Depuis quelques jours, l’ambiance autour du concours d’entrée à l’ENA est délétère. La raison principale est l’exclusion des titulaires du diplôme de licence de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB). Cette décision constitue à la fois une violation du statut général des fonctionnaires en République du Mali et une atteinte grave au principe fondamental de l’égale admissibilité aux emplois publics.
Sur la violation de la loi n°02-053 du 16 décembre portant statut général des fonctionnaires au Mali, il faut de prime à bord relever que le concours, opération de vérification des connaissances impliquant la sélection d’un nombre limité de lauréats, à la différence d’un examen, est le mode de recrutement de droit commun dans la fonction publique malienne.
L’ART. 27 de la loi énonce, le principe selon lequel nul ne peut postuler à un emploi de la fonction publique :
- s’il ne possède la nationalité malienne ;
- s’il ne jouit de ses droits civiques et s’il n’est de bonne moralité ;
- s’il ne se trouve en position régulière au regard des lois sur le recrutement de l’armée ;
- s’il n’est âgé de 18 ans au moins et de 32 au plus pour la catégorie C, 35 ans pour les catégories B2 et B1 et 40 ans au plus pour la catégorie A ;
- s’il ne remplit les conditions d’aptitude requises en général pour l’entrée dans la Fonction publique et des conditions d’aptitude physique particulièrement exigées pour l’accession au corps de recrutement ;
- s’il n’est détenteur de l’un des diplômes requis par le statut.
La loi n°02-053 du 16 décembre 2002 portant statut général des fonctionnaires modifiée (Titre II, Chapitre II : Titularisation, art. 31 à 34) énonce que l’accès aux emplois publics est ouvert à égalité de droits, sans distinction aucune, à tous les maliens remplissant les conditions requises pour chaque emploi postulé. Est fonctionnaire à ce titre, toute personne qui, nommée à un emploi permanent a été titularisée dans un grade de la hiérarchie des administrations publiques ». Cette définition fait apparaître les critères qui permettent de caractériser le fonctionnaire par rapport aux autres agents publics. Ces critères sont au nombre de quatre :
- en premier lieu, la nomination de l’agent par un acte unilatéral de l’autorité étatique compétente, à la suite de la mise en œuvre de la procédure légale et réglementaire de recrutement instaurée à cet effet ;
- en second lieu, l’occupation permanente d’un emploi lui-même permanent ;
- en troisième lieu, la titularisation de l’agent dans un des grades (ou classes) de l’un des emplois constituant la hiérarchie administrative. Cette titularisation se fait sur la base de l’intervention d’un acte formel, juridiquement et matériellement distinct de la décision de nomination et qui est seul de nature à attribuer à titre personnel à l’intéressé la qualité de fonctionnaire et l’ensemble des droits attachés au grade qui lui est ainsi conféré ;
- enfin, la participation à un service public administratif des collectivités publiques.
Sur l’atteinte grave au principe fondamental de l’égal accès aux emplois publics, l’adoption du concours comme méthode la plus adaptée de recrutement (article 29) apparaît donc comme la conséquence logique à ce principe. En effet, la Constitution du 25 février 1992 dans son art. 2 proclame que « Tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs ».
Historiquement, le principe de l’égale admissibilité de tous aux empois publics a été posé pour la première fois par l’article 6 de la Déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 en ces termes : « Tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités et sans autre distinction que celle de leurs talents ».
La garantie à tous les citoyens dans le cadre des lois, de l’égalité devant l’emploi » est également consacrée par la constitution du 25 février 1992 en son article 19 en ces termes « le droit au travail est reconnu et est égal pour tous ». Le même principe est garanti par la charte de la fonction publique en Afrique adoptée par la Troisième Conférence panafricaine des Ministres de la fonction publique à Windhoek (Namibie) le 5 février 2001. L’article 4 de la charte précise que les mesures prises par l’administration doivent être proportionnées à ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif d’intérêt général poursuivi, de telle sorte qu’il ne doit pas porter une atteinte excessive aux autres intérêts en présence.
Mais déjà bien avant l’indépendance, le principe de l’égalité d’accès aux emplois publics avait trouvé une consécration dans des instruments juridiques internationaux auxquels le Mali est parti aujourd’hui. Il en est ainsi de la Convention OIT n° 111 de 1958 concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession, ratifiée par le Mali.
L’exclusion des titulaires du diplôme de licence est d’autant plus incompréhensible qu’elle souffre d’une base légale sur plusieurs points.
La décision en date du 02 novembre 2018 ouvrant le concours s’appuie sur un arrêté qui connait une abrogation tacite. En effet, ledit arrêté n° 2013-0209/ PM-RM du 23 janvier 2013 portant conditions d’accès à l’ENA est contraire à l’ordonnance n°2014-019/ P-RM du 03 octobre 2014 modifiant la loi n°02-053 du 16 décembre 2002 portant statut général des fonctionnaires.
Faisant économie de la théorie de Kelsen sur la hiérarchie des normes, l’arrêté de 2013 ne peut donc produire des effets normatifs après la modification du statut général des fonctionnaires en République du Mali en 2014 en application de la directive n°03/2007/CM/UEMOA portant adoption du système Licence, Master, Doctorat (LMD) dans les Universités et Enseignement Supérieur au sein de l’UEMOA. Cette modification répondait aux exigences de la communauté de prendre les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la mise en œuvre de ladite directive au plus tard le 31 décembre 2009.
C’est ainsi que le décret n°08-790/P-RM du 31 décembre 2009 a institué le système LMD dans l’enseignement supérieur. L’une des conséquences de l’introduction de ce système est la disparition progressive de la maîtrise comme diplôme de l’enseignement supérieur. Le décret fait de la licence le 1er diplôme de l’enseignement supérieur offrant désormais droit à ses détenteurs l’accès à la catégorie « A » de la fonction publique.
Le refus de laisser concourir est d’autant plus incompréhensible que le statut qui est régit par une norme législative, donc ayant une valeur supra réglementaire consacre le droit pour nos étudiants titulaires de la licence de concourir.
Il faut rappeler que le statut général des fonctionnaires est le texte dans lequel se trouvent regroupées les règles applicables à l’ensemble des fonctionnaires (statut général) ou à un groupe de fonctionnaires, corps ou cadre d’emploi (statut particulier). S’il existe toutefois des fonctionnaires qui ne sont pas régis par le statut général mais par des statuts distincts qualifiés d’ »autonomes », les autres fonctionnaires de l’État sont régis par des statuts particuliers ou spéciaux, qui se rattachent au statut général, tout en pouvant parfois s’en écarter par quelques dérogations.
Il pose une série de principes généraux concernant la situation statutaire des fonctionnaires et les conditions générales d’accès à la fonction publique. Il énumère ensuite les garanties fondamentales : liberté d’opinion, égalité des sexes, droit syndical, droit de grève, participation à l’organisation et au fonctionnement des services, bénéfice d’une protection juridique. Il fixe également une série de règles concernant les carrières : distinction du grade et de l’emploi, principe du recrutement par concours, de l’interdiction de faire figurer dans les dossiers les mentions concernant les opinions politiques ou religieuses des fonctionnaires, des droits au congé, à la formation permanente etc.
L’ordonnance n° 2014-019/P-RM du 03 octobre 2014 modifiant la loi n°02-053 du 16 décembre 2002 portant statut général des fonctionnaires qui à son tour a été modifiée par la loi n°2014-010 du 16 mai 2014 précise que la licence professionnelle est reconnue comme relevant de la catégorie « A » 3ème Classe 1er échelon., la maîtrise à la 3ème Classe 2ème échelon, le DEA à la 3ème Classe 4ème échelon, le Doctorat à la 2ème Classe 1er échelon.
Il n’y a pas de raison que l’ENA ne revienne pas sur sa décision d’exclusion des titulaires de licence d’autant plus qu’elle n’est pas à sa première fois d’être en porte-à-faux avec le statut général des fonctionnaires de 2002. Il faut juste rappeler que par son arrêté n°08-2324/PM-RM du 15 août 2008 portant conditions d’accès et régimes des études de l’ENA, l’article 2 al. 1 dudit arrêté ramenait l’âge limite à concourir pour la catégorie « A » à 30 ans au plus au 1er janvier de l’année du concours. Dénoncée, cette violation a été corrigée par l’arrêté n° 2011-3647/PM-RM du 8 septembre 2011 pour ramener l’âge à 40 ans conformément à la loi. En définitive, c’est un problème de relecture des textes de l’ENA qui s’impose. L’ineffectivité de cette adaptation des textes ne saurait être la faute des titulaires de la licence qui d’ailleurs viennent d’introduire deux requêtes auprès de la section administrative de la Cour suprême pour faire valoir leur droit à concourir : une requête principale aux fins d’annulation et une requête en sursis à exécution.
En tant qu’enseignant, nous ne pouvons pas et ne devons pas verser dans la polémique et une dénonciation stérile. C’est une question de justice sociale et d’équité. Pour cette raison, ce combat ne doit pas être celui de nos seuls étudiants mais de tout le corps enseignant de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako, du Ministre de l’Education Nationale, de celui de l’Innovation et de la recherche scientifique, du Ministre de la Fonction publique bref de tout le monde. Notre silence face à la rupture du principe de l’égal accès aux emplois publics constitue une atteinte grave à notre équilibre social. Par extension un désaveu, une remise en cause de notre ordre juridique, le saccage de notre raison d’être en tant qu’enseignant. A quoi vont servir encore nos universités, facultés si nos étudiants diplômés ne peuvent pas faire valoir leur diplôme ?
Ce malentendu fâcheux doit rapidement trouver solution.
Dr Souleymane Seydou DE, Enseignant chercheur à la faculté de droit public
Source: Le Pays