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Commerce de fruits au Mali : De la pastèque fertilisée à des vitamines animales sur nos marchés

La pastèque «made in Mali», de l’aveu impuissant de nombre de consommateurs, n’est plus ce qu’elle était, perdant en goût ce qu’elle a gagné en volume et en couleur. De Kayes à Koulikoro, en passant par Ségou et Sikasso, retour sur un fruit passionnel et à risques.

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La saison hivernale commence à s’en aller et avec elle son lot de fruits saisonniers, exotiques, domestiques ou importés, selon la bourse du client. Parmi ces derniers, certains laissent un goût amer qui vous prend par la gorge, direct aux urgences médicales. La pastèque en fait partie et tient apparemment le haut du pavé. Si la consommation d’un fruit de « melon jaune », qui a envoyé deux personnes au cimetière à Banguinéda, à 30km, à l’est de Bamako, avait défrayé la chronique nationale en avril 2014, assez de cas d’intoxications alimentaires dues à la consommation de pastèques ont été signalées, notamment à Ségou, sans pour autant faire la manchette des journaux.
Partir aujourd’hui, sur la piste des nombreuses agressions subies par le «citrullus lanatus», nom scientifique de la pastèque, revient à entrer par effraction dans un monde clos, avec ses propres lois et ses codes. Si certaines langues se délient facilement pour évoquer cette métamorphose du fruit au fil des années, d’autres visages se renfrognent à ce sujet, évitant les questions et s’étalant volontiers sur les avantages de la greffe comme cela se pratique chez le voisin sénégalais. Évoquer la culture de la pastèque, c’est également ouvrir grandes les portes d’un monde agricole à l’agonie, partagé entre faux paysans dopés aux subventions étatiques et d’authentiques agriculteurs, de père en fils, courant sur plusieurs générations, qui refusent de désarmer et d’abdiquer au profit des barons du foncier.

Réalité ou légende urbaine?
Quid de la pastèque au Mali? Ses secrets inavouables ne sont certainement pas en terre Office du Niger  même si les agriculteurs locaux avouent recourir à des plants greffés avec la citrouille ou la courge pour son goût légèrement sucré. Une pratique qui date des années cinquante huit mais qui n’a fait son apparition au Mali que depuis cinq ou dix ans, nous indique-t-on. Le greffage des plantes de pastèque sur différents types de porte-greffe comme la courge ou la citrouille permet un rendement supérieur et augmente la protection contre les maladies même si le prix du greffon acheté revient plus cher.
C’est une pastèque plus volumineuse, plus lourde qui est alors proposée mais le goût n’est pas vraiment celui du fruit originel. Un ingénieur en agronomie, rencontré à Katibougou, et qui a préféré taire son nom, nous affirme que la greffe est une méthode  technique qui se pratique depuis des années avec pour avantage un plus en volume et en poids. Il précisera que la partie aérienne (pastèque) est indépendante de la souterraine (citrouille) mais quand la première espèce n’arrive pas à faire sa propre photosynthèse, elle perd en acquis et dans notre cas c’est du goût dont il s’agit. « Deux espèces différentes avec des besoins différents », indiquera-t-il. Pour lui, le problème de la pastèque au Mali est une des conséquences d’une politique agricole nationale qui a fini par miner le monde paysan. Et de s’expliquer encore sur la nécessité d’une fumure organique des champs cultivés avec en moyenne 30 à 60 tonnes par hectare qui se réduisent actuellement à seulement 2,5 tonnes.
« Une tonne coûte entre 25 000 à 30 000 francs CFA ; c’est-à-dire, l’investissement en amont», et c’est justement pour éviter de dépenser en engrais que certains pseudo-agriculteurs s’orientent vers d’autres moyens moins orthodoxes et parfois franchement criminels. Notre ingénieur nous explique également qu’au lieu de pratiquer l’épandage classique, on se contente de remplir du fumier dans des sacs en jute et de les plonger dans les bassins d’eau (la ferti-irrigation) en vue d’une micro-irrigation, plus communément connue comme le goutte-à-goutte. Pourtant, ce n’est pas de ces gens-là dont il faut se méfier car le mal est ailleurs.
Un agriculteur à Kati, au quartier Sanafara, nous racontera qu’il avait trouvé trois flacons en liquide d’un litre d’ADE3, un fortifiant pour le poulet de chair, à proximité d’une parcelle de terre de 3,5 hectares qu’il avait louée à des gars pour y cultiver des pastèques. « Quand je leur ai demandé les raisons de la présence de ces flacons, ils n’ont pas su quoi me répondre », nous avouera-t-il. Deux jours plus tard, ses locataires disparaîtront dans la nature laissant derrière eux un champ de pastèques pourries. « Ils déversaient ces vitamines dans l’eau d’irrigation pour accélérer la maturité du fruit », assénera-t-il sentencieusement.

Ça sera du super ou du gas-oil !
Si certains nient cette pratique, se reposant sur la persistance de l’odeur et la nocivité du gas-oil sur le fruit, d’autres affirment au contraire que des pseudo-agriculteurs n’hésitent pas à utiliser le gas-oil pour carrément doper les pastèques. Les membres des coopératives agricoles de l’Office du Niger, en sont convaincus. Ils accusent les agriculteurs d’un pays voisin, qui louent des lopins de terre pour la circonstance et font tout pour ramasser le maximum de blé en peu de temps. « Avant d’irriguer, l’eau passe par des fûts d’hydrocarbure », affirment-ils, le tout pour écourter la période de maturité. Ils mettent en cause l’absence de contrôle qui doit se faire en théorie en amont par les délégués communaux.
Pour les plus sceptiques, cette méthode n’est pas concevable à cause de l’odeur caractérisée du mazout. Une ligne de défense qui ne tient pas la route si on se fie à certains témoignages qui attestent de la présence d’une forte et persistante odeur de carburant une fois la pastèque ouverte.
Le danger d’un tel procédé est que la citrullus lanatus, appelée aussi, melon d’eau, de la famille des cucurbitacées, contient jusqu’à 93 % d’eau. Et c’est de là que provient le risque d’intoxication. Et il n’est pas rare qu’au détour d’une discussion, on vous apprenne qu’un frère ou une mère, un cousin ou un voisin aient été hospitalisés après avoir consommé des tranches de pastèque.
Pour ce professeur du service de réanimation médicale du CHU-Gabriel Touré, les symptômes d’une intoxication à la pastèque avariée ne sont pas différentes des autres intoxications alimentaires. « Vomissements, diarrhées, fièvre et douleur abdominale et sa sévérité dépend de la quantité des germes présents dans le fruit ».
Outre les pastèques dopées au gas-oil, leur irrigation par de l’eau usée n’est pas non plus une simple vue de l’esprit. Direction quartier de Sabalibougou-Coura : « La nuit, on ne peut pas circuler même en voiture à cause des odeurs nauséabondes dégagées par les eaux noires du canal de Bagunéda », informe un habitant du quartier de Sotuba. Des champs irrigués en toute impunité avec des eaux usées, directement pompée du canal et les tuyaux, tels des serpents silencieux, attendent paresseusement de boire l’eau venant du canal, la nuit tombée. « Dès que les pompes entrent en action, une odeur d’œufs pourris envahit la zone », ajoutera Arouna qui y va, lui aussi, de sa petite histoire d’intoxication à la pastèque. À Baguinéda, des consommateurs de pastèques cultivées dans les communes longeant le canal ont été intoxiqués il y a un mois, tout comme à Konobougou et d’autres coins du pays mais tant qu’il n’y a pas mort d’hommes ou une épidémie de choléra, on peut toujours manger une pastèque en priant qu’elle ne soit ni mazoutée ni irriguée avec des eaux usées ou dopées à des vitamines animales et qu’elle n’ait pas le goût d’une citrouille.
Jean Pierre James

Source: LE COMBAT

 

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