La deuxième édition de la «Lagos FashionWeek» a eu lieu du 23 au 26 octobre 2019 dans la capitale économique du Nigéria. La manifestation a réuni plusieurs grands designers africains qui ont apporté beaucoup de créativité dans leurs œuvres. Dans ce prestigieux cercle, Awa Méïté a séduit avec ses splendides bogolan et indigo du Mali de sa superbe «Collection S/S 2020». Une collection mode durable classée parmi les dix meilleures par de nombreux magazines comme «Glamour Afrique du Sud», «Vogue Italie»… à son retour, cette talentueuse créatrice de mode engagée s’est confiée à L’Essor (supplément Culture) pour parler de sa rencontre avec la promotrice de week-end de la mode à Lagos, de ses découvertes et surtout du succès rencontré par sa collection très atypique. Interview !
L’Essor : Comment vous vous êtes retrouvée à «Lagos FashionWeek» ?
Awa Méïté : Ma rencontre avec la fondatrice de la Lagos FashionWeek s’est faite de façon insolite. Ce qu’on appelle toutes deux aujourd‘hui d’ailleurs le fait du destin. Elle se promenait dans un endroit de Dakar où j’avais décidé de faire une séance photo de ma nouvelle collection. C’était précisément dans le showroom d’Ousmane Mbaye, un ami designer de meubles. Quand elle a vu mon travail, elle m’a simplement dit qu’il fallait que je vienne à Lagos (au Nigeria) à sa FashionWeek. J’étais ravie de cette invitation car j’avais entendu beaucoup de biens de cet évènement et je ne savais pas comment y participer. Je n’avais pas fait non plus de recherches là-dessus car mon univers créatif est plutôt intimiste. J’aime les choses calmes. Tout le contraire des FashionWeek qui se déroulent à un rythme fou.
L’Essor : D’une manière générale, que retenez-vous de cette édition 2019 ?
A. M. : Cette édition, pour moi, a été une consécration. Mon travail, à partir du coton produit et transformé au Mali depuis maintenant plusieurs années, a été reconnu au niveau international. Je pense que cela est dû au fait que mon travail raconte une histoire, celle de mon pays, de mon environnement et de mon engagement qui ne se limite pas qu’à la mode et aux paillettes.
L’Essor : Quelle est la particularité de cet événement ?
A. M. : La particularité de cet évènement est qu’il représente aujourd’hui, avec l’Afrique du Sud, le marché de la mode africaine. Les acheteurs s’y réfèrent pour découvrir les dernières collections des créateurs africains qu’ils vendent ensuite à travers le monde. Mais il ne faut pas non plus oublier que le Nigéria, à lui tout seul, est un énorme marché.
L’Essor : Quelle est la spécificité de la «Collection S/S 2020» que vous avez présentée à Lagos ?
A. M. La spécificité de ma collection est qu’elle était faite à 98 % à partir du coton malien. Des tissus tissés dans nos ateliers avec des motifs que le public et les acheteurs découvraient. Contrairement aux autres créateurs, nous produisons tout nous-mêmes. Du textile aux accessoires.
L’Essor : Est-ce que l’accueil a été à la hauteur de vos attentes ?
A. M. : Cet évènement, pour moi, était l’occasion de découvrir une partie de l’Afrique que je ne connaissais pas du tout. Je me suis bien préparée pour présenter une collection digne de ce nom, mais en même temps il est certain que je ne m’attendais pas à un tel écho formidable.
Ma collection a été classée parmi les 10 plus belles de cette FashionWeek, selon le magazine «Vogue Italie» et d’autres publications spécialisées, avec celles de créatrices comme Maki Oh qui habille Madame Obama ou bien l’actrice Lupita Nyong’O de «Black Panther».
L’Essor : Qu’avez-vous ressenti alors ?
A. M. : On se sent juste pousser des ailes et on est fière de faire parler autrement du Mali, qui traverse des moments difficiles, et de montrer que nous sommes riches de notre coton, de nos savoirs et savoir-faire aux yeux du reste du monde. Mais, on se rend surtout compte que nous avons une place parmi ceux qui sont reconnus pour leur talent. Et le mien est collectif, avec une équipe, avec des hommes et des femmes qui croient en eux-mêmes, qui sont curieux et qui n’ont pas peurs d’expérimenter.
L’Essor : Depuis plusieurs années, vous travaillez sur le concept «Mode durable» qui privilégie le coton et l’artisanat maliens. Qu’elle est votre motivation dans ce projet?
A. M. : Je pense que la mode durable est la meilleure façon de combattre la pauvreté. Elle répond à nos choix, à notre rythme de production et elle nous permet d’écrire notre propre histoire. Et cela est très important dans le contexte actuel de mondialisation, ou tout va trop vite en causant beaucoup de dégâts sur son passage. La mode durable est supportable car elle a une dimension humaine. Elle permet d’être dans un processus qui permet de prendre le temps d’écouter, de regarder, de comprendre et de faire les bons choix pour soi et pour son environnement. Mais, dans mon cas, cela me permet d’aimer ce que je fais.
L’Essor : Est-ce que vos objectifs sont aujourd’hui atteints ?
A. M. : Pour arriver la où je suis aujourd’hui, il faut le faire au détriment de beaucoup d’autres choses. Et la reconnaissance n’est jamais assurée. Sans compter que cela nécessite beaucoup d’investissement aussi.
Les gens ont tendance à ne voir et ne retenir que les succès. Mais, avant cela, il y a les échecs. Il faut se relever et continuer d’avancer. Croire sans relâche et travailler. Sans le travail, on n’arrive à rien. Il n’y a pas de miracle. Et cela peut prendre beaucoup de temps.
L’Essor : Le président de la République aurait récemment instruit son gouvernement de s’habiller en «Made in Mali». Est-ce une victoire pour des créatrices comme vous ?
A. M. : Je pense que c’est plutôt une première étape importante. Il faut que le stade d’instruction soit dépassé et que cela devienne une normalité tout comme porter le basin. Et nous sommes très loin de cela pour le moment. Mais après, cela reste des choix personnels. Il faut se sentir bien et soi même dans ce que l’on porte. En ce qui me concerne, comme pour beaucoup d’autres personnes que je connais, c’est le cas depuis longtemps.
L’Essor : Est-ce suffisant comme volonté politique pour soutenir le coton, l’artisanat et la mode «Made in Mali» ?
A. M. : La volonté politique est juste une étape pour la valorisation du Made in Mali, particulièrement du coton. C’est un combat de longue haleine, mais par dessus tout, c’est une conviction.
L’Essor : Quels sont vos projets avec la Collection S/S 2020 ? De nouveaux défilés à l’horizon ?
A. M. : Le projet en cours est la 10e édition du festival «Daoulaba», les «rencontres autour du coton», qui se tiendront du 29 novembre au 1er décembre 2019 à Bamako Inch Allah. Une édition qui doit enregistrer la participation de nombreux autres stylistes et créateurs qui ont le même engagement et le même amour pour le Mali.
Source: L’Essor-Mali