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Centre du Mali : Enjeux et dangers d’une crise négligée

“Centre du Mali : Enjeux et dangers d’une crise négligée”, est le titre d’un ouvrage écrit par Adam Thiam. A l’occasion du deuxième anniversaire de sa disparition, Le Républicain publie l’Introduction de cet ouvrage préfacé par Soumeylou Boubeye Maïga et édité en mars 2017.

AVANT-PROPOS

Certes, depuis 2013, les voitures de la Police islamique ne patrouillent plus dans la ville de Gao, pas plus que ne se tiennent le vendredi à Tombouctou les audiences du Tribunal islamique. Sous ce regard, le Nord malien n’est plus le califat de 2012. Mais l’extrémisme violent a hélas élargi le perimeter de son action dans le Sahel. Il frappe, de manière de plus en plus récurrente, les prolongements nigériens de l’Azawak et du Tamesna et il sévit dans la bande burkinabé de l’Agacher, rendant plus évident encore le caractère indivisible de la sécurité et de la stabilité des pays de la sous-région et indispensables leurs efforts de construction d’un espace commun de sécurité et de développement.

Au Mali, la stratégie djihadiste, à double détente, est dessinée : dans un premier temps, garder des positions au Nord du Mali, si marginales soient-elles; dans un second temps, s’étendre au Centre pour le sanctuariser progressivement par des attaques répétées dans le Seeno, le Delta intérieur du Niger,  le Kareri, le Nampalari et le Wagadou. Nous sommes, il est vrai, autour du 14e parallèle : c’est l’arc de l’insécurité alimentaire pour le système d’alerte précoce contre la famine. Il représente désormais un arc d’insécurité tout court, et occupe une place de choix dans le système d’interconnexion avec les différents vecteurs de la criminalité transnationale organisée.  Mais le déterminisme économique n’explique certainement pas tout. Pour les doctrinaires du djihadisme, le Centre, en particulier la région de Mopti, n’est pas une terre en friche. Même si l’islam qui y a cours est essentiellement d’inspiration soufie, cette aire a abrité au XIXe siècle une théocratie longue de quarante ans. S’y ajoutent la conflictualité de systèmes de production reposant sur de délicats compromis, le fossé Etat-administrés devenu la source de crispations identitaires et de récriminations multiples, ainsi que la poudrière foncière.  Or, dans un pays qui peine à se relever de la crise de sa partie Nord, celle du Centre porte en germe des dangers similaires, en aggravant l’érosion d’un capital social dont la résilience ne doit pas être surestimée. Et en devenant le cercle de feu qui pourrait scinder davantage le pays C’est toute l’importance de la présente étude qui, au-delà des faits présentés, propose un éclairage sur les enjeux de la crise du Centre et préconise des mesures pour stopper la dangereuse spirale à l’œuvre aujourd’hui. En somme, un précieux outil d’aide à la décision.

Soumeylou Boubèye MAÏGA Bamako

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Introduction

Le contexte

Le Mali a connu une triple crise en 2012 : une crise sécuritaire, qui s’est manifestée par l’annexion de deux tiers de son territoire, jusqu’en janvier 2013 ;  une crise politique, avec un coup d’État suivi d’un retour heurté à la légalité constitutionnelle ; une crise humanitaire, avec l’exode de plusieurs centaines de milliers de déplacés dans les régions du Sud (Mopti, Kayes, Ségou et Sikasso) et de réfugiés dans les pays voisins (Burkina Faso, Mauritanie,  Algérie et Niger).  Sur le plan politique, le Mali est sur le point d’arriver au deuxième anniversaire de la signature de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du processus d’Alger (2015). Le bilan de deux années d’application de l’Accord paraît des plus mitigés. Au Nord du Mali, les relations entre la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme sont ponctuées de phases de rapprochement et de reprise des hostilités, révélant à la fois les limites d’un accord obtenu a minima et le caractère extrêmement précaire et volatile de la situation politique et sécuritaire.  Sur un plan proprement sécuritaire, la menace djihadiste est à son paroxysme.

Le 9 janvier 2013, les mouvements djihadistes, forts de leur suprématie, avaient poussé leur avantage plus au Sud en annexant Konna, à 55 km de Mopti. L’intervention française du 11 janvier 2013 a stoppé cette offensive et tenté de restaurer l’intégrité territoriale du pays. Or, l’opération Serval est loin d’avoir éradiqué la menace djihadiste. Si elle a chassé les groupes djihadistes des agglomérations urbaines, ceux-ci se sont repliés dans des zones moins fréquentées, agissant de manière plus discrète et sous couverture.  Malgré la forte présence militaire internationale, la pression exercée par les groupes djihadistes (AQMI [Al Qaeda au Maghreb islamique], Al Mourabitoune,  Ansar Dine) s’accentue en effet. A nouveau réunis sous la bannière d’AQMI,  ces groupes influencent négativement la mise en œuvre de l’Accord tandis que leur activisme fait de la MINUSMA la mission onusienne de maintien de la paix la plus vulnérable jamais déployée. Le sol malien a ainsi été le théâtre de près de deux cents attaques en moins de deux ans, causant plusieurs centaines de morts et de blessés.  Surtout, l’insécurité s’est propagée au Centre du pays (Mopti, Ségou) et occasionnellement au Sud (Sikasso, Bamako), sous l’effet conjugué d’une extension de l’influence d’Ansar Dine, grâce aux liens personnels établis par son chef Iyad Ag Ghaly depuis les années 1990 sur l’ensemble du territoire malien, et d’un mûrissement de facteurs endogènes propices au basculement de ces zones dans l’insurrection, qu’elle soit ou non djihadiste. Comme nous le verrons, la dégradation de la sécurité dans le Centre répond avant tout à des logiques proprement locales, sans lien direct avec les groupes armés signataires établis au Nord du Mali.  Éclaircir les enjeux en cause au centre du mali Le Centre a soudainement attiré l’attention des observateurs en 2015, amenant chercheurs, journalistes et décideurs à s’intéresser à cet espace resté jusque-là dans l’ombre de l’actualité. Si la couverture médiatique des événements permet d’attester que l’insécurité gagne en intensité, elle ne permet pas de comprendre qui en sont les vrais acteurs, leurs mobiles ou encore les facteurs et les conséquences de cette insécurité. Une récente étude, publiée par le groupe de réflexion « International Crisis Group » (ICG), donne quelques clés de compréhension, soulignant notamment qu’il s’avère difficile d’identifier lesauteurs des attaques commises, pas toujours revendiquées mais fréquemment attribuées aux groupes djihadistes. Pourtant, les groupes qui entretiennent cette insécurité sont nombreux et n’ont pas toujours de teinte religieuse.  Sur le plan historique, la région de Mopti est loin d’être neutre. Au XIXème siècle, elle abritait en effet la Dina, portée par Cheikh Amadou Barry, qui lança un Djihad pour « purifier » la société musulmane. Cet héritage, autant rejeté que revendiqué par Hamadoun Kouffa, le leader de la katibat Macina d’Ansar Dine, a laissé une empreinte certaine dans l’enseignement islamique qui est pratiqué dans la région. Nous étudierons les enjeux associés à la sphère religieuse à Mopti.  Il conviendra d’analyser comment le Centre du Mali a pu basculer dans la

violence que l’on connaît aujourd’hui, en mobilisant à titre explicatif des facteurs autant économiques que sociaux ou politiques. De ce point de vue, la responsabilité de l’État est grande, que ce soit par son inaction ou par son comportement, à certains égards inadapté. Il ne peut y avoir de solution sans que l’action de l’État soit repensée dans cet espace.

Ce background de l’histoire et des facteurs de transformation du Centre du pays est essentiel pour comprendre le projet défendu aujourd’hui par Hamadoun Kouffa et pour évaluer la portée de ses prêches. Loin d’être un groupe de quelques dizaines d’individus, comme cela est couramment véhiculé, la katibat Macina est au contraire en phase de structuration et d’extension de son aire d’influence, partant de l’existence d’un foyer de recrutement relativement fertile, notablement au sein de la communauté peulh.

Il convient en définitive d’analyser les contours de ce qui est en train de devenir « un problème peulh », porté par des groupes djihadistes certes, mais surtout par une société civile en pleine effervescence. La question qui se pose également est de savoir si cette question peulh est purement locale ou nationale,  ou bien si elle se ramifie à l’échelon régional, la communauté peulh s’étendant du Sénégal jusqu’en Centrafrique et comptant des millions de membres tout au long de cet arc géographique

Source: Le Républicain

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