L’expulsion de l’ambassadeur français au Mali décidée par les autorités de la transition le 31 janvier 2022 a marqué un tournant dans les relations diplomatiques, déjà tendues depuis plusieurs mois, entre Paris et Bamako. Elle a suscité beaucoup de réactions dans l’opinion publique française et obligé l’État français à accélérer sa décision sur l’avenir de son engagement militaire au Mali, où, en plus de Barkhane, la France assume le commandement de la force européenne Takuba. Face à une situation de plus en plus « intenable », Paris et ses partenaires européens envisagent sérieusement un retrait militaire définitif du Mali, tout en restant engagés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.
« Nous devons constater que les conditions de notre intervention, qu’elle soit militaire, économique et politique, sont rendues de plus en plus difficiles. Bref, on ne peut pas rester au Mali à n’importe quel prix », a déclaré la ministre française des Armées, Florence Parly, le 29 janvier, au lendemain d’une réunion de l’Union européenne au cours de laquelle la situation au Mali a été évoquée.
« Nous voulons tous poursuivre ce combat. Nous sommes unis par rapport à cet objectif, il nous faut donc désormais en déterminer les nouvelles conditions », a-t-elle poursuivi, deux jours avant l’expulsion de Joël Meyer, l’ambassadeur français en poste au Mali, considérée par plusieurs candidats à la présidentielle française comme une humiliation.
Il n’en fallait pas plus pour remettre sur la table la question de la présence française au Mali, 9 ans après le début de son intervention, d’abord avec Serval, puis Barkhane. Le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a assuré le 1er février que la situation ne pouvait pas rester en l’état et que d’ici la mi-février la France allait travailler avec ses partenaires pour « voir quelle est l’évolution de notre présence sur place et pour prévoir une adaptation ».
Un débat sera également organisé au Parlement français d’ici la fin de la session en cours, à la fin du mois de février, pour évoquer l’engagement militaire de la France au Mali, a annoncé le 2 février le Premier ministre Jean Castex.
Options
Les options pour Paris vont d’un maintien avec une réorganisation, à un départ définitif ou à un transfert des troupes vers un autre pays du Sahel. « Pour moi, la première option pour la France pourrait être de réduire davantage sa présence au Mali, en laissant seulement quelques détachements à Gao. La deuxième serait de concentrer l’essentiel de ses forces au Niger, notamment dans la région du Gourma, et de continuer à mener des opérations dans la zone des trois frontières, avec les renseignements américain et nigérien, et la coalition des forces du G5 Sahel », avance le Dr. Abdoulaye Tamboura, géopolitologue, qui par ailleurs n’est pas convaincu que la France décidera de quitter définitivement le Mali.
Pour Moussa Djombana, analyste géopolitique et sécuritaire, « l’équation est très complexe pour la partie française qui sans nul doute, si elle devait quitter le Sahel, le ferait malgré elle, la mort dans l’âme ».
« Logiquement, si on s’en tient aux précédentes déclarations du Président Macron, la France doit s’assumer, être conséquente avec elle-même et s’en aller du Mali. Cependant, les intérêts des États n’étant pas à occulter, quitter le Mali reviendrait à abdiquer face à la Russie et à livrer le Mali sur un plateau d’or à Poutine. Pris sous cet angle, vu la rivalité entre l’Europe et la Russie, je vois mal la France et ses alliés européens s’en aller aussi facilement », analyse-t-il.
En revanche, selon Dr. Aly Tounkara, Directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), « il est fort probable qu’on assiste dans les semaines à venir à un retrait définitif de la présence militaire française au Mali et même de la Task Force Takuba ». Pour lui, l’avenir de la France sur le plan militaire au Mali s’inscrit clairement dans le court terme.
Rester au Sahel… mais où ?
Comme l’ont affirmé à plusieurs reprises les autorités françaises, un désengagement français du Sahel, où le pays combat le terrorisme, n’est pas envisagé. La France étudie donc la possibilité de poursuivre la lutte anti-terroriste dans la région depuis un autre pays au cas où elle devrait quitter le Mali.
Le Niger, un pays au cœur du Sahel et dont la gouvernance est stable, apparait comme la destination vers laquelle les troupes françaises pourraient se replier. La ministre française des Armées, Florence Parly, s’y est d’ailleurs rendue le 3 févier pour discuter de l’évolution du dispositif militaire français au Sahel.
« L’opération Barkhane doit être revue de fond en comble et il nous faut probablement nous replier sur le Niger et bâtir un modèle dans lequel nous serons en capacité d’intervenir en cas d’urgence », a suggéré le 3 février l’ancien ministre français de la Défense Hervé Morin. D’après l’état-major français, qui a tenu un débriefing avec des journalistes sur la question, le départ de Barkhane du Mali n’est pas vu comme un problème, puisque la lutte contre les groupes terroristes se poursuivra depuis Niger. Le même précise que la coopération militaire entre les FAMa, Barkhane et Takuba sur le terrain ne reflète pas les tensions diplomatiques. L’armée française a annoncé que du 1er au 6 février, une opération menée par les militaires maliens et Takuba a permis de neutraliser une trentaine de terroristes dans la zone des trois frontières. Toutefois, la tension diplomatique entre les deux pays, les problèmes avec Takuba et aussi la présence sur le terrain de « sociétés privées », confirmée par Vladimir Poutine le 7 février et contredisant ainsi l’affirmation des autorités maliennes, poussent la France à regarder vers le Niger.
« Les hautes autorités nigériennes ayant de bons rapports avec les autorités politiques françaises, un redéploiement de Barkhane sur ce pays est envisageable et pourrait susciter moins de remous qu’au Mali. Il est donc évident que Niamey symbolise la survie et l’avenir de Barkhane au Sahel », pense pour sa part Moussa Djombana.
Pour autant, selon cet analyste, un éventuel redéploiement de Barkhane et de la Task Force Takuba au Niger ne se fera pas sans obstacles. « En général, une partie des opinions publiques est contre la présence militaire française au Sahel. Malgré les bonnes dispositions d’esprit des autorités nigériennes, si l’opinion publique nationale évolue fortement contre ce projet, les dirigeants, pour ne pas prendre de risques, pourraient reculer et opposer une fin de non-recevoir à la poursuite de la mission de Barkhane et Takuba sur le sol nigérien », avise celui qui pointe également des « difficultés matérielles » de redéploiement et un « changement obligatoire dans la stratégie opérationnelle globale » de la mission dans la bande sahélienne.
À côté de l’alternative d’un redéploiement vers le Niger, Dr. Abdoulaye Tamboura pense que la France pourrait également se replier sur certaines bases, notamment dans la région des pays du Golfe de Guinée, en Côte d’Ivoire, au Bénin ou au Sénégal, qui sont également confrontés aux menaces terroristes.
« La France peut essayer de réorganiser ses troupes dans les pays qui font l’objet d’attaques sporadiques de la part des djihadistes. La région du Golfe de Guinée peut constituer aussi une zone stratégique pour elle », indique le géopolitologue, qui relève par ailleurs, dans ce cas, des difficultés logistiques pour mener des opérations dans le Sahel. « L’essentiel de l’effectif de la Force Barkhane va être réparti entre la Côte d’Ivoire et le Niger, deux pays qui restent très fidèles à l’engagement français dans le Sahel. Mais, au-delà de cet engagement, ce sont des intérêts géostratégiques et géopolitiques qui seront préservés », renchérit le Dr. Tounkara.
Takuba, lendemains incertains
L’avenir de la force européenne pilotée par la France et mise en place en 2020 pour l’épauler dans son combat contre le terrorisme au Mali est plus que jamais incertain. Sur demande insistante du gouvernement malien de transition, le Danemark a décidé le 27 janvier dernier de retirer ses troupes, récemment déployées.
« Les militaires au pouvoir ont envoyé un message clair et ont réaffirmé que le Danemark n’était pas le bienvenu au Mali. Nous ne l’acceptons pas et pour cette raison nous avons décidé de rapatrier nos soldats », avait déclaré Jeppe Kofod, le ministre danois des Affaires étrangères, après une réunion au Parlement. Le mardi 1er février, la Norvège a suivi en renonçant à l’envoi d’un contingent militaire qui devait intégrer la force Takuba, faute d’accord avec les autorités maliennes. « À compter d’aujourd’hui, il n’est pas d’actualité d’envoyer une force norvégienne au sein de la force Takuba », a clairement indiqué le ministre norvégien de la Défense.
D’autres pays européens, à l’instar de la Hongrie, du Portugal, de la Roumanie et de la Lituanie, qui seraient dans l’attente d’un feu vert de Bamako pour envoyer leurs contingents, reverraient leur position vu le contexte actuel tendu entre la France et le Mali. L’Allemagne, de son côté, va soumettre la question de l’avenir de son engagement au Mali à son Parlement au mois de mai, a annoncé dans une interview le 2 février la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock.
« L’avenir de la Task Force Takuba est très sombre. Beaucoup de pays contributeurs ont commencé à hésiter, notamment ceux qui ont un mandat en cours d’acceptation. Beaucoup vont clairement décliner l’envoi de leurs troupes », glisse Dr. Aly Tounkara.
« Mais, dans le même temps, il semble que l’approche privilégiée par les autorités maliennes consiste à faire venir d’autre pays contributeurs, qui dépendraient de l’État du Mali et non de la France comme cheffe de file de ces armées partenaires. Ce scénario pourrait faire prendre la mayonnaise, mais dans le long terme. À court terme, dans un esprit de cohérence, les autres pays présents dans la force Takuba pourraient également suivre la France dans son probable retrait définitif du Mali », poursuit-il.
Par ailleurs, selon une source diplomatique, quelles que soient les décisions prises par la France et ses partenaires européens, elles auront un impact sur l’ensemble des missions présentes sur place au Mali, notamment la MINUSMA et la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM). « La France pourrait mettre un frein à l’EUTM, qui est chargée de la formation de nos militaires, dont la présidence est tournante entre les pays de l’UE. Elle pourrait essayer de convaincre ses partenaires pour qu’ils arrêtent la mission, alors que c’est une mission très bénéfique pour nos militaires », craint Dr. Tamboura.
En attendant l’issue des discussions et les prochaines décisions que pourraient prendre la France et ses partenaires sur l’avenir de leur engagement militaire au Mali et au Sahel, l’hypothèse d’un retrait pur et simple de la Force Barkhane et de la Task Force Takuba est sérieusement envisagée, selon des sources proches du dossier.
Les modalités d’un tel retrait sont sur la table des consultations que Paris est en train de mener avec les pays européens et africains engagés dans la lutte contre le terrorisme au Mali et également en discussion au sein de l’état-major de l’armée française.
Le sujet devrait également être évoqué à Bruxelles, lors du sommet Union européenne – Union africaine, prévu les 17 et 18 février 2022, où, selon une source bien introduite, Emanuel Macron pourrait annoncer le retrait de la France du Mali et une adaptation du dispositif militaire.
Source : Journal du Mali