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#Bagadadji2020-Yachim Maïga : «Au Mali, le vote est devenu une valeur marchande »

Yachim Maïga est fonctionnaire international. En mars dernier, il a publié aux éditions La Sahélienne un remarquable essai politique intitulé Mali : pouvoir de la démocratie chiffonnée. Pour Benbere, l’auteur explique le choix du titre et revient sur les thématiques abordées dans ce livre de 328 pages. Pour lui, le vote des citoyens se marchande. 

 

Benbere : Pourquoi avoir choisi Mali : pouvoir de la démocratie chiffonnée comme titre ?

Yachim Maïga : Le titre est certes provocateur pour beaucoup de personnes, mais si vous prenez le thème central, qui est la refondation de l’État, vous allez le saisir. Qui parle de refondation de l’État parle de choix des dirigeants, de vote par lequel sont élus le président, le député, le maire et les conseillers communaux. Le vote est une arme dans les mains des électeurs. Il se trouve qu’au Mali, depuis 1992, le vote est devenu une valeur marchande. Pour juste 2000 F CFA, certains peuvent vendre  leur conscience. La en faute revient d’abord aux politiciens qui cherchent à être élus, puisque ce sont eux qui tentent de corrompre le pauvre citoyen. Cela passe parce que tant que vous avez des mallettes remplies d’argent du côté des politiciens, les pauvres de l’autre côté vont essayer de prendre leur part. Et le seul moment où ils trouvent quelque chose avec les politiciens, c’est pendant le vote. Le vote a été prostitué, chiffonné, d’où le choix du titre.

Comment limiter l’impact de l’argent dans la politique au Mali ?

C’est difficile à l’heure actuelle, l’argent est tout puissant. Parce que celui qui a l’argent a le pouvoir. Les institutions en charge des élections sont faites de telle sorte que celui qui n’a pas d’argent est écarté. Il n’y a pas d’élection. Quand on regarde le scrutin du 29 mars, on parle de 35℅ de participation. Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que si vous regardez Bamako qui est la synthèse du Mali, la participation est autour de 10℅. Au Mali, on a réduit la démocratie au vote. Et quel vote ? Avec des députés élus avec 10℅, des présidents élus avec 22℅.

Vous parlez d’instruction pour être parlementaire. Quel niveau d’instruction un député devrait-il avoir pour pouvoir jouer pleinement son rôle ?

Les députés sont normalement l’émanation du peuple. Comme on ne peut pas réunir 20 millions de personnes pour parler d’un problème, ce sont eux qui représentent le peuple. Pour qu’ils parlent au nom du peuple, ils doivent avoir un minimum de connaissances, de bagage intellectuel. La langue officielle au Mali, c’est le français. Vous trouverez des députés en train de dormir dans la salle parce qu’ils ne comprennent pas la langue. Ce n’est pas de leur faute, ce sont les textes qui ont institué le français comme langue officielle. Comment des députés qui ne parlent pas français, qui n’ont pas le niveau pour lire et comprendre un projet de loi, peuvent voter ? Ils vont voter parce que l’ordre de voter viendra d’en haut. Mais est-ce qu’ils représentent le peuple, défendent ses intérêts ? Je ne crois pas. On sait aujourd’hui qu’un député, une fois élu, n’a pas besoin de faire de restitution à sa base. Parce qu’il est élu avec son argent, il n’a aucun compte à rendre au peuple. Et pour changer cela,  il faut aller au-dedans des choses, changer les textes, revoir l’architecture de l’État. Concerter tous les Maliens pour choisir le type de démocratie, de gouvernance qui nous convient.

Dans un pays à majorité analphabète, un niveau d’instruction pour être député n’exclurait-il pas beaucoup de personnes ?

Si un paysan sénoufo, par exemple, doit représenter sa circonscription, il n’y a aucun problème. Mais, comme les textes sont en français, il doit avoir un cabinet, une structure avec toutes les compétences. Un député n’est pas censé être spécialiste de tout. Mais il doit avoir un cabinet qui s’occupe des questions techniques. Au minimum, un député doit savoir lire et écrire. Un député qui ne sait pas lire ne peut pas jouer pleinement son rôle. On peut être intellectuel, pragmatique sans aller à l’école. Le plus important, c’est que  ces derniers puissent s’exprimer et expliquer dans leur langue. Si on valorise nos langues nationales, étoffe les cabinets, un député qu’il soit paysan, cultivateur ou pêcheur pourra apporter sa contribution.

Par ailleurs, si la langue officielle est le français, les députés doivent avoir des assistants parlementaires dotés d’un niveau intellectuel permettant de leur expliquer les contenus des lois, pour qu’en retour ils puissent donner leur point de vue. Le plus important, c’est de permettre à ceux qui représentent leur peuple de pouvoir exprimer leur pensée et leurs doléances. Cependant, comment fonctionne notre parlement ? Nos députés font rarement des propositions de lois. Ils travaillent sur des projets de lois que l’exécutif leur soumet. Comme ils sont des affidés du pouvoir, tout ce qui vient de l’exécutif passe comme une lettre à la poste. L’autre travail que les députés ne font pas,  c’est le contrôle de l’exécutif. Ils ne le font pas parce qu’ils n’ont pas le niveau pour comprendre les textes de lois, mais parce qu’ils sont inféodés au pouvoir.

Dans votre ouvrage, vous écrivez «Et si on nommait les députés ». Pourquoi cela devrait-il être le cas dans une démocratie ?

Seydou Badian l’avait dit en son temps : on dépense 4 à 5 milliards dans les votes pour se retrouver avec des députés élus avec 10℅. Il vaut mieux économiser cet argent, l’investir dans la santé, l’agriculture ou dans l’éducation que de le gaspiller pour élire des députés tous les cinq ans. Cela n’en vaut vraiment pas la peine.  C’est pourquoi j’ai écrit qu’il fallait nommer les députés. Dans des pays comme le Pakistan ou l’Afghanistan, au niveau des élections, il y a ce qu’on appelle « la nomination dans les minorités ». On tient compte de l’aspect minoritaire des gens qui ne peuvent jamais être élus, puisqu’ils ne vont pas gagner de toutes les façons. On choisit un quota de représentation pour ces personnes. Est-ce qu’il ne faut pas faire la même chose chez nous ? D’autant que malgré que nous ayons des élus, au moindre problème, nous allons voir les notabilités, les familles fondatrices de Bamako, les chefs religieux…Peut-être qu’il faudrait revoir le rôle que peuvent jouer les notabilités traditionnelles et religieuses. Voir comment les mettre à contribution au lieu de continuer à gaspiller de l’argent. Parce que le concept  « un homme, une voix » est archi-faux. Les gens doivent se réunir et définir ce qui leur convient. Il ne faut pas que la minorité intellectuelle autour de 15℅ continue de réfléchir à la place de la majorité.

Vous incitez les jeunes à s’intéresser à la politique. Quelles sont leurs chances de réussir ?

Très peu de chance pour la simple raison qu’ils sont à la limite aussi corrompus que les vieux. On constate que les jeunes sont pressés dans la course à la richesse. Ils veulent l’argent rapide. Ils ne veulent pas souffrir, ils n’ont plus de conscience, plus de vision. Ce sont des suivistes. Les jeunes, qui auraient dû être le fer de lance de la refondation, sont devenus des gadgets électoraux, une marchandise pour les politiciens. Quand ils veulent  se faire entendre, ils mettent les jeunes devant. Les jeunes doivent se prendre en charge et remplacer cette veille garde qui dirige le pays depuis une trentaine d’années. Qu’on le veuille ou pas, dans 20 ans, ce sont les jeunes qui viendront au pouvoir. Si ce sont les jeunes pressés et corrompus qui doivent prendre le pouvoir, c’est qu’on est pas sortis de l’auberge. Il faut prendre conscience. La conscience a disparu parce que leur niveau aussi a baissé. Le système éducatif a fait qu’aujourd’hui on trouve des jeunes diplômés, mais qui ne savent pas réfléchir. Ils réfléchissent pour trouver de l’argent, ça s’arrête là. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de jeunes compétents, mais ils ne sont pas nombreux. Tant qu’on a pas une masse critique de jeunes conscients, qui réfléchissent, on ne s’en sortira pas. Et pour qu’ils avancent, il faut qu’ils aient le pouvoir. Personne ne donnera le pouvoir aux jeunes, ils doivent le conquérir. Pour ce faire, ils ne doivent pas jouer le second rôle, mais le premier en se mettant devant au lieu d’accompagner les autres dans leur orchestration et manifestation.

Source : Benbere

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