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Cameroun : ce qu’il faut comprendre de la crise anglophone

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Pourquoi le Cameroun anglophone se sent-il si mal dans l’État unitaire ? Hier comme aujourd’hui, les ressorts des soubresauts se répètent. Pour les mêmes raisons ?

De violents affrontements ont opposé les forces de sécurité et les sécessionnistes des régions anglophones du Cameroun, notamment à Buea, chef-lieu du Sud-Ouest, et Bamenda, chef-lieu du Nord-Ouest, ce 1er octobre 2017, date anniversaire de la réunification du pays (votée par référendum un 11 février 1961). Le bilan est lourd. Il fait état d’une quinzaine de morts, selon les sources officielles et plusieurs blessés. Contre l’avis des autorités administratives, les manifestants ont envahi les rues pour proclamer l’indépendance d’une hypothétique République indépendante de l’« Ambazonie » (en référence à la baie d’Ambas, signalée sur les cartes des navigateurs qui sillonnèrent la région aux XVIe et XVIIe siècles). C’est le nom de l’État que les séparatistes anglophones veulent créer dans le sud-ouest du pays, reconnaissable par sa bannière composée de bandes bleu et blanc, et ornée tout en haut à gauche d’une colombe blanche. Bien loin donc des festivités des députés de Yaoundé, la capitale politique du pays, où l’on célébrait le 56e anniversaire de la réunification des parties anglophone et francophone du Cameroun. Mais pas de fête nationale, pas de fête de l’unité nationale ni d’indépendance. Une date et deux visions du monde qui semble a priori irréconciliable. Mais est-ce que, pour autant, il y aura un avant et un après 1er octobre ? Au-delà de la question linguistique, les problèmes sont bien plus profonds entre anglophonie identitaire et besoins des territoires. Que faut-il retenir de cette nouvelle résurgence de la crise anglophone ? Le poids de l’histoire peut-il tout justifier ?

Une épine dans le pied de Yaoundé nommée « crise anglophone »

Depuis novembre 2016, la minorité anglophone, c’est-à-dire 20 % des 22 millions de Camerounais, proteste contre sa « marginalisation », dans la société. Selon Lucas Lang, prêtre religieux à Yaoundé , cité par l’AFP : « La revendication des séparatistes traduit un sentiment historique de marginalisation par le gouvernement central de Paul Biya qui ne prend pas en compte les desiderata des anglophones et les excluent des organes de décision et surtout du système éducatif et judiciaire. » Pourtant le Cameroun est un pays bilingue, où les mêmes droits sont garantis par la Consitution pour les anglophones et les francophones.

Réagissant sur les événements du 1er octobre sur les réseaux sociaux, le président camerounais Paul Biya, a condamné, « de façon énergique tous les actes de violence, d’où qu’ils viennent, quels qu’en soient les auteurs » et appelant au « dialogue ».

La crise a pris une ampleur inédite ces dernières semaines après une coupure d’Internet de trois mois environ entre février et avril 2017. Ce qui a décidé les anglophones à amplifier leur mouvement avec la ferme volonté de proclamer symboliquement l’indépendance des régions anglophones. Mais le pouvoir central a d’abord usé de la menace et plusieurs leaders ont été emprisonnés (même si quelques-uns ont recouvré la liberté, à la suite d’une décision présidentielle). Mais à force de présenter les manifestants comme des quasi-terroristes, les autorités de Yaoundé n’ont fait que renforcer le camp indépendantiste. Et, finalement, la preuve que le palais d’Étoudi n’a pas de réelle réponse démocratique à ce sentiment national. Avec l’atonie du gouvernement à répondre à certaines revendications souvent légitimes, les anglophones ont lancé leur propre agenda.

Alors qu’est-ce que la « crise anglophone » ou le « problème anglophone » ?

Ex-colonie allemande, le Cameroun a été divisé par la Société des nations (SDN, ancêtre de l’ONU) après la Première Guerre mondiale : une partie sous tutelle française et une autre, proche du Nigeria, sous mandat britannique dénommé le Cameroun du Sud. En 1960, le Cameroun sous tutelle français accède à l’indépendance. Un an après, une partie des anglophones décident par référendum de rester dans le giron du Cameroun, mais insistent pour conserver les systèmes juridique et éducatif hérités de la Grande-Bretagne. Le fédéralisme est alors instauré entre 1961 et 1972, mais le président Ahmadou Ahidjo proclame la République unie en 1972. Depuis, l’anglophonie identitaire a émergé à travers le Cameroon Action Group vers la fin des années 1970 et le début des années 1980. Un mouvement social basé sur une rhétorique de la dramatisation de la condition des anglophones en opposition à un État jugé comme le remplaçant du pouvoir colonial. Cette stratégie s’est accompagnée d’une diabolisation systématique des francophones. Ce qui explique en partie pourquoi les revendications sont restées dans les territoires concernés. Entre 1995 et 1996, ce qui n’était qu’un mouvement social a pris un tour plus politique avec le Southern Cameroons National Council (SCNC), dont les positions sécessionnistes ont toujours été claires. L’objectif étant de préserver la spécificité anglophone en la dotant de garanties institutionnelles et constitutionnelles.

Plus tard, la nouvelle modification constitutionnelle introduite en 1984 par le président Paul Biya (en poste depuis 1982) entérine le retour à la dénomination « République du Cameroun » abandonnant le terme « unie ». Ce qui finit par convaincre les anglophones qu’ils sont bel et bien volontairement marginalisés. Depuis 1996, la décentralisation n’a pas été réalisée. En plus de ces enjeux politiques, le conflit prend un tournant économique aux allures de bras de fer autour des gisements pétrolifères lancés en 1977. L’idée des anglophones avait été d’assurer une partie de la gestion des richesses pétrolières (production, vente, recrutement de la main-d’œuvre, redistribution des profits…) avec la mise en place d’une commission indépendante pour veiller au partage équitable. Mais il n’en a rien été.

Et aujourd’hui ?

Comme dans les années 1990, plusieurs tendances s’affrontent parmi les anglophones qu’on aurait tort de regarder comme un ensemble uniforme allant dans le même sens. Certains exigent le retour au fédéralisme. Cela a été longtemps le cas du leader politique anglophone et candidat à plusieurs élections présidentielles, John Frun Ndi le fondateur du SDF. D’autres veulent la partition, coûte que coûte.

Mais l’élément nouveau, c’est que le gouvernement présente désormais les sécessionnistes comme des « terroristes ». S’appuyant sur le fait qu’au mois d’août, des séparatistes anglophones ont annoncé via les réseaux sociaux la constitution d’un groupe armé indépendantiste. Si ces manifestants devaient être jugés selon la controversée nouvelle loi antiterroriste adoptée après les attaques commises par Boko Haram dans l’extrême-nord, ils pourraient être condamnés à mort.

Ainsi, avertissait il y a quelques mois l’ancien ministre de l’Éducation David Abouem à Tchoyi : « Boko Haram a trouvé des appuis à l’extérieur. N’attendons pas que des compatriotes mal à l’aise et qui crient leur mal-être en viennent un jour, par désespoir, à rechercher des appuis à l’extérieur », écrivait-il dans une longue tribune qui lui a valu une nomination au sein de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme.

De nombreuses études, des articles, des points de vue jalonnent l’histoire de ce conflit qui ne date pas d’aujourd’hui. Seulement, s’ils attestent toujours de la disparité de traitements entre anglophones et francophones, aucun d’eux n’abonde dans le sens d’une partition pure et simple du pays. C’est que la question est complexe, et les exemples de sécessions réussies sont rares et en Afrique et dans le monde.

Publié le 02/10/2017 à 19:37 | Le Point Afrique

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