ».
Le limogeage de la directrice du CHU de Brazzaville en dit long sur l’esprit du pouvoir
En attendant, le régime congolais montre qu’il sait faire preuve de fermeté. Ce jeudi 13 juillet, encore, décision fut prise de limoger Gisèle Marie-Gabrielle Ambiero, directrice du CHU de Brazzaville, après qu’elle eut écrit une lettre ouverte au président. Elle y décrivait un établissement dans un « état déplorable », un « récurrent fonctionnement malheureux », un « grand réseau mafieux » qui « vole, pille, ment, désoriente et désinforme »… « Depuis fort longtemps, j’ai exprimé le désir ardent de vous rencontrer, mais toutes mes démarches se sont soldées par des échecs », précise-t-elle dans sa lettre. Son appel au secours n’a manifestement pas été entendu. Celui du peuple le sera-t-il ?
Le Point Afrique