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Comment Soumeylou B. Maïga, actuel secrétaire général de la présidence du Mali, a été interpellé à Paris en octobre 2014.

Au volant de sa petite clio rouge, Roger L., 68 ans, s’enfonce paisiblement dans la rue Scribe, dans le 9e arrondissement de Paris.

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Il s’arrête à quelques mètres de l’Intercontinental, un des plus beaux hôtels de la capitale. Le vieil homme n’a pas le temps de sortir de sa voiture que plusieurs policiers en civil, le bras serti d’un brassard jaune, l’interpellent. Et trouvent dans son véhicule un petit sac Giovanetti Jewellery, à l’intérieur duquel sont dissimulées des liasses de billets, pour une valeur totale de 10 000 euros.

Quelques heures plus tard, les enquêteurs frappent à la porte de la chambre 2505 de l’hôtel, en vue d’interroger le destinataire de ce joli cadeau. Personne ne répond. Ils décident de pénétrer dans les lieux et découvrent, allongé sur son lit, occupé à regarder la télévision, Soumeylou Boubèye Maïga, ancien ministre des Affaires étrangères (2011) puis de la Défense du Mali ! L’homme vient de démissionner de ses fonctions et n’est plus que vice-médiateur à l’Union africaine. Il n’est donc plus protégé par une quelconque immunité. Reste que le dossier est sensible, la France étant en guerre contre les djihadistes du nord du pays, elle ne peut se permettre un incident diplomatique avec le Mali…
Un brouilleur d’ondes dans son propre bureau

Ce 2 octobre 2014, ils sont une demi-douzaine à avoir été placés en garde à vue : Robert

Franchitti, patron de la société MagForce, spécialisée dans l’équipement militaire, Apollinaire, son chauffeur privé, Roger L., comptable occulte et homme à tout faire, Catherine Delage, présidente du directoire du groupe, Elizabeth C., responsable des ventes, et enfin Soumeylou Boubèye Maïga. En un après-midi, les policiers enchaînent les perquisitions. Des centaines de factures et de documents comptables sont saisis, les fadettes épluchées, les ordinateurs emportés.
Cela fait des semaines que les enquêteurs ont mis sur écoutes et pris en filature plusieurs de ces protagonistes, bien que ces derniers se soient montrés méfiants. Ces derniers mois, Robert Franchitti avait ainsi fait acheter des cartes à puce à ses employés et avait installé un brouilleur d’ondes dans son propre bureau. Au téléphone, il parle « codé » et prend soin de ne pas en dire trop.

Boubèye Maïga avait des « besoins de liquide »

Interrogé en garde à vue, tout juste Franchitti confie-t-il faire quelques « cadeaux ». « Il m’arrive de dépanner des gens. Par exemple, j’ai fait remettre 10 000 euros à M. Boubèye Maïga, ancien ministre de la Défense du Mali. Il a démissionné il y a sept mois. Il avait des besoins de liquide car il est de passage à Paris », affirme-t-il. Le patron de MagForce reconnaît disposer d’une « caisse noire » qu’il alimente de temps en temps en billets. « Par ailleurs, précise-t-il, il faut que vous compreniez que de nombreux clients ramènent de l’argent liquide de leurs pays et me le laissent en dépôt afin de s’en servir ultérieurement ou avec des instructions pour que je l’emploie comme ils le souhaitent. » Les ministres africains ne parvenant pas, depuis l’affaire des biens mal acquis, à ouvrir des comptes en banque en France, ils ont besoin d’intermédiaires pour conserver leur fortune.

Déjà fournisseur de l’armée malienne sous Amadou Toumani Touré (aujourd’hui en exil), Franchitti avait repris son business après le coup d’État d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). « En fait, l’État malien me devait quatre millions d’euros non réglés pour des parkas, des couvertures et des sacs à dos pour 10 000 hommes. J’ai donc commencé une négociation avec Boubèye Maïga, le nouveau ministre (de la Défense, NDLR). Il m’a alors annoncé qu’il avait un budget pour rééquiper l’armée », explique le patron de MagForce aux policiers.

J’ai vendu des chaussettes à 4 euros qu’ils refacturaient plus de 40 euros à l’État

Et Franchitti d’aussitôt préciser : « Pour acquérir mon matériel, je devais passer par la société Guo-star, société malienne pilotée par (Sidi Mohamed) Kagnassi, le conseiller spécial du président IBK, comme je l’ai découvert lorsqu’un scandale de détournement de fonds publics a éclaté. Je vendais donc à Guo-star, qui détenait le marché auprès de l’État malien, et qui refacturait une fortune. Par exemple, j’ai vendu des chaussettes à quatre euros qu’ils refacturaient plus de 40 euros à l’État. »

Auditionné lui aussi le 2 octobre 2014, Soumeylou Boubèye Maïga confirme n’avoir jamais signé directement de convention avec MagForce. Et jure n’avoir contracté, en tant que ministre, qu’avec le seul Guo-Star : « Je ne me sens pas concerné », lâche-t-il aux policiers. Boubèye Maïga reconnaît cependant avoir rencontré Franchitti en Belgique quelques jours avant son arrivée à Paris : « Je reviens d’un séjour à l’ONU à New York. J’ai fait un passage à Bruxelles lundi dernier. Sachant que Robert Franchitti y était, je lui avais préalablement téléphoné pour l’y rencontrer. »

C’est ici, dans les bureaux bruxellois de MagForce, que Franchitti lui aurait montré des photos de 250 camions de transport de troupes en occasion : « Étant ancien ministre de la Défense, j’ai toujours des contacts au ministère. Cela fait vingt ans que je travaille avec les militaires. J’acceptais donc de transmettre ces documents au cabinet du ministre. Quand nous nous sommes quittés, Robert m’a dit qu’il allait me faire porter quelque chose à Paris pour acheter des cadeaux pour les enfants. »

Je ne suis pas juriste, mais vous pouvez me reprocher la corruption

Franchitti s’est-il rendu coupable de faits de « corruption d’agents publics étrangers » ? « Je pense que concernant les 10 000 euros à M. Boubèye Maïga, je ne suis pas juriste, mais vous pouvez me reprocher la corruption, avait-il reconnu devant les juges d’instruction Claire Thepaut et Aude Buresi. Pour le reste, nous avons payé à nos agents commerciaux locaux 1,6 ou 2 millions d’euros environ par an au titre de contrats d’apporteurs d’affaires déclarés officiellement. Ce qu’ils font de cet argent, je ne veux pas rentrer dans ce trip. Je reconnais que je rends des services aux décideurs africains, je leur fais des cadeaux, je leur achète des montres ou des vêtements que je fais passer en frais dans la société. »

Soumeylou Boubèye Maïga, lui, n’a jamais été inquiété. En octobre 2014, sa garde à vue s’était terminée par une question de son avocat : « Considérez-vous comme normale l’intervention des autorités françaises dans les affaires publiques maliennes ? » La réponse avait fusé : « Bien sûr que non si c’est le cas. » Contacté par Le Point.fr, Soumeylou Boubèye Maïga explique ne jamais avoir été poursuivi dans cette affaire : « La personne qui a été arrêtée (avec de l’argent, NDLR) n’est jamais arrivée jusqu’à moi. La matérialité de ce qui était avancé n’a donc pas pu être prouvée, en tout cas me concernant », confie-t-il.

Il ajoute : « Je connais Robert Franchitti depuis plus de vingt ans, nous avons des amis communs. Quand il vient à Bamako, je lui prête ma voiture, il mange à la maison. » Si le patron de MagForce cherchait bel et bien à l’époque une « introduction (au ministère de la Défense, NDLR) pour vendre des véhicules militaires », le cadeau qu’il a souhaité faire « n’était pas par rapport à une transaction particulière », conclut Soumeylou Boubèye Maïga. Devant les policiers qui l’interrogeaient en 2014 sur ces remises d’argent en liquide, Robert Franchitti avait répondu qu’il s’agissait d’un « placement sur l’avenir ». L’homme a le nez fin. Après une brève période d’accalmie, Soumeylou Boubèye Maïga a été nommé secrétaire général de la présidence du Mali en septembre 2016, numéro 2 de l’État derrière IBK.
Contactés, les avocats de Robert Franchitti et Catherine Delage n’ont pas donné suite.

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