Touches pas à ma constitution ! C’est le mot d’ordre repris comme un refrain, le weekend dernier, de Bamako à Paris en passant par Ségou, Sikasso, Bougouni et Kita, où des centaines de milliers de Maliens se sont mobilisés pour dénoncer la révision de la constitution, initiée par le régime en place.
A Bamako, des milliers de citoyens, malgré une interdiction de la gouverneure ont répondu à l’appel du Mouvement « An tè, A Bana ! » qui a organisé, le samedi 1er juillet, un imposant meeting à l’avenue du cinquantenaire, sis à l’ACI 2000. Occasion pour les manifestants de demander le retrait pur et simple de ce projet de constitution qui octroi des pouvoirs monarchiques au président IBK. Au-delà, les manifestants ont crié leur ras-le-bol face à la gestion calamiteuse du pouvoir qui enfonce chaque jour le Mali dans le chaos. Le même samedi, les populations de Kayes, Sikasso, Ségou, Kita ont battu le pavé pour dire NON à cette révision porteuse de dangers pour l’unité et la cohésion du pays. Pendant ce temps, à Paris, les Maliens ont organisé une grande marche patriotique. A travers ces différentes manifestations, c’est le Mali indigné qui a décidé de se faire entendre et dire NON à la révision constitutionnelle.
A Bamako, les participants, estimés à plusieurs milliers de personnes, ont protesté contre un éventuel référendum sur la modification de la Constitution. La nouvelle mouture octroie des « pouvoirs monarchiques » au président de la République, Ibrahim Boubacar Keita.
Très tôt le matin, des militants et sympathisants du NON ont pris d’assaut l’avenue du Mali, malgré les mesures de restriction orchestrées par les autorités. Comme sous la dictature, Bamako a été placé sous haute surveillance policière. Les forces de sécurité avaient, en effet, fermé certaines voies d’accès au lieu du meeting, les réseaux sociaux, Facebook notamment, étaient coupés et des tentatives d’intimidations. Parmi la foule, on pouvait entendre des slogans tels que «NON au référendum ! », « On est fatigué, le peuple souffre !», ou encore «Carton rouge, IBK ! », «Touches pas à ma Constitution », «NON à la monarchie !». Pour les opposants à cette révision constitutionnelle, persister à organiser un référendum va créer une nouvelle crise. L’entêtement d’IBK à vouloir l’organiser est aussi dénoncé par les manifestants. D’autres soutiennent que le fait de changer une Constitution, unilatéralement et à des fins personnelles, n’est autre qu’un coup d’État. Des chansons engagées d’artistes demandant le retrait pur et simple du texte de révision ont galvanisé la foule. Plusieurs manifestants ont souhaité que le rassemblement du jour marque le début de la révolution pour un changement.
A ce rassemblement, on notait la présence des personnalités comme Mme Sy Kadiatou Sow, présidente de « An tè, A Bana », le chef de file de l’opposition politique, l’honorable Soumaïla Cissé. Il y avait plusieurs autres leaders politiques et associatifs dont Modibo Sidibé des Fare An ka Wuli, Tiébilé Dramé du Parena, Oumar Mariko du Sadi, Soumana Sako de la Cnas Faso Hèrè, Oumar Hamadoun Dicko (PSP), Daba Diawara du PIDS, Djibril Tangara, Amadou Thiam d’Adp-Maliba, Souleymane Koné (Fare), Madou Diallo (Urd) et Fatoumata Sako (Pdes), Dr Bréhima Fomba (Professeur et analyste politique)… De responsables syndicaux, Hamadoun Amion Guindo, président de la confédération syndicale des travailleurs du Mali (Cstm), des représentants du syndicat de la magistrature (Sylima), Aïssata Simpara, présidente de l’association des femmes entrepreneur du Mali… Des leaders d’opinions ainsi que de la société civile comme Mamadou Sissoko « Papman » de Ras-le-bol, Youssouf Ali Bathily (Ras bath) du CDR, Amara Sidibé du mouvement Trop c’est trop, Chouala Bayaya Haïdara, Etienne Fakaba Sissoko… ont également pris part au rassemblement.
La mobilisation des partisans du NON est la preuve de leur détermination à barrer la route à ce qu’ils dénoncent comme un « tripatouillage » de la Constitution. Ils estiment que le nouveau texte se contente de renforcer les pouvoirs du président de la République. Il lui permettrait, en effet, de nommer un tiers des membres du Sénat (créé à cette occasion) et le président de la Cour constitutionnelle (jusque-là choisi par ses pairs).
Que l’Etat fasse son retour à Kidal !
Certains leaders ont pris la parole lors du meeting. Il s’agit de la présidente de « An tè, A Bana », du chef de fil de l’opposition, Soumaïla Cissé, de Soumana Sako de la Cnas Faso Hère, Tiébilé Dramé du Parena, Oumar Mariko du Sadi, Youssouf Ali Bathily (Ras Bath) …
Mme Sy Kadiatou Sow, présidente de « An, tè, A Bana », dès l’entame de ses propos, a réaffirmé la volonté, la détermination de son mouvement à aller au bout du combat pour le retrait pur et simple du texte de révision constitutionnel. Ce, malgré les menaces, les intimidations, les manipulations des autorités. « Le président de la République doit comprendre que ceux d’en face ne sont pas des enfants turbulents, capricieux qu’il faut rappeler à l’ordre en agitant un doigt menaçant. Ceux d’en face sont des femmes et hommes déterminés à assumer pleinement leur citoyenneté. Ni intimidation, ni menace, ni invective, ni mépris et arrogance de certains partisans zélés ne pourront les distraire. C’est un vaste mouvement qui est enclenché et ce mouvement est en marche. Ils disent qu’ils sont en ordre de bataille, évidemment avec les moyens de l’Etat. Nous leur répondons que nous nous sommes en ordre de marche… » assène Mme Sy Kadiatou Sow. Elle a précisé que son mouvement ne reculera pas.
Les critiques ont été encore plus acerbes de la part de Soumaïla Cissé. Pour lui, il est encore temps de stopper la dérive « monarchique », la fuite en avant permanente. « IBK manque de leadership, il est coupé des réalités et isolé dans sa tour d’ivoire, plus prompt à voyager à l’étranger qu’à arpenter le nord du pays. Il n’en fait qu’à sa tête », tacle Soumaïla Cissé. Lequel enfonce le clou : « parler de la révision constitutionnelle comme facteur de paix au Nord du pays est un mensonge. Qu’on arrive à appliquer déjà les résolutions de la conférence d’attente nationale, que l’Etat fasse son retour à Kidal ».
Soumana Sako a déclaré que la dérive quitte la dimension du petit cours d’eau pour devenir un océan. « Mu par le vertige du pouvoir, notre président est devenu sourd à tout. Le nez dans le guidon, il fonce droit devant lui et ne distingue plus rien. Sa boulimie l’emporte», a-t-il clamé. Et de prévenir: s’il persiste dans sa logique, «dès l’annonce de la date du référendum, tout le Mali sera dans la rue». Par ailleurs, il a stigmatisé le timing de l’initiative présidentielle. « Nous trouvons l’initiative inopportune, injustifiée, mal inspirée, anticonstitutionnelle, inutilement coûteuse et dangereuse pour la consolidation et l’épanouissement de la démocratie au Mali. En réalité, la Constitution de 1992 a fait ses preuves. Elle a non seulement survécu au coup d’Etat du 22 mars 2012, mais aussi et surtout, a servi de principal rempart et point de ralliement de toutes les forces républicaines pour faire échec au putsch », a affirmé l’ancien premier ministre Soumana Sako. Pour qui, le referendum ne sert que les intérêts du président IBK. « La motivation essentielle du projet de révision de la Constitution est donc à rechercher ailleurs : la légitimation de l’Accord d’Alger, cet Accord de la démission nationale qui viole la Constitution et prépare le lit politique, juridique et diplomatique de la partition de la République du Mali. Les concessions aux forces antidémocratiques et restauratrices nostalgiques de l’ordre sociopolitique colonial et en quête de remise en cause de la Révolution du 26 mars 1991. Cette révision est un affaiblissement de la souveraineté du Peuple et marque des velléités de mise en place d’une dictature personnelle au service d’un régime ploutocratique annoncé déjà par la loi électorale du 17 octobre 2016 », a lancé le leader de la Cnas Faso Hère.
Le retrait pur et simple…
Ragaillardi par cette mobilisation, le président du Parena, Tiébilé Dramé, a invité les Maliens à la résistance, au combat pour la défense des acquis de la révolution de 1991. Il a demandé le retrait pur et simple du texte pour plusieurs raisons. « Il est issu d’un processus unilatéral, sans concertation, et sans dialogue avec les forces vives du pays. La Constitution qu’on veut réformer est le fruit d’un consensus républicain élaboré en 1991, pendant la conférence nationale. La démocratie malienne est née dans des circonstances particulières. Il y a eu du sang versé dans ce pays. Cette Constitution, encore en vigueur, a été écrite avec le sang des martyrs. On ne peut pas la changer à la hussarde de façon si cavalière. Quand on veut réformer une telle Constitution, un minimum de dialogue préalable est nécessaire», a précisé M. Dramé. En outre, il a affirmé qu’il est impossible d’organiser un tel referendum sur l’ensemble du territoire national. «La région de Kidal est en proie à une guerre civile inter-tribale. L’autorité de l’État ne s’y exerce pas. L’insécurité est quasi-généralisée dans les autres régions du Nord et du Centre. Au moins 500 personnes ont été tuées au Mali depuis le début de l’année. Il y a également une dizaine de personnes détenues en otage. Dans ces conditions, est-il vraiment sage de vouloir faire un référendum, en sachant que dans de nombreuses zones du pays, il ne sera pas possible de battre campagne ni d’organiser le scrutin ? C’est une fuite en avant inqualifiable », tempête Tiébilé Dramé.
Oumar Mariko a exhorté l’assistance à se tenir débout. Debout pour la dignité et la défense de la démocratie. Il a plaidé pour une alternance politique et a critiqué l’opération de révision constitutionnelle. «Ce projet de révision constitutionnelle proposé par le président IBK n’a pas sa raison d’être, le Mali à d’autres priorités que ça. Qu’IBK et son gouvernement se penche sur les priorités qui sont sécuritaires, économiques et autres qu’un projet de révision constitutionnelle qui divise plus les Maliens que de les unir. Si IBK ne veut pas entrer tristement dans l’histoire du Mali qu’il retire ce projet de révision constitutionnelle », a-t-il martelé. Pour l’honorable Mariko, IBK a perdu le contrôle du navire Mali à cause de sa léthargie et est dépassé par les événements. « Le médicament qu’on pourra lui inscrire serait qu’il s’active à offrir des cartes NINA à des Maliens qui n’en n’ont pas et qu’il décide de ne plus se représenter aux élections présidentielles de 2018 ; de ne point soutenir un candidat et d’organiser des élections transparentes et crédibles. En exauçant ce vœu, il pourra entrer par la grande porte dans l’histoire du Mali et c’est ce que les Maliens attendent de lui », affirme t- il.
Dernier orateur, Yousouf Ali Bathily dit Ras Bath a été très ovationné dès qu’il s’est présenté devant la foule. «Il n’ a que les hommes qui ont peur», a-t-il lancé, d’un ton déterminé. «Nous sommes ici pour dire non au référendum constitutionnel et à l’escroquerie politique», a-t-il ajouté. Et s’adressant à la foule, il a clamé: «Le peuple, c’est vous ! Aujourd’hui, c’est votre volonté, vos droits qui sont en jeu.Maintenant, il est temps de se lever pour dire stop à la mauvaise gouvernance, stop aux manipulations et autres achats de conscience Ça suffit ! ».
Ailleurs, des marches ont eu lieu un peu partout à l’intérieur et à l’extérieur du pays, notamment à Kayes, Sikasso, Ségou, Kita, Paris…
Le mouvement « An tè, A Bana ! Touches pas à ma Constitution ! » entend maintenir la pression pour le retrait du projet de révision constitutionnelle, en multipliant les meeting, les marches et les campagnes d’information, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Mémé Sanogo
Source: L’Aube