L’ancien membre du groupe jihadiste Anar-eddine, Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed, sera jugé par la Cour pénale internationale (CPI). La Cour pénal international a confirmé les charges retenues contre lui, mais pour le moment, aucune date n’a été annoncée pour l’ouverture de son procès à la Haye. Accusé de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis à Tombouctou, pendant l’Occupation du nord du Mali par les groupes jihadistes entre Avril 2012 et Janvier 2013, plusieurs organisations et associations des droits des femmes et des enfant attendent de pied ferme ce jour pour témoigner contre Al Hassan : « Il faut qu’il paye », lance-t-on.
Abdoulaziz Al-Hassan, commissaire de la police islamique de Tombouctou en 2012, est poursuivi par la CPI et est accusé d’avoir mis en place une politique de viols, tortures et mariages forcés qui a réduit les femmes à l’état d’esclaves sexuelles. C’était dans l’enceinte d’une ancienne banque transformée en commissariat islamique que des femmes de Tombouctou ont été parquées par dizaines. Enfermées de longs jours dans cette prison de fortune, elles ont été régulièrement violées pour avoir manqué aux règles imposées par les djihadistes. Les associations de défense des droits humains parlent même de « viols systématiques » pendant l’occupation de cette région reculée du nord du Mali, en 2012, par les groupes armés Ansar Dine et Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
Sept ans après les faits, la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé l’ouverture prochaine du procès de l’ancien commissaire de la police islamique de Tombouctou, le Touareg malien Abdoulaziz Al-Hassan. Lundi 30 septembre, les juges de la CPI ont confirmé les charges de « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » à son encontre. Entre autres, il est accusé d’avoir mis en place une politique de viols, tortures et mariages forcés qui a réduit les femmes de la ville à l’état d’esclaves sexuelles.
« Celles qui ne s’étaient pas bien couvertes, celles qu’on voyait en compagnie d’un homme qui n’était pas leur mari, celles qui étaient prises en train de faire le commerce des produits de beauté… Toutes ces femmes étaient arrêtées, battues et envoyées à la prison pour femmes. Et dans cette prison, elles étaient violées », explique Bintou Samaké, la présidente de l’association Wildaf (Women in Law & Development in Africa) à nos confrères du ‘’Le Monde’’. Elle fournit du soutien aux femmes victimes de violences.
Mariama* se souvient de sa colère contre les groupes djihadistes arrivés à Tombouctou, qui bouleversaient son quotidien par leur violence et leurs règles arbitraires. « Il n’y avait pas de divertissements, pas de loisirs, pas d’éducation », raconte la jeune femme, alors âgée de 15 ans. Un jour qu’elle part chercher de l’eau, elle décide d’ignorer ces règles et sort tête nue. C’est une course rapide, elle espère passer inaperçue. Mais les extrémistes l’arrêtent et la traînent au commissariat islamique. Pendant son emprisonnement de quarante-huit heures, deux gardes l’emmènent dans une pièce reculée, où elle est violée. « Lorsqu’ils ont fini, ils m’ont demandé de m’habiller. Je n’avais même pas la capacité de me lever », raconte-t-elle tout bas. A son retour dans la maison familiale, elle ne dit rien de ce qu’elle vient de subir.
A Tombouctou, beaucoup ont aussi été forcées au mariage pour « récompenser » les soldats du djihad et autoriser des relations sexuelles « dans le respect de la religion », selon la procureure de la CPI, Fatou Bensouda. Parfois, ces mariages étaient collectifs, les extrémistes se cotisant pour payer une dot à plusieurs. Une fois la nuit tombée, l’époux officiel laissait place à d’autres qui, tour à tour, abusaient de leur « femme », racontent les enquêteurs qui se sont rendus sur place. Dans certains cas, les mariages forcés ne duraient que quelques heures et, aussitôt consommés, se concluaient par un divorce.
En 2012 et 2013, Wildaf a recensé 173 femmes victimes de violences sexuelles et dont les séquelles physiques, psychologiques ou les grossesses résultant des viols auraient nécessité une assistance immédiate. Mais le vrai nombre des victimes, selon les associations, serait de plusieurs milliers. La plupart se sont tues pendant des semaines, des mois voire des années, de peur d’être mises à l’écart et blâmées par leurs familles. Des années plus tard, les langues se délient peu à peu, dans l’espoir que justice soit rendue.
Après l’arrivée de ceux qu’elle appelle « les occupants », Ada*, alors âgée de 20 ans, est restée terrée dans sa maison. Finalement sortie faire des courses pour sa famille, elle est fouettée en plein marché pour n’avoir pas porté de voile. Elle doit utiliser l’argent des courses pour acheter de quoi se couvrir. Puis, après une autre visite au marché, elle reçoit deux demandes en mariage, qu’elle refuse. La troisième demande n’en est plus une. « Ils sont venus de force, parce que c’est la loi du plus fort », se souvient-elle. Amenée dans une nouvelle maison avec le mari qu’elle n’a pas choisi, enfermée pendant deux semaines, elle est violée tous les soirs. Puis, un matin, le djihadiste divorce et se remarie aussi vite. « Ça m’a encore déchirée de l’intérieur », dit-elle, meurtrie à l’idée qu’une autre femme vive son calvaire.
Ada n’a plus revu son bourreau, qui a quitté la ville au moment de l’intervention des forces françaises pour libérer le nord du Mali du joug des extrémistes, en janvier 2013. Beaucoup d’autres n’ont pas eu cette chance : aucun homme n’a été inculpé pour les viols commis pendant l’occupation de Tombouctou ; victimes et agresseurs se croisent régulièrement dans les quartiers centraux de cette cité de 50 000 habitants.
Très peu de femmes ont reçu une assistance médicale ou psychologique. La Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR), mise en place par le gouvernement malien pour enquêter sur les crimes de guerre commis depuis l’indépendance, ne dispose que d’un seul psychologue, basé à Bamako, pour assister des milliers de personnes affectées, déplore-t-on. Le procès d’Al-Hassan est le premier à entendre des victimes de ces crimes. Au Mali, deux plaintes collectives de victimes de violences sexuelles, déposées en 2014 et 2015, n’ont jamais abouti après que les juges chargés d’enquêter ont quitté le nord du pays pour garantir leur propre sécurité.
Malgré un accord de paix signé à Alger en 2015, les femmes du nord n’ont pas connu de répit. L’année dernière, Alioune Tine, expert indépendant sur la situation des droits humains au Mali, déclarait : « Aucune femme ne peut monter dans un bus entre Gao et Bamako sans risque de violence physique ou sexuelle. » A mesure que les violences contre les civils se déplacent vers le centre du pays, les viols se multiplient.
Ce vendredi 27 septembre 2019, le Premier ministre Boubou Cissé a présidé une délégation de la Commission d’Enquête Internationale pour le Mali conduite par Mme Lena Sundh, présidente de la Commission.
Pour rappel, la Commission a pour mandat de :
– enquêter sur les allégations d’abus et de violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, y compris les allégations de violence sexuelle liée au conflit, commis sur tout le territoire du Mali entre le 1er janvier 2012 et le 23 janvier 2018;
– établir les faits et les circonstances de la perpétration de ces abus et violations, y compris ceux qui pourraient constituer des crimes internationaux, et d’identifier les auteurs présumés de ces abus et violations ;
– présenter au Secrétaire général un rapport écrit sur ses enquêtes, conclusions et recommandations aux fins de la lutte contre l’impunité, au regard des abus et violations identifiés.
Par Sidi DAO