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CEDEAO : jeu de rôles pour Tinubu et Talon dans le bourbier sahélien

La Cédéao se réunit ce jeudi à Abuja pour la deuxième fois en moins de deux semaines pour plancher sur le ‘’brasier nigérien’’. L’organisation sous-régionale est sous pression des opinions et des sociétés civiles de plus en plus en rébellion face à ses postures contre-productives. Après le Mali, la Guinée et le Burkina, elle doit trouver le juste milieu et redistribuer les rôles. En son sein, ces rôles sont souvent mal distribués.

Lorsque, le 26 juillet dernier, surviennent les évènements à Niamey avec l’avènement du Cnsp, le Président béninois se rend à Abuja chez son homologue nigérian Bola Tinubu, président en exercice de la Cédéao. Ils évoquent la nouvelle situation qui vient s’ajouter à trois casse-têtes déjà existants pour l’organisation sous-régionale que sont le Mali, le Burkina Faso et la Guinée. Le président béninois n’est pas à Abuja pour rien : le 9 juillet, soit près de trois semaines auparavant, à Bissau, il a été désigné pour se rendre auprès des pays en transition pour évaluer les différents processus devant aboutir à un retour à l’ordre constitutionnel.

Lors de ce voyage à Abuja, Patrice Talon a évoqué la situation au Niger qui devenait du coup sa quatrième affaire à gérer pour la Cédéao et son nouveau président en exercice. Et dans la foulée, il a été annoncé à Niamey pour parler avec les nouvelles autorités. Ces dernières, selon bien de sources, n’auraient pas accepté de le recevoir. Depuis lors, plus de Talon annoncé nulle part. Ni à Bamako, ni à Ouagadougou et Conakry encore moins à Niamey.

Que se passe-t-il au sein de la Cédéao, dont l’ultimatum annoncé a expiré et n’a laissé sortir aucune fumée noire encore moins un coup de pétard. La Cédéao qui risque de se décrédibiliser sur cet énième dossier chaud court inexorablement vers sa dislocation sinon vers une mue forcée au profit d’une nouvelle tendance géostratégique en marche dans le monde. Nous n’en sommes pas encore là pour ne pas être des oiseaux de mauvais augure pour notre si chère organisation.

Pour répondre à la question ci-dessus posée, à savoir que se passe-t-il au sein de la Cédéao, il faut s’appesantir sur trois détails qui paraissent anodins.

DIFFICULTES A TROUVER UN PRESIDENT.

En principe, au sommet de Bissau, la présidence de la Conférence des Chefs d’Etats devait revenir à un pays francophone après le mandat du premier lusophone de l’histoire à cette charge, à savoir le Bissau guinéen Umaru Embalo Sissoco qui a succédé à l’anglophone Nana Akuffo Ado du Ghana, lui-même ayant pris le relais du francophone Mahamadou Issoufou du Niger (Nigeria-Togo-Libéria-Sénégal ont présidé avant dans l’ordre ascendant). Et alors pourquoi pas un francophone cette fois ? Elle n’est pas expliquée mais tentons de le faire. Sur quinze membres, la Cédéao compte cinq (5) anglophones, deux (2) lusophones et huit francophones (Mali, Burkina Faso, Guinée Conakry, Sénégal, RCI, Niger, Benin, Togo). Les trois premiers étant suspendus, seuls cinq (5) peuvent prétendre au fauteuil. Pour succéder à Embalo, ce dernier lui-même le voulait. Mais ses pairs ont vite vu ses limites à asseoir un leadership. Pire, si cela a échappé aux uns et aux autres, le Bissau guinéen a pu se rendre dans les pays en transition, excepté le Mali où visiblement il a dû essuyer un niet catégorique.

 

Alors à notre humble avis, les Chefs d’Etats ont eu du mal à trouver un remplaçant car le principal dossier chaud, à savoir le Mali, a fini par éprouver, sinon lessiver les dirigeants à cause de l’intransigeance des autorités de Bamako qui ont démontré leur résilience face aux sanctions et autres directives de l’organisation. Les dirigeants ivoirien et nigérien devaient être les moins «chauds» car ayant directement eu à se frotter aux autorités de Bamako. Le Togolais, qui a pu réussir une médiation dans l’affaire des 49 soldats ivoiriens, ne devait pas avoir une quelconque envie de revenir entacher ce crédit obtenu auprès de ses cadets maliens. Le Sénégalais, qui a eu des contacts directs avec Bamako lorsqu’il était président en exercice de l’U.a, a eu une bonne occasion de jauger les dirigeants maliens et surtout doit jouer la prudence en tant que grand voisin et partenaire commercial du Mali. Quid du Benin ? Son président a sûrement voulu jouer à la prudence et ne pas monter en première ligne. Et pour d’autres raisons que nous verrons plus en bas. Le lusophone Cap vert est d’ordinaire pacifique et ne veut pas se retrouver dans des feux allumés sur les côtes, loin de ses îles.

Il faut alors se tourner vers le bloc anglophone.

Le Ghanéen, éprouvé également lors de sa présidence qui est encore très fraiche dans les mémoires, a une crise économique aigue à gérer.  Le Nigeria a un président tout fraîchement élu. Les «petits» pays anglophones et côtiers que sont Libéria, Gambie et Libéria semblent ne pas vouloir faire le pompier dans le bourbier sahélien. Il faut pourtant un président et un bon pompier, qui sache allier carotte et bâton devant des pays de plus en plus «rebelles» que sont le Mali, le Burkina Faso et la Guinée. Le point d’orgue de cette rébellion, et chose qui a aussi semblé échapper à bien d’observateurs, a été le «refus coordonné» des trois pays de recevoir les différents envoyés spéciaux dédiés et qui devaient venir faire le point des processus lors du sommet à Bissau. Ce sera d’ailleurs relevé dans le communiqué final. Alors tout le monde s’est tourné vers Bola Ahmed Tinubu. A notre avis il a été choisi par défaut.

TINUBU, LE GEANT «BLEU».

A peine arrivé au pouvoir, Bola Ahmed Tinubu, investi le 29 mai 2023, est porté à la tête de la Cédéao lors du sommet de Bissau le 9 juillet suivant. Comme décrit ci-dessus, la Cédéao aurait bien pu se passer de donner la gestion de ses dossiers chauds à quelqu’un qui vient juste de rejoindre le club des Chefs d’Etats, fût-il le président de l’Etat le plus puissant. C’est le grand «bleu». Dans ce genre d’affaire, on se dit qu’il doit trouver du temps pour s’imprégner des dossiers domestiques avant de s’occuper de l’international. Mais il y a le feu à la maison Cédéao et toutes les solutions sont sur la table. C’est pourquoi il ne faudrait pas écarter l’implication d’acteurs extra-régionaux comme la France (et ses alliés) dans le choix du dirigeant nigérian. Bien naïf celui qui pense que nos dirigeants décident ce genre d’affaires, seuls. Les connivences avec les puissances occidentales sont établies ; les récentes sorties du président français dans le dossier malien et qui annonçait par anticipation des décisions de l’organisation ouest-africaine, ont fini par convaincre plus d’un.  A la décharge des Chefs d’Etats, on dirait que le monde est interconnecté et imbriqué jusque sur les affaires nationales ou régionales, comme la lutte contre le terrorisme l’atteste.

Il faut se souvenir qu’entre son investiture le 29 mai et le sommet de Bissau le 9 juillet, le nouveau leader nigérian a consacré sa première sortie internationale hors Afrique, non pas aux Usa, encore moins la Royaume Uni mais à la France. Même si ce n’était pas du bilatéral puisque c’était à l’occasion du sommet sur le Nouveau pacte financier mondial. Pourquoi ne pas penser que la France a fait d’une pierre deux coups, en profitant de ce sommet pour mettre le Nigérian en selle pour la présidence de la Cédéao ? Les grands pays ont cette science du dosage des agendas. Le contexte aidant est que la pression de la lutte antiterroriste, l’influence des pays en gouvernance militaire comme le Mali et le Burkina Faso mettent de plus en plus le curseur de l’implosion sur le Niger, refuge des dispositifs français et européen (une grande partie de l’Otan) évincé des deux pays voisins. Avec le bâton du géant Nigeria, les «turbulents» peuvent entendre raison, s’est-on sûrement dit à l’Elysée et au Quai d’Orsay. C’est par défaut donc que Tinubu a été mis devant, comme le parfait gendarme (qui ne doit pas devenir un simple épouvantail) aidé du poids économique et militaire de son pays. Était-ce suffisant dans le nouveau contexte géostratégique au Sahel ?

PATRICE TALON, LE RETOUR EN CLASSE DU « BUISSONNIER ».

Pour encadrer le «bleu», on l’a fait entourer de trois Chefs d’Etats, à savoir Mohamed Bazoum, Embalo Sissoco et Patrice Talon. Lors d’un mini-sommet le 18 juillet à Abuja, Patrice Talon est mis en avant et aidé à peaufiner sa feuille de route de nouveau médiateur : aller prêcher la bonne parole démocratique et anti-putsch auprès de Bamako, Conakry et Ouagadougou. L’histoire s’est accélérée à partir du 26 juillet avec les événements de Niamey, amenant à s’interroger si le nouveau médiateur ne s’est pas vite embourbé dans les sables mouvants du Niger avant même de commencer sa mission. Car dans la foulée, il revient voir le nouveau président en exercice à Abuja, sort une déclaration pas trop bien reçue par les nouvelles autorités nigériennes.   «Je crois que tous les moyens seront utilisés au besoin pour que l’ordre constitutionnel soit rétabli au Niger», a lancé Patrice Talon aux côtés du président du Nigeria, Bola Tinubu.

Sait-on seulement ce qui a poussé le dirigeant béninois à se retrouver dans les arcanes de la médiation au sein de la Cédéao ? En sept ans de présidence, Talon n’a pourtant pas participé a plus de cinq sommets, laissant lors de son premier mandat toute la latitude à son ancien chef de la diplomatie, Aurélien Agbenonci de le représenter, au prix même d’un incident diplomatique, une fois à Accra, lorsque le grand absent Talon, enfin décidé à participer, a été pris pour son ministre. Le journal béninois la Nouvelle Tribune n’hésitait pas à dire de lui en 2017 qu’il était un «mauvais élève de l’Onu, de l’U.a et de la Cédéao…qui déposait sa marque, celle d’un président égocentrique qui privilégie ses affaires familiales et personnelles aux grandes préoccupations continentales».

A notre avis, le regain d’intérêt pour Patrice Talon répond à des raisons objectives de sécurité du pays qui a connu sa première attaque terroriste le 2 décembre 2021 dans un contexte où l’on parlait déjà d’une possible expansion de ce péril dans le golfe de Guinée. Cela devait suffire pour voir le Benin intégrer le club des pays touchés et donc appelés à former un front commun. D’autres raisons plus économiques comme l’accord pétrolier avec le Niger pour la construction d’un pipeline, le port de Cotonou principal ouverture sur la mer, peuvent inciter le président à être plus participatif pour préserver les intérêts de son pays. Autre raison à son bénéfice, sa ligne assez conciliante avec les options de partenariat en matière de coopération militaire opérée par le Mali et le Burkina Faso, comme il l’a fait ressortir dans plusieurs sorties médiatiques.

Voilà un dirigeant qui préférait rester loin des banquets de ses homologues de la Cédéao et qui entre de si mauvaise manière dans la danse. Sa mission au Mali, au Burkina et en Guinée aura-t-elle lieu avec le nouvel épisode nigérien qui ne finit pas de donner le tournis à l’organisation sous-régionale, risquant d’enfoncer davantage cette dernière dans un désamour sans fin avec les nouvelles autorités militaires et les opinions publiques. La Cédéao, face au procès d’être à la solde des puissances occidentales, a-t-elle les moyens et le temps de se raviser et de marcher dans le sens de l’histoire, celle de la Cédéao des peuples tant souhaitée ? Osons croire que le recours au Sultan de Sokoto dans les négociations, la prudence du sénat nigérian (la chambre qui regroupe les légitimités sociales et traditionnelles) à donner son quitus à son Chef d’Etat pour engager des troupes sur le théâtre nigérien sont des signes avant-coureurs d’une Cédéao qui entame sa mue même lente, à partir de la base.

Alassane Souleymane, journaliste

Le Challenger

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