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Bounty: l’ONU charge Barkhane

Le 3 janvier 2021, une frappe aérienne a été menée près du village de Bounty dans le contexte d’une opération militaire liée aux conflits armés en cours au Mali. A la suite de cette frappe, de nombreuses sources ont fait état de nombreuses victimes civiles et dommages collatéraux. En réponse à ces allégations, la Force Barkhane, l’État-major français des Armées, le Ministère malien de la Défense et des Anciens Combattants, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), la FIDH/AMDH ainsi que des associations communautaires ont publié des communiqués rapportant des éléments divergents et contradictoires sur cette frappe.

 

De la nature du rassemblement
Au terme de l’enquête et des éléments recueillis, la MINUSMA est en mesure de conclure qu’une célébration de mariage s’est tenue le 3 janvier 2021, à proximité immédiate du village de Bounty (équidistant à 1 km du village et des hameaux de culture). Cet évènement a fait suite à la cérémonie religieuse du mariage qui a eu lieu la veille, le 2 janvier 2021 au soir, à Gana, village d’origine de la mariée, situé à 7 km au nord de Bounty.
Selon les informations collectées et l’analyse menée par les chargés des droits de l’homme, les convives étaient pour la majorité des civils, habitants de Bounty, y compris ceux qui habitent les hameaux de culture se trouvant dans les environs de ce village. La célébration a rassemblé environ une centaine de personnes, le 3 janvier 2021 entre 9h00 et 15h00 dans la zone semi-arborée. Ce lieu n’était pas usuellement utilisé pour les mariages. Il a été proposé par certains membres de la famille du marié, selon des témoins. Ces derniers ont expliqué que la zone semi-arborée, située à 1 km équidistant des habitations et des hameaux de culture était en effet plus adaptée aux conditions climatiques et au nombre de convives.
Au vu des traditions locales, les hommes et les femmes sont séparés lors de ces célébrations. Au moment de la frappe, les femmes, les filles et les enfants en bas âge étaient réunis au niveau des hameaux de culture, autour de la cuisine, et préparaient le repas de mariage. Par conséquent, le rassemblement, exclusivement composé d’hommes et d’adolescents était réparti par âge et affinités en sept groupes, espacés de quelques dizaines de mètres chacun. Il n’y avait notamment ni musique, ni danse, ni signes extérieurs et manifestes festifs.
La MINUSMA a pu établir la présence le jour de l’évènement de cinq (5) individus armés dont au moins un portait son arme de façon visible. Arrivés dans le village à bord de trois (3) motos dans la matinée du 3 janvier en provenance d’un autre lieu, ces cinq individus armés appartiendraient à la Katiba Serma selon les éléments recueillis lors de l’enquête.
La MINUSMA a conclu que le rassemblement consistait en une célébration de mariage qui a réuni une centaine de personnes, en majorité des civils habitant Bounty, à l’exception des cinq présumés membres de la Katiba Serma.
Des circonstances de la
frappe aérienne
La prière a été observée collectivement entre 13h30 et 14h00 par tous les hommes présents, sur le lieu même de la célébration, puis les participants à la prière sont retournés à leur place. La frappe aérienne de Barkhane est survenue vers 15h00.
L’équipe de la mission d’établissement des faits s’est rendue sur place pour procéder à des constations et relevés. Elle a pu constater qu’une vaste surface présentait des stigmates de calcination sur plusieurs centaines de mètres entre les coordonnées N 15°13’27.777 O 002°35’ 16.39’ (extrémité ouest de la zone brûlée) et N 15°13’26.34’ et O 002°35’24.26’ (extrémité est de la zone brûlée) (Voir photos 1 et 2). Les effets incendiaires sont extérieurement visibles sur la végétation rase et les arbustes mais peu présents au cœur de ces derniers dont certains présentaient des résultantes d’un effet de souffle important (arbres partiellement pliés et troncs arrachés par exemple).
A une vingtaine de mètres, en périphérie sud de cette zone, l’équipe a pu constater la présence d’une surface terreuse meuble jouxtant par l’est un amas important de branchages épineux maintenus par de grosses pierres sur le pourtour de sa base et des pièces métalliques diverses sur son sommet. Ladite zone mesure approximativement dans sa totalité 27 mètres d’est en ouest, sur 18,60 mètres du nord au sud. (Voir photo 4 et 5). Selon les témoignages recueillis par l’équipe, vers 17h00, les villageois ont en effet enfoui les restes des corps ainsi que les dépouilles des personnes tuées dans une fosse creusée par l’un des impacts . Ils ont alors pu identifier les individus tués, dont certains à partir de signes distinctifs.
L’équipe a aussi relevé la présence de quelques fragments métalliques portant des inscriptions partielles faisant mention de l’usage d’un système de guidage ou de l’utilisation de la pièce dont est issu ledit fragment pour un usage sur MK-82 (Voir photos 6, 7, 8 et 9). Par ailleurs, il y avait peu de vestiges d’objets d’utilisation courante humaine sur au moins plusieurs dizaines de mètres autour de ce point.
Enfin, au vu de l’analyse de la scène par la police scientifique et des éléments recueillis, la MINUSMA n’a pas conclu à la présence de carcasses de motos brûlées, ni d’armes qui auraient été détruites, ni à des douilles ou des munitions.
Bilan humain de la frappe
La MINUSMA a recueilli des informations permettant d’affirmer qu’au moins 22 personnes ont été tuées par la frappe de la Force Barkhane survenue le 3 janvier 2021 à Bounty.
Dix-neuf (19) personnes ont été tuées au moment de la frappe. Parmi ces 19 personnes figuraient seize (16) civils et trois (3) des cinq (5) personnes armées qui appartiendraient à la Katiba Serma. Selon les témoignages recueillis, les deux autres individus armés auraient quitté le lieu du rassemblement avant la frappe.
Trois (3) autres civils ont succombé à leurs blessures au cours de leur transfèrement pour des soins d’urgence ; ce qui fait un bilan total de 22 personnes tuées dans cette frappe.
Aucune femme ni aucun enfant ne figure parmi les victimes. Les personnes décédées ainsi que les blessés étaient tous des hommes âgés de 23 à 71 ans dont la majorité habitait le village de Bounty.
Une source crédible s’est exclamée lors de l’entretien avec l’équipe de l’enquête en ses termes, : « tout ceci nous est arrivé à cause de la présence de cet homme qui avait son arme ».
Quant aux personnes blessées, on en compte au moins huit (8) civils qui ont nécessité des soins d’urgence selon MSF qui a facilité leur prise en charge. Elles ont été transférées à Kikara, à Douentza et à Sévaré entre le 3 et le 4 janvier 2021.
L’équipe a rencontré sept (7) de ces derniers et s’est assurée de leurs identités. Il s’agit d’hommes présentant des blessures dues à des traumatismes ou des plaies au niveau du dos, des cuisses et du pied qui, selon les sources médicales, ont été notamment causés par des fragments attribués aux explosions. Un blessé a subi l’amputation de deux doigts et un autre a eu une fracture ouverte au niveau d’une cuisse.
L’un des blessés transférés à Sévaré et son accompagnateur ont été arrêtés par la Gendarmerie de Sévaré, le 15 janvier 2021 et transférés par la suite au Pôle judiciaire spécialisé de lutte le terrorisme à Bamako avant d’être libérés le 3 février 2021 par le Procureur pour « absence d’indices sérieux quant à leur appartenance à un groupe terroriste ».
Le 4 janvier 2021, le centre de santé de Douentza en coordination avec MSF a organisé le transfert de trois (3) blessés dont l’état nécessitait une prise en charge à l’hôpital de Sévaré. Un véhicule de MSF, dont les logos étaient visibles, est parti de Douentza vers lOhOO par la route de Bandiagara avec à son bord un chauffeur, un aide-soignant, les trois blessés et un accompagnateur. Après moins de 15 minutes de trajet, le véhicule a été intercepté à un poste de contrôle tenu par des éléments armés appartenant au groupe armé Dan Na Ambassagou . Ceux-ci ont fait descendre tous les passagers qu’ils ont retenu jusque vers 16h00. L’un des blessés a succombé à ses blessures dans ces circonstances.
Recommandations
A la lumière des conclusions de la mission d’établissement des faits, la MINUSMA recommande aux autorités maliennes et françaises :
-de mener une enquête indépendante et transparente afin d’examiner les circonstances de la frappe et son impact sur la population civile de Bounty ;
-d’examiner de manière approfondie les processus de mise en œuvre des précautions lors de la préparation d’une frappe ainsi que des critères utilisés pour déterminer la nature militaire de l’objectif aux fins de l’application du principe de distinction y compris l’appartenance à un groupe armé à la lumière de cet incident et à y apporter des modifications si nécessaires.
-d’enquêter sur les possibles violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme et d’établir les différentes responsabilités ;
-d’octroyer le cas échéant une réparation appropriée aux victimes et aux membres de leurs familles.

Sources : Rapport de l’ONU Avec INFO-MATIN

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