Du Square Lumumba au Rail-da, le boulevard du Peuple est une voie à éviter pour automobilistes pressés. Les vendeurs installent leurs étals sur la chaussée, interdisant la circulation. Jusqu’ici, aucune opération de déguerpissement n’a eu raison de ces marchands à la ténacité extraordinaire
Il est environ 11 heures. Un soleil sans chaleur jette ses rayons sur le marché Rail-da. Circuler ici est un véritable casse-tête pour les automobilistes et les motocyclistes. Le centre commercial de Bamako est, en effet, devenu le théâtre des bouchons permanents du fait de l’occupation anarchique des voies par des vendeurs qui n’hésitent pas à installer leurs étals jusque sur la chaussée.
Les automobilistes tentent de se frayer un chemin à coup de klaxons et d’éclats de voix. Tout le monde est impatient au point de ne pas avoir l’amabilité de céder le passage.
Un policier élancé, sueur au front, tente de débloquer la situation, sifflet à la bouche. Il multiplie, avec automatisme, gestes et menaces verbales afin de restaurer l’ordre. Mais en vain. «Allons-nous enfin bouger ! Pourquoi cet embouteillage forcé ? », crie un homme trapu, à califourchon sur sa moto.
Entre la Maison des artisans de Bamako, l’Institut national des arts (INA) et l’Assemblée nationale, des vendeurs colonisent la route. Ici, se frayer un chemin relève du parcours du combattant. « On a mal compris la notion de chose publique dans ce pays. On se permet de faire n’importe quoi. On a tout sacrifié au profit de l’argent. Si je ne me trompe pas, les textes interdisent que des gens envahissent ainsi l’espace public. J’aimerais bien comprendre l’inertie des autorités face à cette pagaille qui va crescendo », s’insurge un vieil homme, visiblement irrité par cette anarchie. Selon lui, pas d’atermoiements. Il faut vite prendre des mesures draconiennes pour faire du marché Rail-da un espace attrayant.
FUMÉE SUFFOCANTE- Au même moment, un portefaix (porteur de bagages), habillé en maillot de football, s’indigne à son tour. « C’est quoi ça ? Ne peut-on pas me laisser passer ouais ! », hurle-t-il sur un groupe de vendeurs de chaussures et de vêtements. Mais, ces derniers demeurent sourds à ses interpellations. Ils ne semblent pas davantage incommodés par le ronronnement des moteurs dégageant une fumée suffocante.
« Aye na woloma ! Kèmè kèmè (venez fouillez par là. Tout est au prix de 500 Fcfa !), chantent en chœur des vendeurs de friperie pour attirer la clientèle. On se croirait à un carnaval. Certains battent des mains, pendant que d’autres font pleuvoir des coups frénétiques sur des tam-tams.
Non loin d’eux, d’autres vendeuses occupent la chaussée. Chez elles, point de hurlements ou de clameurs. Des haut-parleurs, placés à même le sol à côté d’elles, leur prêtent main forte dans leur job. « Promotion de boucles d’oreilles ! Seulement à 100 Fcfa », tonnent incessamment et en continue les haut-parleurs.
Saran Koné est l’une d’elles. La native de San vit à Bamako depuis 2016. Elle fait du nomadisme au centre commercial. « Tantôt, je m’installe près de l’INA. Tantôt, c’est derrière la Grande mosquée. Car, personne n’a une place fixe ici. Il faut être matinal pour trouver où exposer ses marchandises. Si les agents de la mairie débarquent, c’est la débandade », explique-t-elle.
Est-il normal de s’installer n’importe où au marché ? À cette question, notre interlocutrice répond avec un ton catégorique. « Pourquoi nous chasser ? On n’a pas où aller. Nous ne commettons aucun crime. Ce marché appartient à tous. Nous ne bougerons pas », proteste Saran Koné.
Pourtant, ces vendeurs et vendeuses ne sont pas à l’abri des accidents. Les chauffeurs de Sotrama qui n’ont d’yeux que pour leurs recettes du jour, sont près à toutes sortes de manœuvres dangereuses pour se dégager des bouchons. Il arrive parfois que certains perdent le contrôle de leurs véhicules et terminent la course parmi les marchands installés sur la chaussée. Un passant dit avoir été témoin d’une scène similaire.
Par ailleurs, la cohue favorise les activités des voleurs à la tire. Ces spécialistes du « deux doigts » accomplissent les larcins quand les gens sont serrés les uns contre les autres. Avec une dextérité réelle, ils vous délestent de votre monnaie si vous n’êtes pas très vigilants.
CENTAINE D’ÉLÉMENTS– Du côté de la mairie du District de Bamako, on développe une rhétorique de fermeté contre l’occupation illicite de grandes artères. Le directeur du Bureau urbain de protection de l’environnement (Bupe) ne transige pas. « L’arrêté 14 du mois d’août 2001 est très clair sur ce sujet. Toute installation anarchique peut entraîner des sanctions. Nous organisons quotidiennement des rafles sur toutes les voies afin de saisir les marchandises de ceux qui envahissent le domaine public. Pour la restitution de leurs biens saisis, les contrevenants doivent payer des amendes. Ça, c’est si la personne n’est pas récidiviste. Si c’est le cas, nous faisons une saisie définitive de ses marchandises », énonce-t-il.
Il sait de quoi il parle : depuis l’indépendance, le boulevard du Peuple a toujours été engorgé par des commerçants détaillants. À ses yeux, cela est dû au fait que Bamako manque d’espace. À cela s’ajoute la ruée des ruraux vers la capitale. Ces derniers, après avoir gagné quelques sous, se reconvertissent en commerçants ambulants.
Réajustant par moments ses lunettes, l’agent municipal, visage ferme, reconnait que le mal a des racines bien profondes et que, jusque-là, le traitement proposé est inefficace. Comment faire face à un tel fléau avec seulement une centaine d’éléments et un seul véhicule pour tout Bamako ?, s’interroge-t-il, la voix grave.
La réponse serait sans doute une solution concertée, acceptable et acceptée par tous. L’on se souvient de l’opération de déguerpissement et de libération des artères principales de Bamako. Initiée en 2016 par la « Gouverneure courage » Mme Ami Kane, en collaboration avec la mairie du District, cette opération visait « à donner à Bamako une image digne de sa renommée d’antan de Ville coquette et, cela, pour toujours ». À cette occasion, les forces de sécurité, les services de la mairie avaient été mobilisés. Mais peine perdue. Le chaos persiste. Bamako semble loin de renouer avec la propreté promise par les autorités locales.
Lassana
Nassoko
Source: Journal l’ Essor- Mali