Avocat et enseignant -chercheur, Dr Bakary Dramé a formulé des observations concernant l’avant-projet de la nouvelle Constitution. Lisez son texte !
Avant-projet de la nouvelle Constitution : une refondation avortée ?
Depuis les coups d’état du 18 août 2020 et du 24 mai 2021, la volonté de procéder à une refondation profonde ne cesse d’animer les actions publiques et privées. De sorte que des assises nationales de la refondation ont été organisées afin de préparer et faciliter l’élaboration de la nouvelle Constitution.
A cet égard, l’avant-projet de la nouvelle Constitution a été rendu public le 12 octobre 2022. Cela nous impose ainsi à formuler nos observations.
Pour ce faire, notre analyse portera sur le cadre institutionnel retenu (2) et d’apporter des remarques précises sur certains articles (3). Toutefois, des observations générales sont préalablement nécessaires (1).
- Observations générales
Il est clairement admis que l’avant-projet de la nouvelle Constitution apporte des innovations intéressantes sur plusieurs aspects. Il s’agit entre autres, de la responsabilité du président de la République devant le Parlement ainsi que de la limitation du nombre de son mandat, de la possibilité de destitution du président de la République et des présidents des chambres parlementaires, de la possibilité de recourir aux modes alternatifs de règlement de conflits, du nouveau processus de nomination des membres de la Cour constitutionnelle ainsi que la limitation de leur mandat, de l’introduction de l’exception d’inconstitutionnalité, de la suppression de la Haute Cour de Justice et du Haut Conseil des Collectivités Territoriales.
De même, on peut se réjouir de l’impossibilité pour le Parlement de renverser le Gouvernement et de la suppression du pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République, aussi de la déclaration des biens des acteurs pouvoirs publics.
De la même manière, la revalorisation des langues nationales, la consolidation de la place des autorités traditionnelles et coutumières ainsi que la reconfirmation du caractère unitaire de l’Etat sont particulièrement salutaires.
Nonobstant, en raison du plan stratégique de refondation adopté par le Gouvernement, ces innovations y répondent-elles réellement ? Peut-on considérer ces innovations comme étant profondes et répondant aux aspirations réelles du peuple malien ? Ne s’agit-il pas d’une refondation avortée ?
La réponse semble être positive au regard du traitement timide et/ou ambigu de certaines questions.
- Réformes institutionnelles retenues
Il ressort de l’avant-projet de la nouvelle Constitution que le modèle de régime adopté est fondé sur une combinaison des régimes présidentiel et parlementaire.
- Pouvoir Exécutif
Les rédacteurs de cet avant-projet ont opté pour un renforcement considérable des pouvoirs du président de la République. Désormais, c’est le président de la République qui détermine la politique de la Nation (article 44) et non plus le Gouvernement. Ce dernier est aussi responsable devant le président de la République et non plus devant l’Assemblée nationale (article 77).
Dans la même orientation, au sein de l’Exécutif, l’initiative des lois appartient au président de la République et non plus au Gouvernement (article 120 ). Il est également prévu que le président de la République nomme les autres membres du Gouvernement après consultation du Premier ministre et met fin à leurs fonctions. Autrement dit, le Premier ministre ne propose plus les membres de son Gouvernement. Il est simplement consulté par le président de la République.
De même, le nombre des membres du Gouvernement est désormais limité à vingt-neuf (29). Nous regrettons cette limitation dans la Constitution. Il serait pertinent de la renvoyer à une loi organique.
Par ailleurs, cet important renforcement des pouvoirs du président de la République ne fait que confirmer le dépassement du bicéphalisme actuel (président de la République et Premier ministre) qui est inadapté.
Ce faisant, tel que développé dans nos dernières publications, nous plaidons en faveur de la suppression du poste de Premier ministre, car ce dernier apparaît comme « un super-ministre ». Dans la pratique, le Premier ministre n’a jamais été le véritable chef du Gouvernement.
Dans cette perspective, la création d’un cabinet avec des ministres qui seront responsables individuellement et collectivement devant le président de la République serait souhaitable.
De même, pour garantir une bonne continuité du pouvoir, en cas de décès, d’empêchement, de désistement, la création d’un poste de président et de vice-président de la République élus au suffrage universel direct à un tour pour un mandat de sept (7) ans non renouvelable pourrait être plus efficace. En ce sens, certaines prérogatives, du Premier ministre peuvent être attribuées au vice-président.
- Pouvoir législatif
Parmi les innovations sur le plan législatif, il existe l’interdiction de la transhumance politique (article 106). Cette interdiction est salutaire et pourrait garantir une stabilité au sein du Parlement.
Il existe également deux chambres parlementaires, l’Assemblée nationale et le Haut Conseil de la Nation. Ce dernier est l’équivalent d’un Sénat.
Ce faisant, pendant que les pratiques ont démontré trop de libéralités des politiciens, car une fois élus, ils agissent au nom de leurs partis et non pas celui du peuple. Il est ainsi regrettable d’introduire une seconde chambre parlementaire dans ce contexte socio-politique et budgétaire actuel.
Il est tout aussi regrettable de constater l’absence de la tenue de sessions extraordinaires du Parlement à l’initiative des citoyens. Or, cette possibilité pourrait palier à l’absence d’initiative citoyenne pour la destitution du président de la République et des présidents des chambres parlementaires.
En effet, la possibilité aux citoyens de provoquer la tenue d’une session extraordinaire de l’une des chambres ou du congrès pourrait être mise en œuvre soit par voie de pétition soit en tenant compte d’un nombre déterminé d’électeurs dont les conditions de l’une ou l’autre procédure feront l’objet de précisions par une loi organique.
Par ailleurs, il aurait été plus intéressant d’imposer un mandat unique et non renouvelable de quatre (4) ans aux parlementaires. Cela permet d’une part, d’éviter l’éclipse du pouvoir Exécutif sur le Parlement. D’autre part, cette alternance législative renforcera le parlement et garantira l’équilibre entre ce dernier et l’Exécutif.
Dans le même sens, un scrutin uninominal majoritaire à un tour qui s’oppose au scrutin plurinominal (scrutin de liste) à deux tours pourrait être plus efficace lors des élections des députés. De plus, le scrutin à un tour est toujours plus avantageux en termes de dépense publique.
Aussi, l’omission de précisions de la juridiction compétente en matière de poursuites des parlementaires est regrettable. Ces précisions auraient eu place dans les articles 103 et 104 de l’avant-projet.
- Pouvoir judiciaire
L’une des innovations la plus intéressante est la possibilité aux justiciables de saisir le Conseil supérieur de la magistrature (article 138).
Par ailleurs, la rédaction de l’article 136 de l’avant-projet est ambiguë. Cet article dispose que « Le Président de la République est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire (…) ».
Cet article semble admettre timidement que le président de la République préside le Conseil Supérieur de la Magistrature, comme dans l’actuel système. Cela est donc regrettable au regard du principe de séparation des pouvoirs consacré par l’article 130 de l’avant-projet. Le président de la République ne doit pas présider une instance judiciaire qui gère la carrière des magistrats.
Par ailleurs, les rédacteurs de l’avant-projet ont maintenu le parquet sous tutelle de l’Exécutif. Or, cela soulève une réelle difficulté en termes d’indépendance des procureurs. Ainsi, pour garantir l’indépendance du parquet et permettre aux justiciables de faire davantage confiance à la justice, on pourrait envisager la mise en place d’un parquet indépendant sous tutelle d’une autorité nationale détachée de l’Exécutif. Cette autorité pourrait être le Conseil supérieur de la magistrature tout en détachant ce dernier de l’emprise de l’Exécutif.
- Remarques sur certains articles
Article 6 : Le dernier alinéa est redondant puisque que le fait d’être détenu au-delà de quarante-huit (48) heures ne peut s’exécuter que dans les commissariats, les gendarmeries et dans les établissements pénitentiaires. Il est donc inopportun d’ajouter cet alinéa d’autant plus que cette décision n’émane que d’un magistrat de l’ordre judiciaire.
Article 33 : Nous suggérons la rédaction suivante :
« L’État prend les mesures nécessaires pour la mise en œuvre des principes de solidarité, d’égalité, de justice, de protection et d’intégration ».
Article 37: Nous suggérons de remplacer le « ou » entre suffrage universel direct ou indirect par un « et » puisque les deux processus seront mis en œuvre ensemble en raison de la création d’une seconde chambre parlementaire dont les membres sont élus au suffrage universel indirect.
Article 45 : Nous pensons qu’un mandat unique de sept (7) ans maximum pourrait être plus pertinent. Cela permet au président de la République de se consacrer pleinement sur l’exécution de son programme sans être diverti par les enjeux de préparation d’un nouvel mandat.
Article 46 : Nous considérons que l’alinéa premier de cet article est trop contraignant. Il est aussi contraire au principe d’égalité et l’interdiction de discriminations fondées sur l’origine sociale consacrés par l’article 1er de l’avant-projet.
En conséquence, la rédaction suivante du premier alinéa est suggérée :
« Tout candidat aux fonctions de Président de la République doit être de nationalité malienne. Aucun candidat élu ne peut être investi Président de la République s’il possède une autre nationalité ».
Nous pensons que cette proposition est objective et non discriminatoire pour des citoyens maliens naturalisés par décret et pour des maliens détenteurs d’autres nationalités. Cela permet à un candidat élu relevant de l’une de ces catégories d’abandonner ses autres nationalités avant son investiture et non pas lors du dépôt de sa candidature.
Article 48 : En raison, des sommes exorbitantes liées à l’organisation des élections, nous pensons que la rédaction des deux derniers alinéas pourrait être revue. Cela évitera de maintenir des élections lors du second tour avec un candidat après, décès, désistement ou empêchement.
Pour ce faire, nous suggérons la rédaction suivante combinant les deux derniers alinéas :
« En cas de décès, de désistement ou d’empêchement de l’un des deux candidats qualifiés pour le second tour, la Cour constitutionnelle déclare le second candidat, Président de la République ».
Article 55 : Dans le serment du président de la République, nous suggérons d’intégrer le mot « Constitution » en plus de la loi puisque la possibilité de destitution de ce dernier trouve son fondement dans la Constitution.
Dans cette perspective, nous proposons la rédaction suivante :
« En cas de violation de ce serment, que le peuple me retire sa confiance et que je subisse la rigueur de la Constitution et de la loi ».
Article 57 : Nous constatons que le dernier alinéa de cet article retire au Premier ministre sa compétence de proposition des membres de son gouvernement au profit d’une simple consultation. Il s’agit davantage d’un affaiblissement des compétences du Premier ministre de sorte qu’on s’interroge sur l’utilité de ce poste.
Ainsi, nous sommes plus favorables à la suppression de ce poste de Premier ministre (voir. supra). Dans le cas contraire, de conserver sa compétence de proposition des membres de son Gouvernement.
Article 72 : Il est regrettable de constater le développement de la procédure de destitution du Président de la République dans les alinéas trois et suivants du présent article. Or, cela retire à la Constitution tout son sens.
Pour ce faire, nous proposons la rédaction à deux alinéas :
« Le Président de la République est responsable de faits qualifiés de haute trahison.
Il peut être destitué par le Parlement pour haute trahison. Les modalités de cette procédure sont déterminées par une loi organique ».
Cette rédaction a pour avantage, d’une part, de renvoyer le processus de destitution du président de la République à une loi organique et d’autre part, d’éviter de charger inopportunément la Constitution.
Article 74 : L’alinéa deux (2) de cet article limite le nombre des membres du Gouvernement à vingt-neuf (29). Certes, cette limitation pourrait être justifiée pour des considérations budgétaires. Néanmoins, il est inopportun de fixer une telle limitation dans la Constitution. Elle trouvera bien sa place dans une loi organique au regard des difficultés liées à une révision constitutionnelle et surtout des impératives futures et non prévisibles dans l’immédiat.
Article 81 : Les deux derniers alinéas ne sont pas clairs et créent une confusion. En effet, un jugement n’est qu’une décision rendue par une juridiction du premier degré. Or, il s’agit ici d’une instruction judiciaire relevant de la compétence des juridictions pénales de droit commun qui relèvent naturellement de la Cour suprême et dont le code de procédure pénale s’applique sur elles.
Pour ce faire, nous suggérons la rédaction suivante de ces deux derniers alinéas.
« L’instruction judiciaire relève de la compétence des juridictions pénales de droit commun ».
Article 107 : En raison de la logique calendaire, il serait pertinent que la première session de chaque chambre du parlement soit programmée en avril et la seconde en octobre en non l’inverse.
Article 133 : Tel qu’évoquer ci-dessus (article 81), un jugement n’est qu’une décision rendue par les juridictions du premier degré. Or, l’esprit de cet article ne vise pas que les décisions de ces juridictions. Pour cette raison, il serait pertinent de réécrire cet article de la manière suivante :
« Les décisions judiciaires sont rédigées et notifiées dans les délais prévus par les lois et règlements en vigueur, sous peine de sanctions administratives ».
Article 144 : Cet article est en contradiction avec celui de l’article 81 de l’avant-projet qui supprime le privilège de juridiction tout en confiant la compétence des poursuites aux juridictions pénales de droit commun.
Article 192 : Le dernier alinéa de cet article maintient l’imprescriptibilité criminelle des coups d’état. Cela est très salutaire. Néanmoins, cet alinéa doit être complété par l’interdiction d’adoption de loi d’amnistie en faveur des auteurs des coups d’état. D’autant plus qu’aucune motivation ne justifiera un tel acte en raison de la possibilité de destitution du président de la République par le Parlement.
Dr Bakary Dramé
Avocat/ Enseignant-Chercheur
Source: LE PAYS