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Baba Sy, instituteur à la retraite : «La grosse erreur a été qu’on n’a pas jugé Modibo Keïta…»

Instituteur et professeur d’enseignement secondaire à la retraite depuis 30, Baba Sy, un homme de 90 ans, a presque parcouru tout le Mali. Il a vécu tous les régimes et toutes les Républiques sont nées en sa présence. Il est également le seul président d’honneur du Parti progressiste soudanais (Psp).  Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Baba Sy parle du Mali de 1960 à nos jours, de façon générale, et de l’enseignement, son domaine de prédilection.

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Reporter Mag : Le pays a 54 ans aujourd’hui. Pouvez-vous nous parler du Mali de 1960, de façon générale ?

 

Baba Sy : Je vous remercie de m’avoir donné la parole. Mais j’ai droit de réserve, parce que j’ai assisté à toutes les phases politiques de 1945 à 1960. J’ai vu l’évolution du pays. Je n’ai milité que dans un parti, c’est le Psp qui était à l’époque le parti majoritaire, mais sans pouvoir réel.  On élisait les conseillers généraux, pas les députés et nous avons continué sur cette lancée jusqu’en 1958. Après, il y a eu la loi-cadre qui consacrait une certaine autonomie au pays colonisé et en partant de cette date-là, le Psp a un peu perdu la majorité. De 58 jusqu’à 60, il y a eu le référendum. Mon parti, à l’époque, a voté le non pour l’indépendance, contrairement au parti opposé. Mon parti a signé un pacte avec le parti opposé pour enterrer la hache de guerre. Donc, partant de là, on est rentré dans une phase de regroupement, le fédéralisme avec comme partenaire le Sénégal, la Haute-Volta et le Bénin. Après, deux Etats se sont retirés, le Bénin et la Haute-Volta. Il ne restait plus que le Sénégal et le Mali. On a continué sur cette lancée jusqu’en 1960. En 1960, on a fédéré avec le Sénégal et Modibo Kéïta, à l’époque, était le président du Conseil et Léopold Sédar Senghor le président de l’Assemblée fédérale. Mais, par le jeu politique, le divorce a eu lieu. La Fédération n’a pas pu survivre. On a prié les Maliens de rentrer chez eux. Le Sénégal a proclamé son indépendance, et nous, plus tard, parce que nous avons voulu maintenir la Fédération. De ce fait, les Soudanais sont retournés au Mali. On a résisté pendant un moment, mais à partir de cette date, 22 septembre 1960, on a proclamé la République du Mali à la place de la République soudanaise. Et depuis ce jour, on s’appelle Mali.

 

En 1960, le peuple était galvanisé, mais avec le régime socialiste, le découragement a gagné le peuple malien. Parce qu’on a socialisé tous les systèmes. On manquait d’un peu de tout parce que nous étions en colère de la manière dont la Fédération a éclaté. On a attribué ça à la France. Nous avons coupé les liens avec la France. Nous avons coupé les liens avec le Sénégal et nous avons été un peu isolés. Mais la Côte d’Ivoire nous a ouvert la porte. Donc, toutes nos affaires provenaient de la Côte d’Ivoire. Ça a un peu étouffé le Mali. Et avec le régime socialiste qu’on avait choisi aussi, ce n’était pas l’éthique du Malien. Le Mali a 90% de musulmans, et si on lui applique un régime socialiste comme ça, c’est trop brutal. On est resté sur cette lancée, avant de créer des sociétés d’Etat et une milice qui concurrençait l’armée. Le chef de l’Etat, à l’époque, avait confiance en cette milice. Donc, l’armée a été mise à l’écart et les exaltations de cette milice décourageaient de jour en jour les Maliens. Ensuite, on est parvenu en 1962 à la création de la monnaie. C’est ce que moi, personnellement, je n’ai pas approuvé. Parce que comme nous appartenons à une communauté et que dans la Constitution on disait que nous sommes prêts à sacrifier nos souverainetés pour l’Union, je ne voyais pas la nécessité de créer cette monnaie. Après cette création en 1962, il fallait 15 jours pour recouvrir le Franc Fcfa au Mali. Compte tenu de l’étendue du territoire, c’était un peu difficile. Malgré tout, on a insisté, mais après, on a eu une prolongation et ça n’a pas pu couvrir les frais. Il y a eu une petite révolte des commerçants qui n’en voulaient pas. Ils ont marché et sont allés à l’Ambassade de France où ils ont insulté le Mali et déchiré le drapeau français. Les leaders de l’opposition, à l’époque, ont été incriminés. On les a arrêtés et jugés. Contrairement à la Constitution, on a créé un tribunal populaire. On a jugé ces commerçants et ces opposants, et on les a condamnés. Trois d’entre eux, le représentant des commerçants qui était Kassoum Touré ; les leaders du parti Psp, Fily Dabo Sissoko et Hamadoun Dicko, ont été condamnés à mort, avant d’être graciés par Modibo et envoyés au Nord où ils ont perdu la vie. Le régime est devenu de plus en rigide pour les populations, parce qu’on n’avait plus à manger. On n’importait n’importe quoi. Les gens faisaient la queue à l’Opam pour avoir de quoi manger. Les libertés individuelles étaient réprimées. Il y n’avait qu’une presse, L’Essor. Non content de cela, le président a dissout l’Assemblée et son bureau politique. Cela a ajouté encore plus de mécontentement dans le pays, parce que presque tous les dirigeants de l’Us-Rda ont été écartés par une révolution de la jeunesse.

 

C’est dans ce marasme politique qu’est intervenu le coup d’Etat de 1968 du Lieutenant Moussa Traoré, sans bruit. Il était en tournée dans le septentrion et de son retour, ils l’ont arrêté sur la route de Koulikoro. Mais, l’erreur a été qu’on ne l’a pas jugé. Il est resté en détention jusqu’à sa mort. Moi, j’ai trouvé ça comme une grosse erreur. C’est dommage qu’un premier président meure dans ces conditions. Ensuite, est venu le parti Udpm. Ce que je reproche à ce parti, c’est qu’il est resté sur la lancée du premier régime. Il n’a presque pas modifié les rouages. Il a changé les hommes, mais a gardé le parti unique. Ça, ce n’est pas la démocratie. Ses membres disent qu’ils font la démocratie au sein du parti unique. Sous le premier régime, c’est le bureau politique qui décidait de tout ce qui devait se faire au Mali. Au lieu que les décisions partent de la base au sommet, c’est du sommet à la base. Moussa Traoré a continué sur cette lancée. Et il s’est permis aussi d’arrêter beaucoup d’élites jusqu’à son coup d’Etat, avec la révolte des élèves et des travailleurs. Il a été renversé en 1990. Donc, la démocratie, c’est un salut.

 

Nous avons fait des élections et c’est Alpha Oumar Konaré qui a gagné. Il a passé dix à la tête de l’Etat, sans gravité, mais il a eu beaucoup de difficultés aussi parce qu’il a eu des opposants. À son premier mandat, c’était enthousiaste parce que tous les partis de l’opposition de l’époque contre Moussa s’étaient rassemblés. Mais, quand il a pris le pouvoir, je crois qu’il a pris un autre chemin. Ses compagnons se sont retirés et se sont regroupés au sein d’une organisation qu’on appelait le Coppo (le Collectif des partis politiques de l’opposition). À la 2ème législature  d’Alpha, il était le seul candidat à se présenter, les autres ont refusé. Mais, par le jeu des truchements, il a débauché un qui était Maribatourou Diaby qui représentait un parti infime. Après, ATT est venu et lui aussi a fait ses deux mandats. En 2012, c’est à quelques mois de son départ que le coup d’Etat de Sanogo est arrivé.

 

 

Quelle lecture faites-vous du Mali d’aujourd’hui ?

 

Le Mali d’aujourd’hui, c’est dommage. On aurait souhaité que ça soit mieux que ça. Il y a d’abord, depuis l’indépendance jusqu’à ce jour, un autre état d’esprit qui n’était pas l’esprit du Soudanais. Parce que le Soudanais, c’était un homme digne, un homme honnête, un homme franc. Mais actuellement, c’est dommage de ledire, on est pervers. L’argent a remporté tout. Les gens n’ont plus de qualité, de dignité. On ne voit que l’argent et à tous les niveaux. Un pays ne peut pas se construire comme ça.

 

Vous êtes instituteur à la retraite. Pouvez-vous nous parler de votre passage dans l’enseignement ?

 

L’enseignement, jusqu’à l’indépendance, avait un système français. À partir de l’indépendance jusqu’en 1962, on a fait une réforme qui n’était pas mauvaise en soi. Mais, avec cette réforme, il fallait des gens pour l’appliquer. À l’époque, le Mali n’avait pas suffisamment de cadres. On n’avait pas suffisamment de maîtres. On a créé des écoles un peu partout. Donc, il n’y avait pas une planification. Il fallait donner des maîtres à ces écoles. On a fait un recrutement massif comme au temps de la pénétration. On a recruté n’importe qui dans l’enseignement. Des mécaniciens, des chauffeurs pour en faire des enseignants et qui n’avaient aucune formation. Avec ça, le niveau a craqué. Le mal de l’enseignement a commencé depuis là.

 

Quelle est votre lecture de l’enseignement d’aujourd’hui ?

 

Aujourd’hui, il n’est pas bon. Parce qu’à mon sens, on a donné trop d’autonomie aux enfants. Au coup d’Etat de 1991, on a fait croire aux enfants que ce sont eux qui ont fait tomber le président Moussa Traoré. On les a introduits dans toutes les sphères du commandement. Ils se croyaient tout permis. Donc, ils n’avaient plus de respect, ni pour les maîtres, ni pour les parents, ni pour personne.

 

À la lumière de tout ce que vous venez de dire, que proposez-vous pour que le Mali avance ?

 

Il faut un changement d’esprit, et ça, ce n’est pas pour aujourd’hui. Parce que déjà, il y a des mœurs qui sont ancrées, des habitudes que nous avons prises. Ça va être très difficile et ça ne sera pas un travail facile, mais de longue haleine. Je pense qu’il faut un homme de poigne qui a une vision pour redresser le pays. Regarde la situation dans laquelle le Mali se trouve aujourd’hui : les 3/4 du territoire sont occupés par des narcotrafiquants. On se demande comment on peut sortir de cette situation. Aujourd’hui, c’est blanc ; demain, c’est noir. On a des dirigeants dont les réflexions ne vont pas très loin. Ils ne s’attaquent pas aux maux de la société. C’est du superficiel qu’on fait. Là, ça ne peut pas du tout marcher.

Propos recueillis par Diango COULIBALY

 

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