Dans ce petit pays de 11 millions d’habitants, chaque année depuis 1993, une fête nationale célèbre ce culte.
Djehami, la reine d’Alladauand les zangbétos dansent en tournant rapidement, la poussière s’élève de terre. Ils cherchent alors à effleurer l’assistance puis à l’éloigner, comme on repousse un danger. Ce sont les « gardiens de la nuit », des divinités masquées qui, du soir au matin, veillent sur la sécurité et le bien-être de tous. Ils se mettent à danser dès que le jour se lève. Pendant la fête vaudou, ils arborent le masque de raphia, de couleur rose et paille, constitué de tissus végétaux extraits des palmiers. Lorsqu’ils courent, leur danse fascine et effraie les enfants qui fuient en criant de peur et de joie. Alors que ces divinités virevoltantes se donnent en spectacle, la voix de la reine d’Allada résonne sur la place. Djehami Kpodégbé Kwin-Epo adresse un message de bienvenue au public venu assister à la 21e édition du Festival du vaudou. A Allada, une petite ville à quelques encablures de Cotonou, la capitale économique, et de Porto-Novo (la capitale), la fête débute le 9 janvier, veille de la journée officielle du culte vaudou. A peu de kilomètres du palais royal, en sortant de la ville, dans un petit bois proche d’une esplanade de terre, les gens se réunissent pour l’écouter et participer à la fête.
La religion vaudoue a été diabolisée
« Nous sommes ici pour célébrer la religion vaudoue et affirmer qu’elle n’a rien à voir avec le fétichisme ou le satanisme, déclare une voix fière résonnant dans les enceintes. C’est la religion de toute l’Afrique, celle de nos aïeux, et nous nous devons de ne pas la perdre. » Djehami est devenue la reine d’Allada en épousant, il y a vingt-deux ans, le roi Kpodégbé Tyi Djigla. Sur le trône depuis 1992, le monarque et son épouse jouent un rôle spirituel et moral, un titre hérité d’une longue lignée de rois, dont Béhanzin, le plus illustre, était une figure de la lutte anticolonialiste. Aujourd’hui, si ces têtes couronnées ne jouent aucun rôle politique ou administratif, elles tiennent une place symbolique, particulièrement au moment des cérémonies vaudoues où est célébré le culte des ancêtres.
La reine préside l’Association des reines du Bénin et Afrique Espoir, deux organismes qui s’occupent de l’implication des femmes dans le processus de développement au Bénin et en Afrique. Grande, vêtue d’une robe verte comme la forêt, elle capture l’attention. « Dans le passé, avec la traite des esclaves, l’arrivée des missionnaires et la colonisation, la religion vaudoue a été diabolisée, m’explique la reine. Elle l’est encore aujourd’hui, y compris par les Africains. Cette fête nationale pour le vaudou doit aider la religion à retrouver ses marques dans notre société, renouer avec une forme de mérite et de dignité, être réhabilitée à travers le monde. »
Après le discours de la reine, d’autres intervenants prennent place derrière le micro tandis que se succèdent des numéros de danse. Les chants accompagnent les rites au son des tambours et des gongs, et des chœurs de femmes résonnent depuis le public. Ce kaléidoscope de couleurs et de sons laisse les visiteurs subjugués. Ils sont venus nombreux, et certains de loin. Je ne suis pas la seule « yovo » – ainsi est appelé le Blanc –, équipée d’un appareil photo. Une Afro-Américaine new-yorkaise monte sur l’estrade et prend la parole, au nom, dit-elle, des « Noirs américains dont les ancêtres vivaient dans cette région côtière d’Afrique de l’Ouest avant la période de l’esclavage ».
Impossible de savoir comment l’adepte parvient à se laisser posséder
Une adepte toute de blanc vêtue, portant de nombreux bracelets et colliers colorés, offre des statuettes vaudoues au couple royal, puis se met en transe, hurlant et se contorsionnant alors que les initiés l’aident à tenir debout. Il nous est impossible de savoir comment elle parvient à se laisser posséder. Quels actes faut-il accomplir ? Nous n’en savons rien, ce sont des secrets bien gardés, réservés aux initiés. Ceux qui sont passés par la cérémonie du baptême ont ensuite appris les origines du vaudou, ses nombreux rites et pratiques. Ce n’est qu’après un long cheminement qu’il leur est possible d’entrer en transe, de se laisser habiter par un esprit. Les initiés s’appellent des voudounsi, mais, pendant la transe, ils deviennent vaudous, c’est-à-dire des esprits. Ce moment de paroxysme, d’accomplissement de soi, a lieu entre adeptes. Et, en de rares occasions, ils permettent à des non-initiés d’être présents. C’est l’un des objectifs de cette fête, qui porte les esprits hors de leur temple.
Il nous faudra attendre une journée pour assister à la cérémonie à Ouidah, antique forteresse portugaise, un des principaux carrefours de la traite des esclaves, considérée comme le foyer du culte vaudou. Sur la plage s’élève la « porte du non-retour ». La cérémonie est une allégorie de la mémoire, un rituel destiné à éloigner le présage d’un passé qui ne doit pas revenir. Ce jour-là, une foule est venue des quatre coins du Bénin, des pays voisins, Togo et Nigeria, et d’outre-Atlantique, Haïti, Brésil et Etats-Unis, où perdure le vaudou. Des chèvres sont sacrifiées et on prononce la prière de prospérité. Simultanément, sur une estrade, des discours et des rites parallèles ont lieu sur la plage et entre les palmiers. Accompagnant les battements de mains, des voix s’élèvent pour chanter les louanges de la mer. On porte des chandelles incandescentes et des statues de bois sous un ciel bleu. Basil, un des militaires de garde pendant les festivités, veille à ce que les enfants ne se jettent pas à l’eau. « Après le sacrifice, m’explique-t-il, tout le monde attend que Dagbo Hounoun, le chef spirituel de Ouidah, marche sur les eaux, c’est pour cela que les enfants se sont précipités ici. » Pour les croyants, l’océan représente une autre divinité : Mami Wata, la mère des eaux. Les initiés font des sacrifices en son honneur, afin de lui demander une année prospère.
Le rite vaudou a été formalisé à partir de 1717, mais il était pratiqué avant
Cette fête nationale du vaudou a été instituée officiellement en 1993, après la fin de la République populaire du Bénin, un régime socialiste instauré entre 1974 et 1990. Le président Nicéphore Soglo a mis un terme à des années de répression et d’interdiction des pratiques de cette foi ancestrale. La répression s’est révélée particulièrement dure après le coup d’Etat de 1972, quand le commandant Mathieu Kérékou a déclaré le marxisme-léninisme seule doctrine du Bénin. A partir de la transition démocratique, en 1991, le pays est devenu la seule nation où le vaudou a été reconnu religion officielle, et près de 20 % de la population s’en réclame aujourd’hui. Mais qu’ils soient chrétiens ou musulmans, nombreux sont ceux qui se reconnaissent dans une forme de syncrétisme et pratiquent les rites de leurs ancêtres. L’historien Gabin B. Djimassé, baptisé catholique deux jours après sa naissance, s’est tourné complètement vers le vaudou. Après sa première communion et sa profession de foi, le chercheur est devenu un fidèle, un expert et un guide touristique. « Le rite vaudou a été formalisé à partir de 1717, mais il était pratiqué avant. Depuis qu’existe la force de la nature, que nous n’arrivons pas à maîtriser et dont les règles profondes nous échappent, les peuples l’ont vénérée à travers des éléments physiques auxquels nous assistons et qui s’imposent à nous », explique l’historien.
Sur la plage de Ouidah, des musiciens, des artisans, des danseurs et des commerçants sont venus de loin pour célébrer le vaudou et en faire un moment de joie et de partage. L’occasion de réécrire l’histoire de cette région et de ses peuples, à la culture riche et spirituelle.
Source: parismatch