Ironie de l’histoire : comme pour donner raison à Ras Bath, les autorités ont bloqué l’accès des Maliens aux réseaux sociaux afin d’empêcher toute contestation.
Mercredi, à Bamako, une personne a été tuée et onze autres blessées, dont deux grièvement, alors que des jeunes manifestaient contre l’arrestation du chroniqueur radio Ras Bath. Ils se sont heurtés aux forces de sécurité, selon l’AFP. Au lendemain de ces violents affrontements, les réseaux sociaux ont été coupés et une certaine confusion règne encore dans la capitale bamakoise. Preuve, s’il en fallait une du fossé qui se creuse entre le pouvoir en place et les populations à bout.
Une répression violente
Mais à l’heure du bilan, certains comme le journaliste indépendant à Bamako Baba Ahmed affirment même que plusieurs personnes seraient décédées et que la police a procédé à des tirs de kalachnikov pour disperser les manifestants, en plus des grenades lacrymogènes, sans distinguer les contestataires et les simples passants. Amadou, un habitant de Bamako interrogé par RFI, assure que les jeunes protestaient pacifiquement avant d’être attaqués par les forces de sécurité.
Les autorités judiciaires de Bamako avancent une tout autre version du déroulement des événements : « L’enquête est en cours et d’autres circonstances peuvent faire en sorte que cette affaire soit transmise ailleurs. Nous avons été sidérés de voir ce qui s’est passé parce qu’il n’y avait ni le PV ni l’intéressé. On a pris le tribunal d’assaut et on a failli nous tuer, car on était bloqué à l’intérieur », déplore Alexandre Ouédraogo, substitut du procureur, interrogé par le journal malien Le Prétoire.
L’animateur, de son vrai nom Mohamed Youssou Bathily, devait comparaître au tribunal de grande instance après avoir été arrêté lundi soir, selon des correspondants de l’AFP et des témoins. De nombreux jeunes ont répondu présent à son appel sur les réseaux sociaux, dans lequel il les exhortait à venir manifester leur attachement à la liberté d’expression lors de sa comparution au tribunal.
Une critique du pouvoir en place
L’homme a en effet été interpellé après avoir attaqué à maintes reprises les autorités publiques dans son émissionCarte sur table diffusée sur Maliba FM. Ces derniers jours, Mohamed Youssou Bathily s’en était notamment pris à l’armée malienne et plus précisément à son général Didier Dacko. Selon le chroniqueur, ce dernier n’aurait rien fait pour arrêter le groupe djihadiste Ansar Dine qui avait causé la mort de 17 soldats le 19 juillet.
Aux yeux du peuple, l’animateur apparaît donc comme l’homme qui ose dire la vérité sur la corruption et l’incompétence qui altèrent la probité du pouvoir en place. Toujours dans l’émission Carte sur table, il affirme par exemple que près de 80 % des 143 députés maliens travaillent à crédit en gageant auprès des banques les primes qui leur sont normalement allouées pour réaliser à bien les missions de leur mandat. Il avait aussi critiqué de manière très virulente le président Ibrahim Boubacar Keïta qui réfléchirait « dans un autre intérêt que celui du peuple », selon lui.
Une menace pour Bamako
À vrai dire, ce n’est pas le fond de la critique qui gêne l’État malien, puisque Ras Bath attaque les pouvoirs publics depuis des années sans être inquiété. Aujourd’hui, l’animateur pose problème à l’État malien parce qu’il devient dangereux pour lui. Populaire, l’animateur réveille chez certains Maliens le sentiment de ne pas être représenté. Une telle menace vaut à l’animateur d’être poursuivi pour outrages publics et injures par le procureur de la République qui s’est auto-saisi, selon Maliactu. Affirmant dans un communiqué publié après les manifestations que : « Ladite enquête vise certains propos (de Ras Bath, NDLR), d’une violence rare, qui sont une offense à la pudeur tant ils heurtent le sentiment moral des particuliers qui en sont involontairement témoins et qui sont susceptibles de troubler l’ordre public et de causer un préjudice social manifeste. En outre, ils constituent un outrage envers les dépositaires de l’autorité ou de la force publique dans l’exercice de leurs fonctions. » Sauf que dans le contexte actuel, les pouvoirs publics n’avaient pas prévu un tel déferlement de réactions sur les réseaux sociaux qui attise encore plus le débat sur la corruption de l’État malien.