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Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, deux soldats d’exception

Ils appartenaient à Hubert, le plus prestigieux des commandos de la marine. Face aux terroristes, ils sont tombés en héros en Afrique.

Les otages sont à 200 mètres. A travers leurs lunettes infrarouges, Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello distinguent des ombres qui entrent et sortent de trois tentes de nomades peuls. Ce sont les gardiens, et ils sont armés. Leurs 4×4 sont garés à quelques mètres des tentes. Le commando a été largué par dix hélicoptères à une dizaine de kilomètres. Un avion Casa, configuré pour l’évacuation sanitaire, les accompagnait. Dans le ciel, la surveillance est assurée par trois drones, un américain en haute altitude et deux français, de type Reaper, appartenant au 1/33 Belfort. Ils ont décollé d’une base aérienne projetée, située près de l’aéroport de Niamey, au Niger.

Genou à terre, les deux commandos marine patientent. Pour cette mission, ils sont partis «légers», chacun prenant, comme c’est l’usage, l’arme avec laquelle il est le plus à l’aise : un fusil d’assaut à canon court, à faible recul, doté d’optiques perfectionnées. Cela va du H&K 416 version C allemand au M4 américain, du FN Scar belge jusqu’au H&K MP7, l’arme qui a tué Ben Laden. La nuit est d’encre ; la température, clémente. Une aubaine dans ce genre d’opération. Mais l’endroit a mauvaise réputation. C’est ici que, le 2 avril dernier, quelques kilomètres plus au nord, de l’autre côté de la frontière malienne, un engin explosif a tué le capitaine Marc Laycuras, médecin militaire, et blessé deux soldats.

Le 1er mai, au Bénin, aussitôt après avoir enlevé Patrick Picque et Laurent Lassimouillas et sauvagement assassiné leur guide, les ravisseurs ont pris la direction du nord. Ils ont rapidement traversé la frontière du Burkina Faso, puis confié les otages à des complices. En quelques jours, ceux-ci vont parcourir 350 kilomètres en direction du Mali. Dans un pays où des pans entiers de territoire échappent au gouvernement, les kidnappeurs ont disposé de nombreux relais. Ils circulent le plus souvent la nuit, préfèrent aux grands axes les pistes en sable, qu’ils connaissent comme leur poche. Mais il leur arrive – hélas pour eux, tant mieux pour les Français – d’utiliser leurs portables. Un piège classique, qui a conduit de vie à trépas des centaines de djihadistes dans le monde. C’est une de ces conversations, transmise par les Américains, qui a poussé l’état-major français à précipiter l’opération. Les ravisseurs indiquaient qu’ils entendaient céder leurs otages aux radicaux de la Katiba Macina, basés au Mali. Pas le temps de «répéter» sur un décor comme on l’avait fait en 2013 pour tenter de récupérer Denis Allex, le membre de la DGSE alors aux mains des shebabs somaliens. Le groupe doit en effet passer au Mali dès le lendemain, et il sera alors trop tard.

La zone n’était pas “fortement déconseillée” quand les deux Français s’y sont rendus

Mais au fait, pourquoi une opération au Mali serait-elle trop compliquée à monter ? Pourquoi, à écouter notre chef d’état-major, le général Lecointre, ce pays est-il encore plus dangereux que le Burkina ? L’opération Serval, lancée il y a six ans par François Hollande, n’était-elle pas censée le protéger du danger que faisait peser sur lui le déferlement d’armes en provenance de Libye, conséquence de l’anarchie qui a suivi notre intervention de 2011 ? Serval a eu le mérite de sauver Bamako d’une conquête imminente par les Gat (Groupes armés terroristes). Puis les troupes françaises ont libéré Tombouctou, Gao, Kidal et Tessalit… Mais les islamistes, plutôt que de s’acharner à administrer la charia sur des émirats complexes à défendre, ont changé de tactique. Ils ont choisi de s’attaquer à l’activité, en instillant la peur, et de multiplier les zones d’instabilité où le civil occidental ne mettrait plus les pieds. En août 2014, Barkhane a remplacé Serval ; 4 500 hommes ont été déployés sur des millions de kilomètres carrés, de la Mauritanie au Niger. Mais, malgré leur présence et l’appui tactique des pays concernés, la zone interdite n’a cessé de croître, gagnant le nord de la Côte d’Ivoire, du Togo et, maintenant, du Bénin. Grâce au travail insidieux des terroristes, pratiquement toute l’Afrique sahélienne est devenue une région à risque. Sur le site du ministère des Affaires étrangères, les zones les plus sûres figurent en jaune pour «vigilance renforcée»… Quant au parc de la Pendjari, à la frontière burkinabée, le plus beau parc animalier de l’Afrique de l’Ouest, il est « formellement déconseillé », coloré en rouge, incorporé à cette tache de sang qui macule désormais la carte de l’Afrique subsaharienne. Lorsque Patrick Picque et Laurent Lassimouillas ont cherché la destination de leur voyage de noces, il ne l’était pas.

Ces fous de nature et de destinations exotiques pouvaient imaginer le Bénin épargné, protégé par sa frontière. Dans ce secteur, comme dans toute la région, qu’est-ce qu’une frontière ? Les tribus nomades comme les Peuls les franchissent sans s’en rendre compte. Alors, imaginez les djihadistes… Ils n’en ont que faire ! Fiacre Gbédji, le guide béninois que les jeunes mariés avaient contacté, était très fiable. L’écrivain Lorànt Deutsch l’avait côtoyé alors qu’il travaillait pour l’ONG belge Iles de paix. Il décrit ce père de six enfants comme un «accompagnateur attentionné et pédagogue», connaissant parfaitement la région. Cela remonte à quelques années, quand les amateurs de safari étaient plus nombreux…

Cédric de Pierrepont, lui aussi, connaissait bien la région. Le grand public entendait rarement parler des opérations qu’il y conduisait, mais les djihadistes se souviennent parfaitement de lui. Ceux qui l’ont aperçu, lui ou ses camarades, et qui sont encore en vie pour témoigner, les surnomment «les hommes verts» en raison de leur accoutrement et de leurs peintures de guerre. Cédric de Pierrepont avait pourtant vu le jour loin de l’Afrique, au bord de l’Atlantique. Originaire du pays vannetais, il s’engage à 18 ans dans la marine comme simple matelot. En 2005, «DPP», comme le surnommaient ses amis, choisit la spécialité fusilier et, à la suite de premiers tests physiques, effectue son cours de brevet élémentaire. Pendant quatre mois, il va apprendre le métier. Après le brevet, il est affecté à une unité chargée de la protection des bases et bâtiments de la marine, mais il peut prétendre aux tests de présélection du stage commando. Une succession de pompes, abdos, tractions, de séries de grimpers de corde avec un sac de 12 kilos, de courses chronométrées avec sac et armes, sans oublier le parcours d’apnée, cette fois à plus de 5 mètres de profondeur dans les cuves de Lorient où, pendant la guerre, les Allemands stockaient le carburant de leurs U-Boot.

Le futur commando doit découvrir ses limites pour les dépasser

La sélection est impitoyable. En réalité, elle est la même que celle endurée autrefois à Achnacarry, en Ecosse, par les 177 aînés du commando Kieffer, seuls Français en uniforme à avoir débarqué sur Sword Beach, le 6 juin 1944. Pour bien marquer cette filiation, le commando marine auquel appartiennent Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello porte le nom du lieutenant de vaisseau Augustin Hubert, mort au combat, ce jour-là, sur la plage. Le stagiaire est plongé dans des éléments dont il va devoir apprendre à faire ses alliés : la fatigue, l’humidité, le froid, l’incertitude. De novembre à février, l’eau de l’Atlantique ou du fleuve Blavet peut tomber à 10 °C. Même vêtu d’une combinaison Néoprène, ça fait atrocement mal aux mains. Tout ce qui se fait le jour doit se refaire la nuit, après deux ou trois heures de sommeil pour les plus chanceux. En extérieur, bien sûr. Le futur commando doit découvrir ses limites pour les dépasser, apprendre à être un «chat maigre», comprendre que «la sueur épargne le sang» et que «chaque effort consenti n’est pas une fin mais un commencement». Après trois mois de ce traitement, Pierrepont obtient son béret vert. Seulement un candidat sur huit est allé jusqu’au bout. Il rejoint Penfentenyo, un des six commandos de Lorient, avant d’intégrer Hubert, celui des nageurs de combat, l’élite de l’élite, basé à Saint-Mandrier, dans le Var. Il a le grade de second maître. Plus jeune, le maître Bertoncello a fait l’Ecole de maistrance à Brest. Un bâtiment gris et froid en plein vent, comme la marine les aime. Il domine l’arsenal et l’ancienne base sous-marine. On y forme les officiers mariniers ou sous-officiers. Bertoncello choisit la spécialité fusilier. Il effectue son stage. Puis intègre le commando Jaubert avec le grade de second maître. En 2017, il passe à son tour la sélection des nageurs de combat pour rejoindre Hubert.

L’ordre est clair : progresser en direction des otages sans ouvrir le feu pour ne pas mettre leur vie en péril

Ce 9 mai, cela fait déjà quelques jours que les forces françaises ont repéré le groupe de djihadistes qui retient les otages. Trois jours plus tôt, une opération des forces spéciales a même été montée «afin de s’emparer d’éléments et de confirmer des renseignements sur l’itinéraire des ravisseurs», expliquera le chef d’état-major des armées (Cema), le général Lecointre, lors de la conférence de presse qui suivra l’opération. «L’amiral Isnard, du Cos [Commandement des opérations spéciales], me dit qu’il est possible que les ravisseurs fassent une halte en chemin. Jeudi, il me confirme une halte en territoire burkinabé.» En début d’après-midi, en effet, le campement est localisé. L’opération est montée en quelques heures. Elle est proposée au chef d’état-major des armées puis au président de la République. Lorsque, depuis la Roumanie où il assiste au sommet européen de Sibiu, Emmanuel Macron l’approuve, les avions ont déjà décollé. Enfin, peu avant minuit, l’ordre crépite dans l’oreillette : poursuivre la progression en direction des tentes, sans ouvrir le feu pour ne pas mettre en péril la vie des otages. «Bien pris», murmure le chef de groupe Pierrepont. A cet instant, avec le maître Bertoncello, ils sont très exposés. Le commando ignore dans quelle tente les otages se trouvent. Surtout, ils ne savent pas qu’ils sont quatre, car deux femmes également capturées, une Américaine et une Coréenne, ont rejoint le groupe par un autre convoi.

Lire aussi :Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello sont «morts en héros», dit Macron

A cet endroit, la savane sahélienne est faite de grandes clairières de sable, bordées de petits buissons d’épineux qui couvrent imparfaitement leur progression. C’est la fin de la saison sèche, la végétation est rare. Tôt ou tard, ils vont être repérés. Pierrepont a pris la tête du groupe. Bertoncello le suit. A une dizaine de mètres devant eux, une sentinelle garde le campement. Elle est neutralisée. Malgré le silencieux utilisé, c’est cet épisode qui met les ravisseurs en alerte. Pierrepont et Bertoncello sont les premiers à se précipiter et à entrer dans les tentes. Ils sont abattus à bout portant. En langue mooré, Burkina signifie «homme intègre». Ce sont bien des hommes intègres qui se sont sacrifiés là-bas, un soir de mai, pour libérer des otages.

Source: parismatch

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