Dans le courant de la première semaine du mois d’octobre 2018, fuite organisée ou négligence administrative, le peuple malien prend connaissance, par le canal des réseaux sociaux, d’un projet de loi portant «découpage administratif», d’un projet de réorganisation administrative avec «création de circonscriptions administratives et de collectivités territoriales ; rattachement des villages, fractions, quartiers, communes et cercles». Si le nombre de régions ne varie pas, le projet prévoit une augmentation exponentielle du nombre de cercles et de communes.
Il suscite la désapprobation générale. Pour aplanir cette désapprobation, le ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation a décidé d’organiser des concertations régionales afin de recueillir l’avis des populations. Le MPR a choisi de ne pas y participer, pas par opposition de principe au régime, mais par fidélité à une ligne de conduite, celle qui consiste à ne s’associer à aucune action tendant à diviser notre pays ou à poser les fondements de sa partition future.
Le MPR a choisi de rester à l’écart de ces concertations régionales pour une série de raisons.
La première raison tient à la manière dont ces assises sont organisées. Sur ce point, moins d’une organisation, il faudrait plutôt parler d’inorganisation. D’ordinaire, pour associer le peuple, à travers ses différentes composantes, à une prise de décisions dont les conséquences influent sur le devenir de la Nation à plus ou moins long terme, les autorités commencent par effectuer un travail en amont.
Suffisamment à l’avance, le projet gouvernemental est préparé et présenté par des spécialistes du droit et des experts en différents domaines. Ces derniers statuent sur son opportunité, sa pertinence, sa viabilité et sa faisabilité. Le résultat de leurs travaux sert à rédiger les termes de références et les documents de travail. L’ensemble est examiné à différents échelons de la prise de décision gouvernementale. Cela s’étend sur des mois.
Ce travail en amont n’a pas été effectué dans le cas d’espèce. Tout se passe comme si, à la suite du tollé provoqué par la découverte du projet, au préalable tenu secret, le ministère en charge de la Décentralisation a cherché à se rattraper à travers des concertations régionales ; d’où la grande précipitation avec laquelle celles-ci sont convoquées.
Des documents de travail ont été élaborés : un livret par région. Quand ont-ils été élaborés ? Où ont-ils été élaborés ? Qui en sont les auteurs ? En quoi concourent-ils à mettre fin à la rébellion avec le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’intégralité du territoire ? Telles sont certaines des questions que l’on est en droit de se poser et qui, à ce jour, restent sans réponse.
La deuxième raison de la non-participation du MPR aux assises régionales tient à la qualité des participants : un ensemble hétéroclite. Les assises vont regrouper d’une part, ceux qui auraient dû faire le travail en amont, les administrateurs et les spécialistes du droit, et, d’autre part, les représentants des partis politiques, les représentants d’associations et des notabilités dont la vocation réelle se situe ailleurs. Assurément, le choix est tout sauf fortuit. Qui peut, par exemple, imaginer des administrateurs allant à l’encontre des dispositions d’un projet émanant de leur département de tutelle ?
La troisième raison tient à l’opportunité des assises envisagées. Le projet de réorganisation administrative est présenté comme un «moyen de rapprocher davantage l’administration des populations», de «redimensionner les grands espaces pour permettre à l’Etat de mieux encadrer les collectivités territoriales et de favoriser l’atteinte des objectifs de développement économique, social et culturel».
Retenons, pour les besoins d’une hypothèse, que cela soit le motif réel incitant le pouvoir à procéder à une réorganisation territoriale. La vérification de l’hypothèse fera relever son caractère spécieux. En effet, le constat qui se dégage est que l’entreprise, toute louable qu’elle serait, ne s’inscrit pas dans les priorités qui doivent être les nôtres en cette phase de l’histoire de notre pays. Pour parler d’un meilleur encadrement des populations, il faudrait d’abord que celles-ci soient sécurisées, vivent en harmonie les unes avec les autres, se sentent complémentaires, solidaires. En outre, un Etat administre un territoire après l’avoir, au préalable, contrôlé et sécurisé. Or, tel n’est pas le cas actuellement de l’Etat malien. Plus des deux tiers du territoire échappent à son contrôle. Alors, de quelle utilité serait une réorganisation d’un territoire placé sous coupe réglée par les fossoyeurs de l’unité nationale ?
Cependant, les raisons évoquées pour procéder à la réorganisation administrative envisagée ne sont que des prétextes. Le projet, en réalité, est conçu comme un des moyens de mettre en œuvre l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. L’Accord…, parmi les «mesures destinées à assurer une meilleure gouvernance», exige «une plus grande représentation des populations du Nord au sein des institutions nationales». Or, il n’échappe à personne qu’en augmentant, particulièrement dans le Nord avec une discrimination flagrante en faveur de certaines communautés, le nombre de régions, le nombre de cercles, le nombre de communes, on augmente, systématiquement le nombre de présidents de conseil de régions, de présidents de conseils de cercles, de maires, de députés, de sénateurs, de conseillers… Du coup, une tendance se trouve inversée, la tendance naturelle, avec la transformation d’une minorité sociologique en majorité politique. Ainsi se trouvent posés les fondements d’une gestion de l’Etat sur des bases ethniques et discriminatoires.
Enfin, la dernière raison pour laquelle le MPR s’abstient de participer aux concertations régionales tient au fait que ces concertations, tout comme la réorganisation administrative, censée en découler ne seraient que des actes inadéquats et inefficaces : de 1992 à ce jour, à la suite de différentes réorganisations administratives, l’Etat a créé au Nord du Mali 3 nouvelles régions, 15 cercles et plus de 50 communes ; aucune de ces mesures ne fut suffisante pour mettre fin à la récurrence des rébellions. Qu’on y regarde de près. En 2012, sous la pression de la rébellion, le gouvernement réorganise, dans un cadre général, la physionomie administrative du Nord du Mali avec, en particulier, la création de deux nouvelles régions, Ménaka et Taoudéni, et d’une série de cercles.
Ces régions ont été rendues opérationnelles avec la nomination des gouverneurs censés y représenter l’Etat. Cela ne fut d’aucun apport pour la restauration de l’autorité de l’Etat dans le Nord. Quant aux autres régions, elles restent, à ce jour, non opérationnelles, même si, pour des motifs électoralistes, les gouverneurs de certaines d’entre elles ont été nommés à la veille de la présidentielle de juillet-août 2018. De ce point de vue, tout se passe comme si, le pouvoir procède à une fuite en avant, en se constituant en soutien, et à son insu ou par faiblesse, des forces et puissances ayant déjà planifié la partition du Mali.
Telles sont, exposées, les raisons qui incitent le MPR à s’abstenir de participer aux concertations régionales prévues cette semaine à travers le pays. Pour le MPR, au sortir de la dernière élection présidentielle avec la crise qui en a résulté, ajoutée à celle qui prévaut depuis janvier 2012 ayant conduit à la partition de fait du Mali, les priorités pour notre peuple se situent ailleurs. L’important consiste à : considérer que la Patrie est en danger et à agir en conséquence en retenant que la rébellion n’est pas encore terminée (les séparatistes, au sortir de la Conférence d’Entente Nationale, n’ont-ils pas clairement fait comprendre qu’il n’y aura pas de paix tant que l’Azawad ne sera pas reconnu comme entité politique ?), en plaçant la sécurisation des régions troublées au centre des préoccupations ; se donner des délais pour parvenir à cette sécurisation, respecter ces délais et tenir le peuple constamment informé des progrès accomplis dans ce sens ; recouvrer notre souveraineté nationale à laquelle, en signant le Pacte pour la paix, les autorités ont délibérément renoncé en reconnaissant, officiellement, par cet acte, la tutelle des Nations Unies ; restaurer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national en mettant fin en particulier à la situation qui prévaut à Kidal et qui fait de cette localité un Etat dans l’Etat, en appliquant le DDR pour autoriser le redéploiement de l’Armée et de l’Administration dans les régions qui continuent d’échapper au contrôle du Gouvernement ;
– rétablir la confiance et le dialogue entre les décideurs politiques d’une part, entre ces mêmes décideurs et les populations d’autre part en faisant accepter, au terme d’un débat sincère, les conditions de tenue d’élections au terme desquelles chacun se reconnaîtra dans les résultats proclamés ; repenser en profondeur la décentralisation afin de prévenir la partition du Mali si l’on sait que celle-ci est inscrite dans l’agenda des idéologues du séparatisme dont l’un des porte-paroles les plus en vue, Bernard Lugan, n’a pas hésité à recommander, dans le numéro spécial de la revue l’Afrique réelle d’avril 2018 consacré à «l’impasse malienne» : «La sortie de crise doit donc se faire par une très large autonomie donnée aux trois Azawad» : «l’Azawad touareg, l’Azawad arabe, l’Azawad du fleuve», cette dernière entité étant présentée comme domaine des «Songhaï, Peul, Touareg, Maures, etc.»
Les autorités maliennes se sont engagées à mettre en œuvre, et de façon diligente depuis l’élection présidentielle, les dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. Pour y parvenir, elles envisagent une réorganisation administrative à l’issue des travaux de concertations régionales. Le MPR choisit de se désolidariser de l’entreprise estimant qu’elle ne ferait qu’ajouter à toute une série de décisions non suivies d’effet tout en compromettant, dangereusement, l’intégrité territoriale, l’unité nationale et la cohésion sociale.
Expliquer son choix lui a été également l’occasion d’attirer l’attention sur les défis à relever pour une véritable sortie de crise.
Bamako, le 11 novembre 2018
Choguel Kokalla Maïga,
Président du MPR
Source: Le Reporter