La dernière bavure policière qui est en train de faire basculer le pays dans la violence remonte au lundi 25 mai dernier à Minneapolis. Ce jour-là, George Floyd, 46 ans, originaire du Texas, est mort plaqué au sol, le genou d’un policier blanc pressant son cou et l’empêchant de respirer. La scène filmée pendant de longues minutes par une passante et diffusée sur Facebook Live est d’autant plus surréaliste que la victime était déjà menottée et qu’on pouvait l’entendre dire qu’il n’arrivait plus à respirer. Le policier blanc, identifié comme étant Derek Chauvin, face caméra et mains dans la poche, semble totalement étranger à la scène, son visage manifestant une certaine forme de jubilation. Cette affaire n’est pas sans rappeler le cas emblématique d’Eric Garner, tué en 2014 à New-York dans des circonstances presque similaires. On s’en souvient, les morts tragiques d’Eric Garner, de Freddie Gray à Baltimore et de Michael Brown à Ferguson avaient dangereusement agité les Etats-Unis et donné naissance au mouvement Black Lives Matter (La vie des Noirs compte).
Dans ce énième drame lié à la race de la victime, les autorités de la ville de Minneapolis se sont tiré une balle dans le pied en arrêtant le coupable puis en le libérant le même jour. Face à la grogne et à l’incompréhension de la population, elles ont dû revenir sur leur décision en inculpant l’individu ce vendredi du chef d’accusation d’acte cruel et dangereux ayant causé la mort et d’homicide involontaire. Trop tard, la cocotte-minute avait déjà explosé et ce n’est pas l’appel au calme de Jacob Frey, maire de la ville, qui changera la donne. Après trois nuits consécutives d’affrontements violents marquées notamment par des pillages de commerce et l’incendie d’un commissariat dans les quartiers nord de cette ville de près de 4 millions d’habitants, les autorités ont fait appel à la redoutable garde nationale dont 500 soldats ont été déployés pour tenter de ramener le calme.
Toutefois, les dernières révélations sur le passé trouble de Derek Chauvin risquent d’entretenir la colère des manifestants ; en effet, il ressort des enquêtes journalistiques que, en 19 ans de service, l’individu a fait l’objet de 18 plaintes en interne. Quelqu’un de sulfureux donc pour qui la fin justifie les moyens. Il en va autant des dernières déclarations du président Trump qui, un temps, avait fait preuve d’empathie en dénonçant un crime tragique, mais qui s’est repris rapidement – chasser le naturel, il revient au galop – en publiant sur Twitter, mine de rien, que « les pillages seront immédiatement accueillis par les balles ». Un coup de sang qui a déclenché automatiquement une réaction du réseau social à l’oiseau bleu qui a décidé de signaler cette prise de position de Donald Trump comme une « apologie de la violence ».
Remonté contre Twitter, le président américain s’en est pris à la « Section 230 » du Communications Decency Act, acte législatif majeur de 1996 conférant l’immunité dont bénéficient Facebook, Twitter, YouTube (Google) mais aussi Wikipédia contre toute poursuite judiciaire liée aux contenus publiés par des tiers. De facto, selon les spécialistes, le président priverait ainsi les plateformes de la liberté d’intervenir sur les contenus pour faire appliquer leurs conditions d’utilisation. Mais c’est une guerre de longue haleine qui n’est pas gagnée d’avance par le locataire de la Maison Blanche qui a du assister, amusé, à l’arrestation en direct, vendredi, du journaliste noir Omar Jimenez, correspondant de CNN, alors qu’il couvrait les émeutes à Minneapolis. Scène d’autant plus cocasse et surréaliste que CNN relève que le reporter noir a été arrêté tandis qu’un autre de ses journalistes, blanc, également sur place, a pu continuer à couvrir les protestations.
CNN note que Omar Jimenez avait pourtant décliné son identité et sa profession aux policiers à son arrivée sur place. Il est d’ailleurs le premier surpris de son arrestation puisqu’il demande avec insistance ce qui lui vaut d’être arrêté. Deux membres de son équipe, un cameraman et un producteur, ont également été menottés. Pendant tout ce temps, la caméra de la chaîne a continué à tourner même si elle a été aussi saisie. La scène a suscité un tollé de toute la corporation aux Etats-Unis et dans le monde, CNN dénonçant sur Twitter une violation du premier amendement, fondement de la démocratie américaine, qui garantit notamment la liberté de la presse.
L’équipe de CNN a finalement été libérée et le gouverneur du Minnesota, Tim Walz, lui a présenté ses plates excuses. Tout est bien qui finit bien, pourrait-on dire. Mais Minneapolis met le curseur sur cette plaie hideuse de l’Amérique qui refuse de se cicatriser malgré toutes sortes de thérapies. Le cancer du racisme qui gangrène la société américaine se métastase allègrement sous les yeux de la communauté internationale dont certains leaders ne se privent plus de leur droit d’ingérence. Ils sont nombreux à caresser secrètement le vœu que le bail du locataire de la Maison Blanche ne se renouvelle pas en novembre prochain. Avec la bénédiction de Donald Trump, lui-même, qui est bien parti pour être son propre fossoyeur.
Serge de MERIDIO