Les coups d’État se suivent et ne se ressemblent pas. Quand ils réussissent à rectifier le jeu politique, c’est comme quand le petit serpent avale ce qu’avale le gros serpent, c’est le gros serpent qui a démérité. Il a démérité par sa faillite par farce démocratique, déroute sécuritaire et corruption que le putsch veut rectifier. L’enjeu pour nos terroirs est de remettre le jeu politique dans le sens des vertus de la terre qui ne ment pas dans ce monde paysan. La rectification au Mali est dissimilaire à celles de Guinée et du Burkina Faso.
Celles-là recentrent un jeu pour prévenir toute aventure, celle-ci improvise un jeu qui n’exclut pas l’aventure, celle pour nous du risque d’avoir notre libération et pour nos ennemis du risque de perdre notre sujétion. Toutes ces rectifications ont vocation à enlever l’aventure des insurrections “populaires” et tout dépend de la vigilance des peuples pour éviter l’usage des juntes contre leurs pays.
Comme le singe à la queue coupée sait ce que lui veut le chien, nous savons ce que coûte la boulimie électoraliste qui sème la gouvernance trompeuse et d’où germe la désillusion confuse. Jaugeons cette confusion nocive à trois enjeux actuels : deux souvent tus, la quête de la paix y compris “l’Accord d’Alger” et la coopération sécuritaire y compris la Minusma, et un sous les projecteurs, c’est-à-dire les sanctions de la Cedeao.
Les solutions politiques de la paix sont délaissées excepté “l’Accord d’Alger” qui, comme la danse Donin dongoma examinée dans un article passé, tente tous les prétendants au pouvoir, tous les milliardaires embusqués, actuels en maraude ou en cabale. Tous accordent leur pas et plus tard leur fortune à cette petite danse infernale de “légitimité” extérieure pour gouverner le Mali et non par la légitimité intérieure avec son Janjo. Muet sur cette dérive, le discours actuel sur “l’Accord” fait croire qu’il n’est pas à l’ordre du jour alors que sa présence est obsédante, intelligente ou pas, dans l’architecture gouvernementale sous divers codes de réconciliation, refondation et autres décrets de découpage et police territoriaux, etc. Cette équivoque augure mal la réaction de l’opinion populaire hostile à tout accord partitif depuis le plébiscite trahi de 2013. De plus, l’environnement aveuglant créé par la “communauté internationale” par le biais des sanctions sous-régionales, l’alarmisme du “terrorisme”, le militarisme de “secours” pour faire pièce à l’alliance russo-malienne, configurent les solutions et acteurs politiques du pays, comme le prédit la sagesse mandé que le danseur aveugle danse avec son salaire en main… Ainsi, quel meilleur acte de “refondation” pour un chef que savoir dessiller les yeux de ces acteurs politiques par l’exemplarité de la levée d’ambigüité !
Quant à l’orchestration sur la levée des sanctions de la Cedeao, il est à craindre que la proverbiale montagne n’accouche d’une souris tant qu’on a rampé pour supplier et non exiger son droit et tant qu’elle impacte peu le malien lambda dont les difficultés vont augmenter, que ce soient le prix de l’énergie, du pain, du mil, riz, fonio, etc., qui flambent par une autre logique belligérante dans les circuits alimentaires et énergétiques internationaux. Parmi les actions réalisables, rester ou pas dans les organisations régionales et internationales de boycott, se préparer à se prendre en charge monétairement et financièrement, nous savons qu’il est hasardeux de voyager seul car on est sans témoin, mais a-t-on besoin de témoin pour se lever, se laver ou prier ? Pour toute organisation, par exemple la Minusma, qui se retrouve recours “international” de dernier ressort avec tout ce que cela suppose comme conflit d’intérêts ou conflit tout court, on voudra renouveler son mandat qu’en pleine réalisation qu’il devient un enjeu stratégique pour tout le théâtre d’ombres évoqué plus tôt. On se rend compte aujourd’hui que l’habitude de se serrer la ceinture avec le poisson qu’on tient à la main risque d’être la vraie perte dans un échange où le poisson sous le pied peut vous piquer et vous échapper. Bref, la confusion des maliens s’épaissit avec la gouvernance clair-obscur qui a tout à gagner à proscrire l’obscur pour le clair des principes tout court et non par dépit.
La coopération russe en particulier nous renseigne que la clarté des principes s’entretient. Le principe fondamental est de jouer la carte russe à fond car il est des causes qu’on défend une lance à la main et non deux ! On souhaite qu’elle mette fin à l’occupation étrangère visible ou déguisée au Mali, tout en craignant qu’on en voie que la partie visible du baobab. Il faut planifier son alliance autant que l’on planifie contre l’adversité. Il ne faut donc pas la dérouter en insistant sur d’autres partenariats comme fait fin mai dernier à Moscou ou ne pas la contrarier en disant ne pas vouloir quitter un diable pour un autre comme fait à Bamako ce début juin. Qui veut gagner une guerre s’en donne les moyens, les colonels et la classe politique patriotique de direction avec une vision claire de toute ambigüité. A-t-on pensé le sentiment populaire sur “l’Accord d’Alger” en relation au discours malien, mais aussi russe sur instance algérienne en début mai 2022 à Alger ? A-t-on pensé à une politique algérienne compétente au lieu de tout sentimentalisme novice qui pourrait nous coûter le pays sur l’autel des intérêts miniers et kabyles ? Une articulation plus apte de l’intérêt national pourrait inciter nos partenaires à une attitude plus solidaire que celle suggérée par une nomenclature et architecture gouvernementales hétéroclites qui défient toute logique de confiance et de combat. C’est comme du gombo qui sèche au soleil, on ne sait à quelle sauce il sera utilisé !
Il faut gouverner par devant c’est-à-dire par principes et arrêter de désorienter plus d’un sur la cohérence du discours de patriotisme avec les actes posés. On pense à certains points de révisionnisme du discours officiel tel lors de l’oral du chef du gouvernement devant le CNT, l’annonce de montée en puissance des Famas mais la persistance de l’occupation du terrain par les combattants ennemis ou la projection de belligérance avec des pays mais complicité avec leurs amis. Quand on n’aime pas le poisson on ne doit trop être sur les berges du Djoliba. L’enthousiasme populaire de la direction actuelle du pays survivra-t-il aux limites de diriger par derrière ? Cependant, même si tout ce qui brille n’est pas or et toute mélodie pas musique, l’un et l’autre pouvant être agréables, la majorité des passagers et des vents de navigation sont favorables à la barque malienne qui suit les aspirations du peuple malgré les incohérences et les limites de ses rameurs, tant l’espoir est grand. Aussi doit-on nous soucier des courants contraires tant le Djoliba n’est pas un long cours tranquille et a besoin de ses vrais connaisseurs bozos. Ne disons-nous pas au pays que tant vous compensez votre cheval boiteux par votre neveu joker vantard, tant vous êtes aussi sûr des rires.
Finalement, il va falloir que les maliens parlent de la place de leur armée dans l’édification de leur société à libérer et de son développement au-delà du takouba d’Ag Iforas sur leur tête, du “crime imprescriptible” pour tout essai de salubrité d’un État cycliquement bloqué et structurellement vulnérable. Or nous savons qu’on s’attaque au serpent qui sort à l’improviste avec le bâton qu’on a à la main. Nous savons aussi qu’on ne tue pas son chien méchant ou celui d’un autre vous mordra. C’est dire que la montée en puissance des Famas doit se poursuivre car la guerre est la grande affaire des nations qu’on ne saurait traiter à la légère. Elle prend appui sur des colonels maliens avisés qui s’appuient sur l’effet de la puissance collective et non sur la prouesse individuelle de généraux ou caporaux. Une armée forte pour protéger l’État est nécessaire mais sous contrôle de celui-ci et sans la trop dominer avec les passions du pouvoir civil et saper la puissance militaire. Depuis 1968 les forces armées avaient souffert de la médiocrité de la gouvernance y inclus l’ère des “démocrates en armes” et des “démocrates convaincus et patriotes sincères” qui flambent l’armée par les “Flammes de la Paix” ! Elles avaient servi comme placement des rebuts scolaires avec un niveau d’éducation bas et un entraînement inadéquat. Nous devons dire Non à une armée de recalés et Oui à une armée de vocation ! Comme rappelé plus tôt la finalité de la guerre est la construction de la paix. Pas celle de Niamey, Alger, Abidjan ou Dakar, mais celle du Mali et de toutes par une armée nourrie et guidée par le peuple pour sa défense. Il s’agit d’un réalisme de survie dans les conditions de la guerre par procuration. Quand les balles sifflent et que les acteurs politiques censés éclairer les choix politiques sont voués aux logiques aidant l’ennemi, la force assume le rôle qui aurait dû revenir à la convention électorale si elle avait pu bien remplir son rôle.
La quatrième et dernière partie qui suivra essaie d’esquisser des pistes de solutions à nos impasses visibles en examinant l’actualité politique, la situation de l’armée pour l’effort de guerre et l’inspiration de la jeunesse civile et militaire pour vaincre la confusion et ne pas se distraire de l’objectif de ne pas perdre son pays en ces temps de désinformation et d’anxiété. L’angoisse du piège sans fin qu’on imagine à l’importance des dispositifs militaires hostiles qui encerclent leur pays est compréhensible mais d’évidence surmontable par les possibilités insoupçonnées des maliens. Courage à tous très nombreux à nos discussions passées et présentes et qui reconnaitront dans ces essais l’accent et le ton volontairement dissuasifs des invectives improductives et des distractions superficielles et visant à armer les uns et les autres à sortir des sentiers obscurs et rentrer par une seule porte pour soutenir l’espoir et faire l’essentiel. Tout indique que le scénario réaliste de mise à plat des contradictions appellera un exercice urgent d’humilité et de vérité où achoppent vœux et mythes de Malikoura et autres rêves. On espère que ce voyage dans le réel et la mise en réalisme du réalisable va aider les uns et les autres, les amis et les ennemis à savoir que la grande marmite bout difficilement mais fera cuire assez pour nourrir les maliens et leurs congénères.
Mr. Amadou Cisse
Washington, D.C.
U.S.A
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