Comment exfiltrer le blé ukrainien retenu dans le port d’Odessa ? Malgré le voyage à Moscou du président de l’Union africaine, les discussions patinent.
Plus les jours passent et moins le déblocage du port d’Odessa et des céréales ukrainiennes qui y sont stockées semble à portée de main. Pour l’heure, les efforts louables de l’ONU afin de trouver des solutions ne portent pas leurs fruits, pas plus que la médiation turque. Il faudrait un minimum de confiance entre les belligérants ; la méfiance est partout et on peut le comprendre… C’est dans ce contexte que le président Macron s’est entretenu, jeudi, avec Volodymyr Zelensky et, ce vendredi 10 mai, avec le président sénégalais Macky Sall, de retour de Moscou, où il a plaidé auprès de Vladimir Poutine la cause des Africains menacés de famine.
Emmanuel Macron se rendra mardi en Roumanie, sur la base française de l’Otan, où 500 soldats français sont massés. Le mercredi, il poursuivra son voyage en Moldavie à l’invitation de la présidente Maia Sandu afin d’afficher le soutien de la France vis-à-vis de ce petit pays menacé. Contrairement à une information de presse, un voyage à Kiev n’est pas encore clairement programmé à ce stade.
Méfiance réciproque
Si, officiellement, le président Poutine dit ne pas voir d’inconvénient à libérer le blé des énormes stocks du port d’Odessa (22 millions de tonnes), il pose pour l’instant des conditions « inacceptables », selon une source élyséenne. Poutine veut pouvoir s’assurer que les bateaux commerciaux qui entreraient dans le port d’Odessa pour charger les céréales n’en profitent pas pour livrer des armes aux Ukrainiens. Mais le principe d’inspections russes dans les eaux territoriales ukrainiennes est rejeté au nom de la souveraineté, tant par l’Ukraine que par les alliés. En revanche, les inspections pourraient être effectuées par des agents de l’ONU qui joueraient ici les tiers de confiance.
Plusieurs autres problèmes ont été évoqués entre Macky Sall, Emmanuel Macron et le président Zelensky : d’abord, le déminage du port d’Odessa par les Ukrainiens ou du moins une cartographie des mines de manière que les vraquiers évitent les explosifs. Si le port d’Odessa est déminé, il ne faudrait pas non plus que les Russes en profitent pour porter une attaque sur des Ukrainiens dès lors à découvert… Zelensky peut-il vraiment faire confiance à Poutine, lequel refuse de négocier avec lui et le traite toujours de nazi ? La réponse est dans la question.
Poutine propose des « corridors de sécurité » pour le blé ukrainien
D’ailleurs, le président russe a proposé un autre chemin tout aussi douteux. « Il a également proposé d’autres schémas qui n’intéressent peut-être pas l’Ukraine, comme le passage par le Danube ou la Biélorussie et même par Marioupol, où Poutine s’est là aussi engagé à mettre en place des corridors sécurisés », a révélé Macky Sall dans un entretien au Figaro.
De toute façon, il faut trouver les bateaux qui oseront s’y aventurer. Pour l’instant, « ils ne sont pas disponibles », indique l’Élysée, qui souligne aussi la difficulté à trouver des compagnies d’assurance prêtes à prendre le risque d’assurer les navires transporteurs dans cette zone de guerre. Enfin, si par une heureuse conjonction, tous les obstacles précédents étaient levés, il faudrait aussi s’assurer que le blé extrait d’Odessa ne soit pas vendu aux plus offrants, mais bien aux populations les plus exposées aux pénuries et à des prix abordables. « Ça, c’est le sens de l’Initiative FARM (Food and Agriculture Resilience Mission), que nous avons lancée en marge de la réunion du G7 et du sommet de l’Otan. […] Sur ces points, Macky Sall était tout à fait réceptif, indique-t-on à l’Élysée. Ce qui intéresse le président Macron dans ses contacts avec les uns et les autres, c’est de poser les bases d’une action commune qui réponde aux besoins de chacun à la fois en termes de sécurité et en termes de solidarité internationale pour pouvoir gérer les effets de cette crise. »
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Guerre des récits
Le blé, et plus globalement la sécurité alimentaire, est aussi un enjeu de « storytelling » et un moyen de pression sur l’Union européenne exercé par le président Poutine, lequel conditionne l’exportation des céréales ukrainiennes à la levée des sanctions à l’encontre de son pays. Inacceptable, pour les alliés occidentaux. Cela dit, Poutine trouve chez les Africains des oreilles sensibles à ses arguments, à commencer par Macky Sall lui-même. « Je lui ai aussi dit que nous discuterions avec nos partenaires qui ont pris les sanctions pour que l’on puisse, sur le volet céréales et fertilisants, lever ces sanctions », confie le président sénégalais à nos confrères du Figaro.
« Ce n’est pas vrai que les sanctions empêchent l’exportation des céréales à partir d’Odessa », rétorque-t-on à l’Élysée. Lors du dernier Conseil européen, l’Union européenne avait déjà rappelé qu’elle n’a pas sanctionné les produits alimentaires ou les fertilisants russes. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, n’avait pas pris mille détours pour exprimer son exaspération : « Nous devrions répéter encore et encore ceci : la Russie ne bloque pas seulement les exportations de blé ukrainien, elle bombarde délibérément les entrepôts où le blé est stocké et elle mine les champs où l’Ukraine pourrait obtenir la prochaine récolte de maïs. Je veux être très claire : nous n’avons pas pris de sanction sur l’alimentation et les produits agricoles. Une autre chose importante : si l’on parle de fertilisants, les pays tiers ont accès à tous les fertilisants provenant de Russie. »
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Le blé ukrainien au sommet du G7 d’Elmau
Il est vrai, en revanche, que l’UE a sanctionné la potasse et le chlorure de potassium de Biélorussie, l’un des trois principaux engrais chimiques utilisés dans les engrais commerciaux (avec l’azote et le phosphate). La Biélorussie oui, mais pas la Russie.
Toutefois, le président Macky Sall affirme que les sanctions européennes sur le système bancaire russe posent des problèmes de paiements des céréales russes… Les Européens ont promis, lors du dernier Conseil européen, de prendre en compte cette problématique. « La guerre est à l’origine des problèmes, mais les sanctions les ont aggravés », conclut Macky Sall, qui essaie de ne pas entrer dans la guerre des récits entre Occidentaux et Russes. […] Nous ne demandons pas d’aide car nous payons. Ce que nous demandons, c’est un mécanisme, comme pour le gaz et le pétrole, pour que nous puissions recevoir les produits dont nous avons besoin. » Le sujet sera l’un des thèmes principaux du sommet du G7 au Château d’Elmau (sous présidence allemande), du 26 au 28, auquel le président Macky Sall est convié.
Source: lepoint.fr