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Comment peut-on être vivant au Cameroun ?

Il s’est passé quelque chose d’inouï au Cameroun, samedi le 12 mars 2016. Une femme de 31 ans, enceinte, a été éventrée comme une bête par une brave dame qui tentait de sauver les deux jumeaux que celle-ci portait dans son ventre. La scène s’est passée juste devant l’entrée de la maternité de l’hôpital Laquintinie de Douala, la capitale économique et plus grande ville du Cameroun.
Paul Biya president republique camerounaise

Madame Monique Alvine Koumatekel, ventre ouvert et à même le sol, et ses bébés morts posés sur la poitrine, ont été exposés aux regards et aux caméras des téléphones portables des badauds, alors que ses proches criaient et que les infirmier-e-s vaquaient à leurs occupations comme si de rien n’était. Langage universel qu’aucune autre forme d’expression ni aucune propagande ne peut concurrencer, la photo, pire la vidéo de la fin atroce de cette jeune femme et ses enfants offriront aux futures générations de Camerounais une archive définitive de ce que fut le régime de Monsieur Biya à son apogée. Au bout de 34 années à la tête de ce pays qui fut naguère prometteur, les chiffres sont accablants pour cet homme qui avoisine les 85 ans et s’accroche à la mangeoire.

Quitter leur pays en masse ou rester là-bas et décliner

En plus de trois décennies, le régime mis en place par Paul Biya n’a rien ajouté au réseau ferroviaire camerounais qui culmine depuis l’époque de son prédécesseur à 987 km, soit moins que la distance entre Yaoundé et Kousséri ; de même au niveau du réseau routier. Le constat est identique quant aux infrastructures sanitaires : le nombre de médecins et de lits d’hôpital pour 10 000 habitants stagne à 0,8 et 13. Le système éducatif s’est effondré dans la corruption et la politique tribaliste de l’équilibre régional. Les services publics sont indigents, avec un pourcentage d’enregistrement des statistiques vitales (naissances et décès) qui dépasse à peine 60% ; un réseau Internet de 57 utilisateurs pour 1 000 habitants ; un pourcentage de la population approvisionnée en eau potable d’à peine 25% ; une insuffisance chronique de la fourniture en électricité. Le pourcentage des habitants de bidonvilles dans la population urbaine approche les 50%. Si on regarde les classements qui mettent le Cameroun au 153e rang mondial de l’Indice de développement humain (IDH), au 172e rang des économies de Doing Business et au 130e de l’Indice de perception de la corruption de Transparency International, il ne reste plus aux jeunes Camerounais les plus dynamiques qu’une alternative : quitter leur pays en masse ou rester là-bas et décliner. Le tableau est tellement sombre que l’on est tenté de se demander, à la manière de ces chercheurs qui s’étaient réunis en avril 2000 au Forum Diderot, comment peut-on être vivant au Cameroun.

Au cours des dernières années, les fondements de la vie se sont progressivement enrayés, laissant place à la mort, à la survie dans des conditions de moins en moins humaines. Pourtant quel réservoir de vitalité : il suffit de voir les Camerounais rire, danser, faire des prodiges dans les sciences, les arts ou les affaires dès qu’ils sortent de leur pays ! En anéantissant la capacité de la société et des institutions étatiques à réduire l’incertitude, c’est-à-dire à susciter la confiance entre les gens, et d’abord pour les investissements économiques, le régime de Monsieur Biya a ruiné le « capital social » de ce pays. Ses partisans et ses serviteurs – d’aucuns diraient ses « créatures » – se comportent comme s’ils étaient en mission d’empêcher le développement du Cameroun. Car, en fait, le développement économique se traduit par la diversification et l’intégration des efforts des uns et des autres ; autrement dit, c’est le résultat de synergies réussies. Or toute l’architecture du Pouvoir camerounais est dédiée à contrarier ceux qui ont l’ambition de faire quelque chose, de s’élever dans la société. Le résultat est là : si la pauvreté s’amplifie, c’est parce que le pays ne se développe pas assez, alors que la démographie explose.

Au-delà des besoins immédiats, c’est d’espoir et de dignité dont la grande majorité des gens ont besoin. La société civile ne saurait compter sur ce Pouvoir pour l’aider à jouer son rôle de catalyseur du changement, tellement les trois décennies de passivité, de résignation et d’endoctrinement des populations ont permis aux dirigeants camerounais de se prendre pour des dieux ! Il y a certes des facteurs culturels qui expliquent que les hommes et les femmes de ce pays acceptent la situation avec fatalisme. Pour eux, le monde se partage entre pauvres et riches, faibles et puissants. On accepte cet état de choses comme l’ont fait les générations précédentes, aussi par respect pour elles. On craint l’autorité et on préfère s’y soumettre. Il n’y a pas de place pour la revendication. Qui plus est, il n’y a pas non plus de vision de référence à disposition. On touche au drame de la lacune de l’Education, qui est le véritable passeport pour le développement social, politique et économique.

On meurt beaucoup au Cameroun

Le contraste avec les pays du Nord est insoutenable. Mais justement parce que l’on meurt beaucoup au Cameroun, parce que la vie y est devenue extrêmement difficile, avec la « débrouille » qui officie comme norme de l’emploi, on y vit également plus intensément qu’ailleurs. Il est vrai aussi que la terreur que les gens subissent vient de loin : le régime colonial a imposé l’état d’exception permanent avant de le refiler au système postcolonial qui y sévit désormais. Le Colon refusait la liberté à l’Africain, aujourd’hui c’est sa propre société qui refuse la vie au Camerounais. Sauf s’il décide de se coucher devant l’autorité des hommes du Pouvoir ou la fiction de celle-ci. Car tous ceux qui n’appartiennent pas à sa sphère n’ont plus que le repli végétatif à pratiquer, avec la mort comme seule délivrance.

Il arrive d’ailleurs que même la mort ne délivre pas, puisque ce pouvoir est en mesure de poursuivre les corps biologiques de sa destructivité par-delà les frontières du vivant. Ahidjo l’a fait à Félix Moumié avant d’être traqué plus tard par son successeur jusque dans sa tombe à Dakar. Ce pouvoir peut aussi désigner qui sera célébré après sa mort, on l’a vu encore récemment avec des « créatures » comme Françoise Foning ou André Sohaing. Mais le dernier mot ne lui reviendra pas, c’est la chance dont disposent les Hommes qui ont de la mémoire : c’est eux qui écriront l’histoire de ce pays.

 

Source: afrik

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