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Carlos Lopes : « Je reste convaincu que l’Eco ne verra pas le jour en 2020 »

Carlos Lopes, ancien Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (UNECA), actuellement à la manœuvre dans la refonte des relations entre l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA), revient sur l’intégration régionale pour laquelle l’aide au développement serait tout simplement devenue anachronique.

 

La Tribune Afrique – En juillet dernier, vous avez été nommé Haut représentant de l’UA dans le cadre des négociations pour des accords renouvelés avec l’UE. Quelle analyse faites-vous des relations euro-africaines qui reposent encore largement sur l’aide au développement ?

Carlos Lopes – Bien que l’aide au développement se réduise quelque peu (-4% des aides publiques au développement vers l’Afrique en 2018 selon l’OCDE, NDLR), cette situation est le fruit d’une longue tradition. L’Afrique a besoin de transformations structurelles et l’aide au développement n’est pas la solution appropriée. Nous avons besoin d’un nouveau paradigme, c’est la raison pour laquelle la relation avec la Chine a pris autant d’importance, car elle accompagne concrètement cette transformation.

L’UE demeure le principal partenaire en matière de commerce et d’investissements, mais lorsque l’on analyse les tendances lourdes et que l’on étudie la situation « de pays à pays », la Chine est de loin, le principal partenaire des pays africains. Le commerce entre l’Afrique et la Chine a triplé sur les 15 dernières années alors qu’il s’affaiblit peu à peu avec l’Europe. Il en va de même au niveau des investissements chinois en plein essor, face à la décroissance des investissements européens. Si la situation perdure, il faudra peu de temps avant que les investissements chinois en Afrique ne dépassent ceux de l’UE. Il est temps pour les Européens de se réveiller pour renouveler la relation qu’ils entretiennent avec l’Afrique et dépasser le cadre de l’aide au développement.

Selon vous, la politique africaine du président Emmanuel Macron représente-t-elle une véritable rupture avec celles de ses prédécesseurs ?

Pour l’instant, les résultats ne sont pas encore là. Il n’y a pas de changement radical de politique commerciale observé. Le président Emmanuel Macron a développé un nouveau discours et envisage probablement une nouvelle méthode, mais on attend les résultats concrets surtout au niveau de l’industrialisation et de la transformation structurelle.

Face à l’UE et à la Chine, comment se positionnent les Etats-Unis et quels sont les résultats de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) ?

Les préoccupations des Etats-Unis autour de l’Afrique se concentrent surtout autour de la présence chinoise qui y étend son influence géopolitique.

L’AGOA adoptée en 2000 permet certaines facilités, mais elles peuvent être interrompues à n’importe quel moment. C’est volontaire, il n’y a aucune obligation sur la durée or, les investisseurs ont besoin de garanties sur du long terme pour investir dans une usine ou dans des infrastructures lourdes. A défaut de garanties suffisantes, ils n’investissent pas ! Si vous disposez de concessions commerciales qui permettent d’importer à taux 0 pendant 5 ans aux Etats-Unis et que vous ignorez ce qu’il adviendra durant la 6e année, le risque est trop grand. L’AGOA n’a donc pas produit les résultats escomptés. Seuls les pays qui étaient déjà dotés d’industries ont pu en bénéficier, mais il n’y a pas eu d’effet d’entraînement.

Actuellement, le commerce intra-africain représente peu ou prou 20 % des échanges. Concrètement que peut attendre l’Afrique de la Zleca (Zone de libre-échange continentale) à court et moyen termes ?

La Zleca a obtenu l’adhésion de la majorité des pays africains, soit 54 des 55 pays africains, c’est-à-dire tous, sauf l’Erythrée. L’accord a été ratifié par 27 pays, et ce, dans des délais très courts si l’on compare avec d’autres accords commerciaux de même portée. Cela ferme un cycle de doutes relatifs à la volonté politique. Néanmoins, il reste un travail technique très lourd à mener. Nous en sommes aux discussions sur les barrières non tarifaires, sur les règles relatives au commerce et aux services et il nous faut introduire toutes les discussions concernant la propriété intellectuelle… Cela prendra encore plusieurs années avant d’obtenir un accord définitif.

Aujourd’hui, l’harmonisation tarifaire est bien avancée et le système de paiement et de compensation de paiement va entrer rapidement en vigueur, ce qui permettra d’utiliser les monnaies africaines pour les changes plutôt que d’utiliser d’autres monnaies étrangères pour commercer en Afrique. Enfin, l’Afrique peut commencer dès à présent à négocier d’une même voix.

Vous semblez optimiste sur l’opérationnalisation de la Zleca et beaucoup moins concernant l’Eco, la monnaie unique de la zone CEDEAO…

Je reste convaincu que l’Eco ne verra pas le jour en 2020, comme cela a été annoncé, car les conditions techniques ne sont pas réunies. Un certain nombre de convergences et de politiques macroéconomiques ne sont toujours pas mises en place en Afrique occidentale pour lancer cette monnaie. En attendant, le débat sur le franc CFA va se poursuivre… Il faut absolument réformer le franc CFA et le fruit est mûr. Certaines caractéristiques ne font pas sens pour la promotion de la transformation et pour l’intégration africaine. Il nous faut utiliser les réserves des pays de la zone franc de façon plus efficace. Le fameux compte d’opération donne certes, un certain nombre de garanties pour la couverture des transactions, via la Banque de France et à travers elle, via la Banque européenne, mais avec des taux d’intérêt aussi bas, ce n’est pas dans l’intérêt des pays de cette zone. Il faut que cela change afin que la politique monétaire devienne un véritable instrument de politique économique.

Quel regard portez-vous sur les débats entre l’Europe et l’Afrique concernant les questions migratoires ?

Ouvrir des négociations de « continent à continent » avec l’UE est l’une des priorités de l’Union africaine. La question doit être abordée d’une manière singulièrement différente, de façon à ce que soit respecté le principe de mobilité humaine, et ce, dans l’intérêt de tous. Nous disposons aujourd’hui d’une sorte de « fourre-tout » d’arrangements qui ne résout pas la question. Il faut également éviter d’hystériser le débat. N’oublions pas que les migrations africaines se réalisent essentiellement sur le continent [d’après les indicateurs des Nations Unies, sur les 258 millions de migrants répertoriés dans le monde, les Africains ne représentent que 36 millions dont 80% restent sur le continent; NDLR]. Il faut arrêter de penser qu’il y a une fuite des migrants hors d’Afrique.

Le climat est également l’une des priorités inscrites à l’agenda de l’UA. De quelle manière abordez-vous ce défi ?

L’Afrique a longtemps été considérée comme une victime sur cette question. Il est vrai que nous souffrons d’une forme d’injustice climatique, car nous sommes particulièrement impactés par les effets des Gaz à effets de serre (GES) alors que nous en émettons beaucoup moins que les autres continents.

Il faut transformer le rôle de l’Afrique dans ces débats, car elle peut être actrice en matière de solution climatique. Pour ce faire, nous devons notamment nous engager sur la voie d’une industrialisation verte et optimiser les ressources de l’économie bleue à travers la plateforme maritime dont nous disposons et qui est la plus étendue de tous les continents. Il est temps de sortir l’Afrique de cette vision paternaliste sur le climat.

La Tribune.fr

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