Après avoir passé 10 ans (2007-2017) en attente du paiement de leurs droits qui s’élèvent à 8 milliards Fcfa, les ex-travailleurs de Huicoma (954 personnes) dont des veuves ayant perdu leur mari ex employé de l’Huicoma ont déménagé depuis le 5 janvier 2017 dans la cour de la Bourse du travail avec bagages, nattes et ustensiles de cuisine. Ils dorment à la belle étoile. Et ils ne comptent pas quitter les lieux sans la satisfaction de leurs revendications.
Faisant la genèse de leur problème, Dramane Dicko (ex-conducteur à l’usine Huicoma et non moins président du Collectif des ex-travailleurs d’Huicoma) a laissé entendre qu’ils sont à la Bourse du travail pour la revendication des droits des ex-travailleurs d’Huicoma qui datent de 2007. “Nous étions là en 2010. Nous n’avons rien reçu. Cela fait dix ans que nous réclamons nos droits sans satisfaction. L’Etat n’a pas voulu honorer ses engagements. Donc, nous étions obligés d’appeler les ex-travailleurs d’Huicoma de Kita, Bamako, Koutiala pour qu’on se rencontre à la Bourse du travail afin de revendiquer nos droits. Et nous nous sommes donné une devise : nous ne quitterons pas la Bourse du travail sans nos droits. Soit nous mourrons tous ici, soit ils nous remettent dans nos droits selon le plan social qui fait suite à la vente d’Huicoma à Alou Tomota. Nous sommes en set-in ici à la Bourse du travail jusqu’à la satisfaction de nos droits. Nous ne quitterons pas la Bourse du travail sans nos droits. Nous sommes décidés à mourir ici tant que nous n’aurons pas nos droits. Nous sommes 954 travailleurs mis dans la rue sans préavis de licenciement. Et ceux qui sont en setting à la Bourse du travail varient entre 300 à 400 personnes”, nous a confié M. Dicko.
“Le Mali n’est pas un pays de droit”
Pour Dramane Dicko, leur interlocuteur est l’Untm. C’est cette raison qui les pousse à venir à la Bourse du Travail dont les responsables se sont mis en œuvre pour acheminer leurs doléances aux autorités compétentes.
“Depuis que nous avons commencé à camper à la Bourse du travail, le secrétaire général de l’Untm, Yacouba Katilé, nous a pris en charge. Il ne s’est pas donné un temps de répit pour chercher la solution à nos problèmes. Il est en train de lutter sans réserve pour nous afin que cette situation soit décantée. Mais jusqu’à présent, les autorités n’ont pas réagi. Car pour nous, la réaction des autorités, c’est le paiement de nos droits qui s’élèvent à 8 milliards Fcfa. Et nous ne quitterons pas tant que nous n’avons pas nos droits en main. Cela est le leitmotiv de tous les travailleurs qui campent à la Bourse du travail”, a insisté Dramane Dicko.
Il demande à ses camarades patience et persévérance. “Ces deux mots sont nos indicateurs qui nous permettent de rester jusqu’à la satisfaction de nos revendications, disons jusqu’à notre sortie du tunnel. Il est dit que le Mali est un Etat de droit. Dans un Etat de droit, le droit des travailleurs licenciés ne devrait pas être en berne. Le droit du travail leur étant sacré, il doit être payé immédiatement. Nous, nous attendons nos droits depuis 10 ans.
Dix ans de réclamation dans un pays de droit, ce n’est plus un pays de droit. Le Mali n’est pas un pays de droit. Au nom des ex-travailleurs d’Huicoma, je demande aux autorités de diligenter le paiement de nos droits le plus vite possible pour que tous ceux qui sont dans la misère à la Bourse du travail, tous ceux qui sont en train de braver le vent, le froid, les moustiques, puissent rentrer dignement chez eux, dans leur famille. La non réaction des autorités nous fait mal, nous enlève notre fierté d’être Malien et notre fierté qu’on avait pour le Mali. Nous enlève aussi notre dignité d’être Malien”, a-t-il dit à l’endroit des autorités maliennes qui tardent à réagir à la souffrance de 954 personnes dont les enfants sont prêts à venir marcher à Bamako pour la satisfaction des droits de leurs parents.
“Avec notre problème, le Mali n’est pas l’abri d’une implosion et d’une explosion. Cela n’est pas notre souhait. Mais que les autorités nous mettent dans nos droits pour que tout le monde soit tranquille. Sinon, les autorités ne seront pas tranquilles et nous aussi nous ne serons pas tranquilles car nous continuerons à lutter pour nos droits. Si Huicoma était au Nord, cela trouverait que le problème a été résolu avec les armes. Ce sont des monstres qui sont en train de dévorer les ex-travailleurs d’Huicoma”, a conclu Dramane Coulibaly.
Huicoma a été vendue sans reçu, sans virement
Selon Alou Coulibaly, ex-commercial d’Huicoma, le cas d’Huicoma doit constituer un cas d’école pour les autorités maliennes : privatiser une société qui a été vendue à un national qui est Alou Tomota sans aucun moyen légal de paiement. A ses dires, Huicoma a été vendue sans reçu, sans virement, sans chèque, sans traite à avaliser.“Comment cela a-t-il pu se faire ? “, s’est-il interrogé, avant d’ajouter : “Et nous ne comprenons pas comment Huicoma a été vendue. Ils se sont approprié Huicoma. Les autorités nous ont fait croire qu’elle a été cédée. Cela est faux, parce qu’il n’y a aucun moyen légal de paiement qu’un Malien ait vu soit au niveau du Trésor ou au niveau des Finances. Donc, pour nous, les autorités de l’époque se sont approprié Huicoma à travers Tomota. Et nous avons été victimes du renvoi systématique de 954 travailleurs qui ont été mis dans la rue en une année” s’est-il lamenté. Il ajoute : “Les travailleurs n’ont jamais été impliqués dans cette privatisation d’Huicoma. Les travailleurs voulaient même contribuer au paiement des salaires avec un quota qui sera enlevé des parts des travailleurs pour qu’ils deviennent actionnaires dans la société. On nous a refusé cela. Non seulement on nous l’a refusé, mais on ne nous a pas offert un plan social, alors que nous avons une part dans le capital d’Huicoma. Et l’Etat n’a jamais réclamé cette part des travailleurs. Et Tomota garde encore la part des travailleurs qui sont en train de mourir dans la misère. Cela veut dire que les autorités étaient prêtes à liquider les travailleurs, les faire mourir. Et beaucoup de nos camarades sont aujourd’hui décédés dans des conditions déplorables. Leurs veuves sont là avec nous à la Bourse du travail. Nous sommes dans la galère. Au Mali, on parle de la lutte contre la pauvreté. C’est bien. Le licenciement des travailleurs est venu agrandir la pauvreté. Mettre 954 travailleurs dans la rue avec leurs familles, voyez ce que cela peut faire. Nous sommes venus agrandir le rang des chômeurs. Si Huicoma marchait aujourd’hui, cela pouvait donner de l’emploi à plus de 500 jeunes. Avec Huicoma, la relève était assurée. Et puis on parle de création d’emplois. Cela n’est pas vrai. On ne peut pas renvoyer 954 travailleurs et parler de création d’emplois pour les jeunes. Nous invitons les autorités maliennes à ne plus refaire ce qui s’est passé à Huicoma et qu’il y ait un redressement de cette situation qui a trop duré. C’est vraiment dommage. Que les autorités fassent beaucoup attention”, a-t-il déclaré amer.
Pour Seydou Diallo, ex-chef du personnel d’Huicoma, les autorités, un beau matin, se sont levés pour renvoyer tous les travailleurs de l’Huicoma sans préavis, sans leurs droits. “Dans les autres pays, quand il y a privatisation, les travailleurs sont accompagnés “, a-t-il dit, avant d’ajouter que la privatisation d’Huicoma a créé beaucoup de dégâts pour l’Etat, pour les collectivités et pour les Maliens.
Blessé dans l’âme, Seyni Coulibaly, le représentant des ex-travailleurs d’Huicoma de Koulikoro a demandé aux autorités de payer leurs droits avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’ils ne perdent la vie. “Nous ne savons plus à quel Saint nous vouer. Nous n’avons plus de vie de famille, nos enfants ne vont plus à l’école à cause de la pauvreté. A cause de Dieu, que les autorités nous paient nos droits. Les autorités doivent penser aux enfants des travailleurs qui ont perdu la vie dans l’incendie de l’Huicoma à Koutiala”, a-t-il rappelé. Siaka Doumbia
La Cafo rend visite aux grévistes :
“Nous ne sommes ni une société civile vendue ni une société civile au service de qui que ce soit” dixit Oumou Touré
Elles n’étaient pas venues les mains vides. Ils ont apporté aux manifestants du thé, du sucre et une enveloppe symbolique. A leurs dires, la Cafo, en tant que membre de la société civile, ne pouvait rester insensible à cette situation qui interpelle tous les Maliens et qui n’a que trop duré. “La Cafo a toujours été associée à la réunion des ex-travailleurs d’Huicoma. Nous les accompagnons dans leur démarche à travers l’Untm dont nous sommes membres. Nous avons toujours demandé l’apaisement car cette crise ne peut pas se résoudre dans la violence. Nous ne pouvons rester en marge de leur sit-in. C’est pour cette raison que nous sommes venues les voir”, a dit Bintou Diallo. Pour Oumou Touré (présidente nationale de la Cafo), aucune mère ne peut rester insensible à la situation des ex-travailleurs d’Huicoma qui est un cas social. Car, a-t-elle dit, la famille d’un père de famille en chômage se disloque, ses enfants ne vont pas à l’école. “Aucune femme ne voudra que son mari résolve son problème dans la violence. C’est pour cette raison que nous appelons les ex-travailleurs à l’apaisement, au calme avant la résolution du problème. Parce que personne ne sait la finalité de la violence. Nous les femmes, nous ne voulons pas rester éternellement des veuves. Pour la recherche des solutions à leurs problèmes, la Cafo est avec l’Untm sur le front social pour le bien-être de tous ceux qui sont dans le besoin. Nous voulons que les problèmes se résolvent dans le dialogue” a-t-elle affirmé.
Elle précisera ensuite : “Nous ne sommes pas habilitées à négocier à la place des syndicats, mais chaque fois qu’il s’agit du social, du bien-être des Maliens, nous sommes mandatées par nos bases, nous ne sommes pas mandatées par le gouvernement. Donc, quand il s’agit du social, nous nous engageons. Nous ne sommes ni une société civile vendue, ni une société civile au service de qui que ce soit. Nous sommes une société civile très responsable. Les ex-travailleurs d’Huicoma revendiquent depuis 10 ans, le jour de la vérité viendra. C’est la mort dans l’âme que nous sommes venues les voir pour leur apporter notre soutien moral. Nous prenons l’engagement d’aller voir qui de droit pour la résolution de leur problème. Nous avons la tristesse dans l’âme de voir ces hommes et ces femmes camper dans la cour de la Bourse du travail. Nous prions Dieu pour que leur problème se résolve à la satisfaction de tout le monde”.
Siaka DOUMBIA
Source: Aujourd’hui-Mali