REPORTAGE. Si le nord et l’est du pays sont les zones les plus touchées par les attaques, le Sud, encore relativement préservé, n’en est pas moins inquiet. Par notre envoyée spéciale à Ouagadougou, Jane Roussel
« Tout le monde descend, contrôles d’identité », annonce une voix dans le bus qui relie Ouagadougou à Pô, dans la province sud-est du Burkina Faso. Un par un, les passagers s’entretiennent avec un militaire armé jusqu’aux dents, avant de regagner leur place. Pourquoi la police s’inquiète-t-elle de connaître l’identité de voyageurs à l’intérieur du pays ? « C’est à cause des terroristes », explique Georges Ouedraogo, guide touristique de la région de Pô. Il continue : « Avant, les militaires montaient occasionnellement dans le bus pour vérifier les voyageurs. Mais depuis que la situation est instable, les contrôles ont été renforcés. »
Plus de check-points sur les routes
Pourtant, la région n’est officiellement pas touchée par les attaques djihadistes qui secouent essentiellement le nord et l’est du pays. Georges ne cesse de répéter qu’on ne craint rien en allant chez lui, que les terroristes ne sont pas là… Au moment d’entrer dans la forêt, qui fait partie de la réserve de Nazinga, le bus s’arrête à nouveau. Des militaires montent à bord. Et Georges de préciser : « Ils sont là au cas où. » Traduire par : au cas où les terroristes seraient au rendez-vous, cachés dans la brousse.
Alors, là ou pas là ? Danger ou pas danger ? La vérité, « c’est qu’on ne sait pas où ils sont, ni combien ils sont », explique une représentante du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Elle vit à Ouagadougou depuis un an et demi, travaille à accueillir les réfugiés maliens au Nord. Ses déplacements sur les aires d’accueil de cette zone ont été considérablement réduits pour des raisons de sécurité, mais sur son temps libre, elle se déplace souvent vers le Sud. Le parc Nazinga, « on n’y va plus, on ne sait pas sur qui on peut tomber », commente-t-elle. Avant d’expliquer : « Il se dit que les terroristes se cachent sous les arbres, avec les animaux. De cette façon, ils sont protégés. Vous pensez bien qu’on ne va pas bombarder les réserves naturelles du pays ! »
Deux régions, deux mondes, deux réalités
Le flou règne, les informations sont vagues, « l’État ne nous donne aucun conseil, à nous les guides », s’étonne Georges. Le site de la diplomatie française renseigne mieux, en notant le niveau de danger des zones avec des couleurs. Il est catégorique : nous n’irons pas voir les éléphants de Nazinga. Il n’y emmène plus aucun touriste, et c’est pourtant le cœur de son activité : « Les excursions dans la brousse, c’est fini. »
En juillet dernier, deux militaires ont été tués dans le parc du côté de Guiaro. Rien n’a été revendiqué, l’armée est restée discrète, mais le bruit court qu’il s’agirait d’un affrontement avec des terroristes. Même les régions encore relativement épargnées par le terrorisme vivent dans cet entre-deux qui mêle confiance et une dose d’« on ne sait jamais ». « Bien sûr qu’il y a une menace terroriste » même à Tiébélé, explique Ahmed Drabo, professeur de lettres. Il vient du nord du pays, aux alentours de Djibo, dans le secteur où les attaques sont les plus virulentes. Il n’y vit plus depuis 2005, muté pour un poste dans le Nahouri. L’homme d’une cinquantaine d’années est tiraillé entre deux Burkina. Celui de sa région natale où une partie de sa famille vit encore « encerclée par le djihad », et sa région d’adoption, calme, autour de Pô à la frontière ghanéenne.
Les deux cultures sont radicalement différentes. « Le Nord est délaissé par le gouvernement, sans projets de développement. L’école publique est minoritaire face à l’école coranique. Les villages sont dirigés par des leaders communautaires. La jeunesse est analphabète, la pauvreté omniprésente… Tous ces facteurs rendent le secteur fragile, », explique Ahmed. Contre quelques billets, les jeunes Burkinabés sont des proies faciles pour l’embrigadement, précise-t-il. Dans le Sud, tout est différent, bien plus développé. Mais, « maintenant, en allant boire son Nescafé, on se méfie tous, on évite de dire certaines choses ».
Vivre ensemble malgré le terrorisme
Pour l’instant, ce n’est que de la prudence. Selon l’homme de lettres, il y a bien une légère méfiance qui s’est installée à l’égard de la religion musulmane. « On sait bien que djihad et islam n’ont rien à voir ! » se défend-il, avant de préciser que cela n’a pas donné lieu à un amalgame généralisé. Pas trop de tensions, donc.
Globalement, tous disent que les religions cohabitent bien dans le sud du pays. Animistes, catholiques et musulmans sont mélangés dans la famille de Georges. Ils se voient tous les jours, rien n’a changé depuis que les attentats secouent le pays. De son côté à lui ? Parfois, il prie Dieu pour que l’électricité revienne, mais à part ça, ne croit en rien. Le vivre-ensemble semble se maintenir.
Au-delà des questions de religion, la politique tout simplement
Dans l’Opel Astra qui transporte neuf passagers (le compte est bon, il faut rentabiliser le déplacement) de Pô à Tiébélé, les confessions religieuses sont diverses. Après un nouveau checkpoint militaire, la discussion s’engage sur les attaques. Chacun y va de son opinion, mais le résumé est le suivant : le djihad au Burkina serait le résultat d’une guerre politique entre l’ancien président Blaise Compaoré, réfugié à Abidjan après les émeutes en 2014, et le nouveau président Roch Marc Christian Kaboré, élu en 2015. La théorie est la même sur toutes les lèvres : par vengeance, l’ex-chef d’État missionnerait des troupes djihadistes pour créer un climat d’insécurité au Burkina et condamner le mandat de son successeur. Georges se désole : « Le pauvre homme n’arrive pas à faire avancer le Burkina depuis son élection tant le pays est instable. »
Même discours chez Mohammed Ouedraogo, cousin de Georges et homme d’affaires ouagalais. « Les terroristes connaissent le terrain grâce à leur histoire avec Blaise. C’était leur médiateur », dit-il. Il est moins compréhensif avec Roch Marc Christian Kaboré, ex-premier ministre de Compaoré, qu’il met dans le même sac que son prédécesseur. À table, Souleymane Ouattara renchérit : « La preuve, avant 2015, pendant les 27 ans de Compaoré au pouvoir, il n’y avait pas d’attentats. Il est copain avec les terroristes. On les croisait dans Ouagadougou ». Riche exploitant de mines d’or à Tiébélé, il a vécu dans le nord du pays et réside désormais dans la capitale.
Des comportements qui changent
À part quelques mesures de précautions et davantage de checkpoints, le quotidien ne change pas tellement dans la zone de Tiébélé. Le secteur économique qui rappelle au quotidien que la menace existe ? Les transports. « L’Est, je n’y mets plus les pieds », s’exclame Ahmed entre deux bouchées de son plat. En novembre 2018, un bus en direction de l’Est aurait été arrêté par des hommes habillés en militaires. « Contrôle d’identité, tout le monde descend », classique. Les cartes vérifiées, les hommes armés auraient mis les fonctionnaires d’un côté, les paysans de l’autre. « Ils ont fusillé sur place tous ceux qui travaillaient avec l’État », raconte Ahmed. Le problème qu’il souligne ici ? Sur les papiers d’identité burkinabés est renseignée la profession. Il termine : « Je suis allé voir la police récemment, je veux retirer le mot « professeur » de ma carte. Je voudrais me déclarer comme vendeur de poulets. Mais la police a refusé ». Solution, il a arrêté d’aller se balader dans l’Est. On ne sait jamais sur qui on peut tomber.
Le Point.fr