Face à la situation équivoque créée par le sulfureux marché de la carte d’identité Cédéao au Mali, le gouvernement du Mali n’a trouvé de dénouement que dans l’arbitraire. L’appel d’offres y afférent a été en effet unilatéralement annulé et notification en a été faite à l’adjudicataire déclaré, la société Cissé Technologies, qui tient pourtant des mêmes autorités un acte le déclarant attributaire provisoire de ladite commande publique.
Après moult hésitations, tergiversations et prestidigitations plus ou moins déchiffrables,les hautes autorités maliennes ont fini par franchir un pas longtemps pressenti dans la transgression des prescriptions légales afférentes aux conditions d’annulation d’un marché public en République du Mali. Car, c’esten l’absence de tout motif raisonnable – en dehors de celles qui tiennent des propres lacunes des autorités elles-mêmes -, de toute démarche rationnelle que le gouvernement AIM a souverainement décidé de trancher dans le sens d’une rupture de la procédure de fourniture des cartes biométriques couplées à l’AMO.
Seulement voilà : depuis une dizaine de jours environ, le chef du Gouvernement est dépourvu de tout pouvoir d’arbitrer le différend en question. Le dossier, avec tous ces relents d’extorsion arbitraire à ciel ouvert – sur fond de concussion et d’affairisme – est désormais pendant devant la Cour de justice de la Cédéao, la même organisation auprès de laquelle l’Etat malien s’est engagé à harmoniser le mécanisme national d’identification des citoyens avec les exigences de la libre circulation des personnes et des biens.
Selon un article paru la semaine dernière dans le journal «La Lettre du Continent», la société Cissé Technologies réclame auprès de cette instance judiciaire supranationale un dédommagement jusqu’à concurrence d’1 milliard de dollars. En cause, une rupture unilatérale de procédure après que le marché a été adjugé à la suite d’une offre technique validée de commun accord avec les experts de la Cédéao, puis arbitré et jugé respectivement par l’Autorité de Régulation des Marchés Publics et la Cour suprême. La première a estimé, par décision en date du 3 aout 2016, que l’offre de l’attributaire provisoire est suffisamment qualifiée pour la poursuite de la procédure, tandis que la plus haute juridiction du pays a tout simplement donné acte du désistement des différents maillons de l’Etat malien (La Délégation générale des marchés publics et le Contentieux de l’Etat) de leur recours en annulation de cette décision rendue en faveur de Cissé Technologie.
Autant de raisons en vertu desquelles le chef du Gouvernement avait lui-même en un premier temps instruit son ministre de la Sécurité et de la Protection Civile de poursuivre la procédure d’attribution définitive du marché et correspondance à l’appui. «Me référant à la décision n°16-043/ARMDS-CRD du 23 août 2016 de l’Autorité de Régulation des Marchés Publiques et des Délégations de Services Publics et à l’Ordonnance n°28/CS-PSA du 03 novembre 2016 de la Cour suprême (section administrative) je vous invite à poursuivre la procédure de passation de l’appel d’offres relatif à l’objet ci-dessus visé», a écrit Abdoulaye Idrissa Maïga, allusion faite à la fourniture des cartes biométriques couplées à l’AMO.
Le N°1 du gouvernement donnait ainsi son feu-vert aux différents ministres impliqués dans le dossier pour qu’ils procèdent à la levée de l’ultime obstacle : un accord sur le prix du produit estimé au-dessus de la possibilité du Malien lambda. C’est ainsi qu’une laborieuse transaction entre les parties a finalement abouti à l’acceptation de la somme de 6000 francs CFA par carte biométrique sécurisée couplée à l’assurance-Maladie personnalisée, tel qu’en atteste une autre correspondance en date du 20 août 2017 par laquelle le ministre de la Sécurité fait part à son collègue de la Solidarité du consentement de l’adjudicataire et de son partenaire français à fournir le produit au prix proposé par le gouvernement.
Sans doute pas assez dissuasif comme preuve pour que la Primature se passe de distiller dans la presse une note explicative plus disgracieuse pour les structures étatiques de gestion des marchés publics qu’elle n’a été convaincante sur l’annulation de la fourniture des cartes. Foulant aux pieds l’arbitrage contraignante de l’Autorité de Régulation, la décision de justice de la Cour suprême ainsi que le résultat de toutes les démarches des départements ministériels concernés dans le dossier, les services du Premier ministre n’ont pas eu besoin, ce faisant, d’élever l’argumentaire au-dessus des arguties qui ne résistent pas à l’analyse : impossibilité de coupler l’AMO à la carte d’identité Cédéao pour cause de dissemblances de normes juridiques, besoin d’encadrer la nouvelle carte par une loi au lieu d’un décret, nécessité de prendre en compte la loi relative aux conditions générales d’exonération dont les dispositions sont bien postérieures à l’appel d’offres concerné,et tutti quanti. S’y ajoute, toujours selon les services d’Abdoulaye Idrissa Maïga, que le couplage peut s’assimiler à une camisole de force pour les nombreux Maliens obligés de disposer d’une carte d’identité sans devoir adhérer forcément à l’Assurance-maladie. Un argument battu en brèche par les perspectives de l’avènement d’une Assurance Maladie Universelle ainsi que par les résultats d’une étude de faisabilité du couplage commandité par le gouvernement.
Autant dire que les alibis évoqués le Premier ministre sont fabriqués pour les besoins d’un dessein longtemps mijoté : se soustraire aux exigences des spécifications techniques initiales de l’appel d’offres aux fins d’amputer le marché de l’une de ses deux composantes.
C’est l’intention qui transparait au demeurant dansl’option proposée depuis octobre 2016 par le ministre des Finances,qui suggérait aux hautes autorités la dérobade qui consiste à engager des discussions avec l’Imprimerie Nationale de France en écartant son associé malien à l’effet de conclure un marché sur la carte Cédéao dissocié de celui de l’AMO et recourir, en cas d’échec des négociations, à un appel d’offres International . Un mode opératoire par lequel le ministre Boubou Cissé tentait à l’époque de contourner les instructions du Premier ministreModibo Keïta de trouver une solution diligente aux obstacles que rencontrent l’attribution définitive «du marché relatif à l’instauration de cartes d’identité nationales sécurisées».
Avec tant d’éléments et pièces à conviction, engager un bras-de-fer contre l’attributaire provisoire du marché risque de couter une saignée financière à plonger dans le coma tout responsable soucieux du contribuable et des maigres ressources d’un pays en proie à la crise, qui coupe les cheveux en quatrepour mobiliser des appuis extérieurs.
Difficile de dire, cependant, au regard des péripéties ayant rythmé l’histoire rocambolesque de ce dossier, que cette préoccupation a prévalu à la gestion de la fourniture des cartes d’identité biométriques sécurisées couplées à la carte l’Assurance Maladie Obligatoire. Et pour cause, le nouveau produit annoncé au mois de juin prochain, après avoir fait des envieux et des émules dans toute la sous-région, risque tout simplement de ne plus voir le jour. Au nom certainement du profit vénal qu’en tirent les chasseurs de primes tapis dans l’ombre, le projet est peut-être mêmes relégué aux calendes. C’est l’impression qui se dégage, en tout cas, du lancement par le gouvernement d’une foultitude d’appels d’offres pour la confection de nouvelles cartes AMO dissociées de la carte biométrique.
La démarche, selon toute évidence, en dit long sur les manœuvres dolosives d’autant qu’elle consacre le découplage de fait alors qu’aucune des tentatives d’en justifier le bien-fondé n’ait pu prospérer. Et, en réponse à une proposition de son collègue de la Sécurité au sujet de l’éventualité d’un découplage, le ministre de la Solidarité et de l’Action Humanitaire a mêmerelevé que le principe du découplage ne lui semble point envisageable du moment où la commande est faite sur la base d’une combinaison de la carte d’identité biométrique avec l’assurance-maladie personnalisée, conformément au décret pris en conseil des Ministres pour ce faire.
Ce qui n’a pas empêché la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, un service sous la tutelle du même département, de cautionner le découplage en endossant la paternité d’un appel d’offres morcelé avec l’habileté d’épicier pour éviter le seuil qui nécessite une implication du conseil des Ministres dans la passation des marchés. Qui a dit que le Mali n’est pas un Etat voyou ? (Affaire à suivre)
Abdrahmane keita