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Comment est née la thèse erronée du déclin d’al-Qaida

Depuis la mort d’Oussama ben Laden et l’apparition de l’État islamique, l’idée d’un déclin irréversible d’al-Qaida a prévalu dans le débat public. Pourtant, sur le terrain, l’organisation résiste et progresse.

 chef al Qaida Ayman al Zawahiri

Depuis le 11 septembre 2001, al-Qaida a subi de nombreux revers militaires, ses difficultés commençant dès l’invasion de l’Afghanistan en octobre 2001. L’organisation a alors perdu le cœur de ses infrastructures, notamment la plupart de ses camps d’entraînement, avant de reculer ensuite sur plusieurs fronts.

«La franchise irakienne d’al-Qaida, “ancêtre” de l’État islamique, a été sévèrement mise à mal par les forces américaines et leurs alliés. Les drones américains ont prélevé un lourd tribut parmi les cadres d’al-Qaida, notamment au Pakistan et dans la péninsule arabique, mais aussi, plus récemment, en Afrique. L’engagement de troupes françaises et tchadiennes au Mali lors de l’opération Serval infligea de lourdes pertes et un sérieux revers à al-Qaida au Maghreb islamique. Et n’oublions pas la mort d’Oussama ben Laden le 2 mai 2011, et sa difficile succession assurée par l’Egyptien Ayman al-Zawahiri, très expérimenté mais moins charismatique», analyse Jean-Marc Lafon, blogueur sécurité et défense et fondateur du site Kurultay.fr.

Les révolutions arabes, à partir du début de 2011, ont alors fait émerger la thèse d’une fin programmée d’al-Qaida. Beaucoup d’analystes américains ont soutenu que la démocratisation du Moyen-Orient marginaliserait les djihadistes, qui ne représenteraient plus la seule alternative aux dictatures. Le projet démocratique serait plus attractif.

«À l’époque, les analystes ont massivement soutenu qu’al-Qaida ne faisait pas vraiment partie des révolutions tunisienne et égyptienne, et que les méthodes non-violentes des deux révolutions discréditaient sa propagande. Il n’était pas rare d’entendre que la combinaison de la mort d’Oussama ben Laden et des révolutions signifiait peu ou prou la fin d’al-Qaida et que ces événements étaient “le chapitre final de la guerre contre le terrorisme”», se souvient David Gartenstein-Ross, chercheur à la Foundation for the Defense of Democracies.

«Un triomphalisme a suivi la mort d’Oussama ben Laden»

Le 2 mai 2011, Oussama ben Laden est assassiné au Pakistan par un commando américain. Cette victoire à forte charge symbolique a renforcé l’idée d’un déclin d’al-Qaida, notamment chez les chercheurs travaillant sur le terrorisme. «Un triomphalisme a suivi la mort d’Oussama ben Laden, qui coïncide avec la fin de la première phase du printemps arabe. Cela a créé un unanimisme où les personnes qui pensaient différemment n’étaient plus prises au sérieux», déplore le chercheur Bruce Hoffman, de l’université de Georgetown.

Mais sur le terrain, les groupes djihadistes, notamment ceux affiliés à al-Qaida, ont su profiter de la période des printemps arabes. Le basculement de la Libye dans le chaos a facilité la circulation des armes et des combattants dans la région, notamment vers le Mali. La guerre civile en Syrie a créé un appel d’air pour des milliers de volontaires désireux de combattre Bachar el-Assad. En Tunisie, les djihadistes libérés pendant la révolution de Jasmin ont organisé le départ de nombreux jeunes vers les fronts syrien et libyen. En Égypte, les djihadistes ont profité de la révolution pour lancer une insurrection dans le Sinaï. L’EI a également tiré parti de ces évènements, bien qu’il soit actuellement en recul sur les terrains syrien, libyen et irakien. «Les révolutions arabes n’ont pas marginalisé al-Qaida. L’instabilité qui s’est installée dans la région à partir de 2011 a constitué une véritable aubaine pour le mouvement djihadiste», analyse Daveed Gartenstein-Ross.

Certains analystes assimilent al-Qaida à un modèle obsolète du djihadisme. Ce dernier aurait été pris de court par la brutalité et la communication moderne de l’organisation État islamique. Toutefois, c’est oublier le rôle central d’al-Qaida dans l’élaboration de l’idéologie djihadiste, y compris celle des partisans de l’EI.

«Il est tentant d’associer l’EI à ses vidéos, conçues comme les campagnes promotionnelles des jeux vidéo à la mode, et al-Qaida aux scènes floues illustrant un petit vieux à barbe blanche caché dans une grotte. D’autant plus tentant que c’est à cela que servent les vidéos de l’EI… Mais c’est aller vite en besogne. C’est oublier que l’absolue totalité des occidentaux “radicalisés” ont adhéré à l’idéal djihadiste en visionnant les vidéos d’Anwar al-Awlaki, propagandiste en chef d’al-Qaida dans la péninsule arabique», détaille Jean-Marc Lafon.

Après l’apparition de l’EI, Daveed Gartenstein-Ross a constaté l’émergence d’un nouveau discours triomphaliste. al-Qaida était perçu comme un mouvement dépassé et durablement affaibli, «ringardisé» en quelque sorte par l’EI. «En 2014, de nombreux observateurs concluaient que l’EI avait finalement émergé comme la force qui rendrait al-Qaida caduque. […] En 2015, un rapport officiel sur la menace terroriste concluait que ses dirigeants avaient été “considérablement affaiblis” et qu’elle tentait de “réaffirmer sa pertinence.” Les analystes affirmaient régulièrement que les assassinats ciblés de leaders d’al-Qaida pousseraient des organisations proches de cette dernière, comme al-Shabbaab en Somalie, à faire allégeance à l’EI», se souvient le chercheur.

Communication de l’administration Obama

En mai 2016, une interview de Ben Rhodes, conseiller en communication d’Obama, a fait grand bruit. Rhodes avouait au New York Times avoir manipulé journalistes et experts, notamment sur la question de l’accord avec l’Iran, en créant ce qu’il appelle des«chambres d’écho». Ces petits groupes de chercheurs en lien avec l’administration, dûment sélectionnés, avaient pour rôle de «dire des choses qui validaient ce que nous leur avions donné à dire», selon ses propres termes.

Selon Daveed Gartenstein-Ross, une des obsessions de Ben Rhodes était d’éviter l’implication des États-Unis dans de nouveaux conflits armés au Moyen-Orient. Minimiser la menace d’al-Qaida, c’était éviter un «deuxième Irak»: si la menace terroriste recule, on ne déclenche pas de nouvelles guerres pour la combattre. Paradoxalement, c’est en partie au nom de cette même idée que les États-Unis sont intervenus militairement en Libye en mars 2011. Un changement de régime à Tripoli était censé affaiblir les djihadistes.

«J’ai entendu des analystes souscrivant à la thèse “décliniste” d’Al-Qaida affirmer ouvertement que le point de vue “non-décliniste” conduirait à une autre “guerre en Irak”. Cette affirmation, bien sûr, est fausse. Ironiquement, il est même possible que cette thèse ait eu l’effet inverse. Il est possible qu’elle ait contribué à l’intervention américaine en Libye, une autre guerre inutile et contre-productive dans la région», déplore le chercheur.

En août 2012, le gouvernement américain a déclaré officiellement al-Qaida «sur la voie du déclin». Sous la présidence de Barack Obama, les États-Unis ont renforcé la stratégie basée sur les assassinats ciblés de leaders djihadistes. Les succès remportés –dont l’élimination d’Oussama ben Laden– ont convaincu une partie de l’administration que cette stratégie avait durablement affaibli al-Qaida. Par ailleurs, le gouvernement américain a poursuivi un double effort de communication. À ses citoyens, il a voulu montrer que sa politique anti-terroriste avait fonctionné, à quelques mois de la possible réélection d’Obama. Aux djihadistes, il a voulu montrer qu’ils avaient perdu l’avantage.

«Si on fait le compte des coups encaissés par al-Qaida à cette date, nul doute que certains, à Washington, la voyaient mal en point. Pour l’administration Obama, communiquer sur le prétendu déclin d’une organisation, ce n’est pas seulement “vendre” les effets de sa politique à ses électeurs et à ses alliés. C’est aussi essayer de montrer aux djihadistes et à ceux qui voudraient le devenir que cette organisation n’a pas d’avenir. Mais c’est négliger une constante absolue: tuer un cadre djihadiste n’affaiblit pas son organisation, même si ça vient à la déstabiliser temporairement», explique Jean-Marc Lafon.

Meilleure acceptation par les populations civiles

Bien qu’ayant subi de nombreux revers, al-Qaida a pu étendre son emprise territoriale. En Syrie, le front al-Nosra a recruté 3.000 Syriens depuis le mois de février. Au Yémen, AQPA accroît ses effectifs et contrôle une partie du territoire. En Somalie, le mouvement al-Shabbaab renforce ses capacités et menace davantage le pouvoir central.

«Le groupe a opposé son approche quelque peu “restreinte” à la barbarie pure et simple de l’État islamique, redorant ainsi son blason. Ses principaux théologiens Abu Muhammad al-Maqdisi et Abou Qatada, et d’autres, sont sortis de prison et capables d’opérer ouvertement. al-Qaida est intégrée dans les populations locales et les groupes de militants locaux, ce qui la rend plus difficile à combattre», relève Daveed Gartenstein-Ross. L’organisation a cultivé son intégration dans les sociétés, notamment en tenant compte des allégeances tribales. Ceci a favorisé sa longévité et permis une meilleure acceptation par les populations civiles. Ce processus est visible en Syrie et c’est un point qui la distingue de l’EI.

«al-Qaida a su durer. Ses cadres ont approfondi leurs ancrages locaux pratiquement dans tous les territoires où l’organisation est active. Pour ce faire, ils ont fait vibrer les cordes sensibles des sociétés dans lequelles ils évoluent: imbrication dans le tissu tribal, notamment par le biais du mariage, participation à la vie économique et au développement… Un Mokhtar Belmokhtar est emblématique de ce processus d’intégration. Le personnage est pratiquement intouchable tant il bénéficie de protections qui lui sont dues selon les termes de la loi tribale. Une constante que l’on observera du Pakistan au Mali, de la Libye au Yémen», observe Jean-Marc Lafon.

L’organisation a également démontré sa résilience et sa capacité à administrer des territoires. En revanche, l’État islamique recule militairement sur la plupart des fronts. Cette situation peut pousser les djihadistes à considérer que la stratégie d’al-Qaida fonctionne sur la durée, contrairement à celle de l’EI.

«Ceci renforce l’idée que la gouvernance d’al-Qaida est une alternative viable aux États défaillants ou corrompus. Chaque revers militaire essuyé par l’EI vient donner du crédit à ceux, notamment au sein d’al-Qaida, qui ont considéré la proclamation du califat par Abu Bakr al-Baghdadi comme une erreur stratégique. Or, si le territoire du califat finissait par se réduire comme peau de chagrin, la tentation serait grande pour ses satellites de reconsidérer leur allégeance. al-Qaida en serait sans doute le principal bénéficiaire…», remarque le blogueur.

Pour Jean-Marc Lafon, il est plus pertinent de penser le mouvement jihadiste dans sa globalité plutôt qu’au travers des allégeances. Les défaites militaires de l’organisation État islamique pourraient, à terme, constituer une purge bénéfique pour le mouvement djihadiste dans son ensemble:

«Il faut cesser de penser le djihad mondial en termes d’affiliation des groupes à al-Qaida ou à l’EI, car cela ne traduit qu’une réalité purement momentanée. Un État islamique qui se met tout le monde à dos et essuie des pertes considérables crée l’occasion d’une saignée parmi les djihadistes tenants de la ligne la plus dure. C’est peut-être là, paradoxalement, un gage de résilience pour l’ensemble du mouvement djihadiste mondial.»

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